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Plein de boulot à la clef, mais plus aucun élève: tristesse de deux profs après l'arrêt de la 7e en dessin industriel à l'Institut Don Bosco de Tournai

Grâce à une 7e année en dessin assisté par ordinateur dans cet établissement, les jeunes dessinateurs sont assurés de trouver un job dès leur sortie de l'école, expliquent pourtant l'enseignant et le chef d'atelier. Mais les employeurs du secteur industriel ne pourront bientôt plus les recruter, car à la rentrée prochaine, l'option passera à la trappe.

Jean-Paul Vanmansart, enseignant, et David Guelton, chef d'atelier à l'Institut Don Bosco de Tournai, s'offusquent de voir disparaître l'option de dessin assisté par ordinateur à la rentrée prochaine dans leur établissement. Pour eux, cette décision est totalement incohérente étant donné que le marché a besoin de dessinateurs industriels, tels que formés dans leur 7e année en technique de qualification.

"Les patrons n'arrivent pas à trouver de candidats. On supprime cette option pour des raisons économiques. Tous ces changements dans l'enseignement ne font que renforcer la pénurie de main d'œuvre", s'irrite David Guelton, chef d'atelier mécanique à l'Institut Don Bosco de Tournai, qui nous a interpellés via le bouton orange Alertez-nous.


Qu'est-ce qu'un dessinateur en DAO ?

Dans cette école, les métiers sont enseignés via la filière technique et professionnelle. C'est ce qu'on appelle l'enseignement qualifiant. Les élèves du professionnel apprennent le travail de mécanicien, d'électricien, de maçon, de couvreur ou encore de menuisier. Ils ont ensuite la possibilité de se spécialiser via une 7e, pour devenir menuisier en PVC et alu par exemple. Les jeunes en technique de transition vont quant à eux se former aux métiers d'électricien automaticien, de technicien en usinage, en infographie, ou encore en construction et travaux publics.

Grâce à la 7e technique de qualification, ils se préparent notamment à devenir dessinateur en DAO (dessin assisté par ordinateur) pour le secteur de la construction ou de l'industrie. Pour le bâtiment, les candidats ne manquent pas, ils étaient d'ailleurs 8 cette année, mais c'est pour le secteur industriel que cela coince.

Pour bien comprendre l'importance de cette option pour préparer les élèves à leur métier futur, Jean-Paul, enseignant depuis 22 ans à l'Institut Don Bosco, nous détaille l'apprentissage.

"En sortant de 6e, ils sont techniciens en bois, en travaux publics, en électricité, etc. Ils accèdent à une 7e pour devenir dessinateur industriel dans un bureau d'étude ou d'architecte par exemple. Durant cette année, ils vont se familiariser à quelques-uns des logiciels existants", explique Jean-Paul.

Les logiciels appris sont utilisés dans le secteur du bâtiment et de l'industrie. "Il y a d'abord Autocad, un logiciel de dessin technique en 2D et 3D. Ils pratiquent en fonction de leur spécialité : dessiner des pièces mécaniques, des cuisines équipées, des schémas électriques, etc. Ensuite, dès janvier, on s'attaque aux logiciels plus spécifiques à certains secteurs : Inventor, pour les montages et assemblages mécaniques, pour dessiner des charpentes métalliques ou encore pour imaginer des animations en 3D. Ceux qui se dirigent vers les métiers de la construction apprennent quant à eux Revit, un logiciel d'architecture." Les élèves ont des projets à réaliser sur les différents logiciels et en février, ils sont formés à SolidWorks, un autre logiciel de conception en 3D, avant de passer leurs examens puis d'effectuer un stage en entreprise de 3 mois. Cette expérience en milieu professionnel débouche bien souvent sur un engagement.


Pourquoi supprimer cette option ?

En cette fin d'année scolaire, 8 dessinateurs en construction sont passés devant le jury et ont réussi leurs examens de fin de 7e. Ils ne tarderont pas à trouver un emploi si l'on en croit leurs professeurs. "En général, ils terminent leur 7e à 19-20 ans et ils ont du boulot tout de suite. On vient les chercher à la sortie", affirme Jean-Paul.

Mais à la rentrée scolaire de 2017, il n'y avait pas assez de candidats pour organiser l'option DAO mécanique et électricité. "Il n'y avait pas d'élève cette année en 7e, alors ils ont décidé de fermer la section l'an prochain", dénonce David, 50 ans, chef d'atelier depuis 22 ans à l'Institut Don Bosco. "J'avais pourtant eu un accord verbal de la fédération Wallonie-Bruxelles, car le nombre d'élèves varie très fortement d'une année à l'autre".

En théorie, la Fédération Wallonie-Bruxelles ne prend pas la décision de fermer une option sur base d'une seule année sans candidat. "Plusieurs opportunités permettent de maintenir une option si elle n'a pas le nombre d'élèves requis, nous a expliqué Monique Clarys, de la cellule Enseignement secondaire qualifiant de la Ministre de l'Education. Au 1er octobre, l'option est mise en 'maintien 1'. Si, une 2e fois, l'année suivante, ils n'ont toujours pas le nombre, l'option est en 'maintien 2'. Et l'année suivante, même s'ils ne l'ont pas une 3e fois, une dérogation peut être demandée. Le conseil général de concertation de l'enseignement secondaire donne un avis. On laisse donc 2 ans pour récupérer le bon nombre, et même après, il y a possibilité de demande de dérogation".


"On a déjà eu la dérogation"

Mais alors, que s'est-il passé dans le cas de l'Institut Don Bosco de Tournai ? Dominique Henno, le directeur, nous confirme que l'option a déjà bénéficié des deux années de maintien. "Cette année (2017-2018), l'option a été suspendue car il n'y avait pas de candidat. Mais les années précédentes, on a pu maintenir l'option malgré un nombre peu élevé d'élèves", nous explique-t-il. Il est dès lors fort probable que la 7e dessinateur en industrie ne puisse pas rouvrir l'an prochain. "On a déjà eu la dérogation. Je vais demander une dérogation supplémentaire, mais je suis déjà arrivé au terme des recours", précise le directeur.

Selon lui, le problème est plus large dans son établissement : les élèves ne sont plus autant attirés qu'auparavant par la mécanique en général : "On est sûrs que les élèves vont trouver de l'emploi, mais on a peu de candidats", déplore-t-il. Les effets de "mode" n'y sont pas pour rien selon Dominique Henno, qui constate que l'infographie par exemple, attire davantage.

Le directeur veut sensibiliser les élèves, en leur montrant des offres d'emploi concrètes, et en employant les témoignages d'anciens, qui ont décroché un job après leur 7e. Il aimerait aussi que cette filière professionnelle e technique soit davantage valorisée. "Quand on a la fibre technique, l'emploi est assuré. Avec un diplôme universitaire, vous n'avez aucune garantie d'avoir un emploi après vos études. Ici, on pleure après des techniciens…"

Il continue d'espérer pouvoir relancer cette option l'an prochain, d'autant plus qu'il y a quelques candidats : "J'ai sondé les élèves intéressés par le DAO industriel, mais ils sont issus de la filière mécanique où il y a de moins en moins d'élèves. Cette année, j'ai 5 élèves en 6e, et certains ont des examens de passage, mais ils sont venus me faire la demande quant à l'avenir de l'option", explique encore le directeur.


"L'enseignement technique et professionnel est de plus en plus dénigré"

Jean-Paul et David, les deux enseignants, en veulent à la fédération Wallonie-Bruxelles de ne pas valoriser davantage l'enseignement qualifiant. Le chef d'atelier estime qu'il y a une volonté politique de "détricoter peu à peu l'enseignement technique". Jean-Paul Vanmansart va plus loin : "L'enseignement technique et professionnel est de plus en plus dénigré. On est dedans donc on s'en rend bien compte, affirme-t-il. Apparemment, cela coûte trop cher. Je pense qu'on veut orienter les jeunes dans des centres de formations."

D'après lui, les formations courtes, organisées par le Forem par exemple, coûtent moins cher que l'enseignement technique et professionnel. "À terme, ils veulent supprimer toutes les 7e, craint le professeur en DAO.


"Valoriser le qualifiant"

"Ce n'est pas à l'ordre du jour, selon Monique Clarys, conseillère au cabinet de Marie-Martine Schyns. Dans l'immédiat, il n'y a certainement pas d'intention de fermer les 7e, il y a même des demandes pour créer des sections. Si ça doit se faire un jour, ce sera examiné option par option, et l'idée est de coller à la demande des entreprises. Un observatoire du qualifiant va être mis sur pied pour étudier, avec des statistiques objectives, quelles options sont à créer."

Selon le cabinet de la ministre, la volonté de la Fédération Wallonie-Bruxelles rejoint celle des deux enseignants et de leur directeur : "valoriser l'enseignement qualifiant".

S'il n'y a pas assez d'élèves pour maintenir l'option, tous les intervenants sont bien conscients que les entrepreneurs de la région sont en demande de dessinateur en DAO secteur industrie.

"C'est un métier qui est fort recherché. Dans le Hainaut, on cherche à peu près 150 dessinateurs industriels, il n'y a qu'à aller sur le site du Forem pour s'en rendre compte", explique David, le chef d'atelier.


Deux chefs d'entreprise de la région témoignent

Francis Walcarius, patron d'une société de fabrication de structures métalliques pour les usines, nous l'a confirmé : "On a du mal à recruter". Dans son équipe de dessinateurs, il compte deux anciens élèves de l'Institut Don Bosco, mais "actuellement, j'en cherche encore deux autres, nous dit-il, et on n'est pas les seuls dans la région à en avoir besoin".

Cette année, comme aucun dessinateur industriel n'est sorti de Don Bosco, il ne peut en engager là-bas. La disparition pure et simple de cette option pose donc un réel problème au patron de la société Walcarius. "C'est la base de notre production, tout doit être dessiné en DAO, explique-t-il. "Après toute une année à travailler avec les logiciels, ils sont très habiles. Ils n'ont pas la bouteille technique que les gens qui font une reconversion et qui viennent du milieu industriel, mais ils maîtrisent mieux l'outil informatique. Ils sont plus jeunes aussi, ça aide beaucoup pour la maîtrise des logiciels".


"On n'attire pas les jeunes vers ces métiers"

Jean-Paul Fermeuse, autre entrepreneur du Tournaisis, nous le confirme : tout le secteur est en demande. Le patron de la société ALC, spécialisée dans l'étude et la mise en service de rotatifs, prend part au jury de fin d'année de l'Institut Don Bosco depuis une vingtaine d'années. Il déplore le risque de voir disparaître l'option dessinateur industriel. "C'est dommage… Chaque année, des élèves sortant d'un stage dans les sociétés de la région se faisaient engager, confirme-t-il. Dans toutes les sociétés du Tournaisis, vous avez des élèves qui sortent de Don Bosco : cimenteries, carrières, etc. C'est le seul institut en place dans le Hainaut occidental."

Il constate que certains métiers sont clairement en pénurie dans le secteur industriel : "Dans la mécanique, la technique, on cherche ! Des gens de terrain, j'ai du mal à en trouver, mais on n'attire pas les jeunes vers ces métiers", nous dit-il. Aujourd'hui, plutôt que de tenter de recruter du personnel qu'il a du mal à trouver, il a fait le choix de chercher un partenariat avec une entreprise qui travaille dans le même secteur que lui, "pour être plus fort", explique Jean-Paul Fermeuse, 60 ans. Sa crainte, c'est que lorsqu'il arrêtera, sa société disparaisse purement et simplement.

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