Partager:
De tous les artistes traitant de la question du genre au Festival d'Avignon, la Française Phia Ménard semble la mieux placée: il y a dix ans encore, elle s'appelait Philippe.
Cette jongleuse, performeuse et metteuse en scène de 47 ans a entamé sa transition en 2008, après avoir rêvé depuis l'enfance d'avoir un corps féminin.
S'assumant aujourd'hui pleinement comme femme, elle dit avoir affronter une réalité choc dès les premières années où elle a dit adieu à son corps d'homme.
"D'un seul coup, je suis passée du pouvoir à la perte du pouvoir", affirme-t-elle dans un entretien avec l'AFP.
"Dans la peau d'un homme, je pouvais traverser une ville de jour comme de nuit sans avoir de soucis", ajoute cette femme aux cheveux blonds souvent relevés en chignon.
Depuis la transition hormonale, "j'entends régulièrement des remarques désobligeantes. J'ai perdu en quelque sorte mon invisibilité", explique-t-elle.
- "Envoyé chez des psy" -
Cette situation a été une source d'inspiration pour son spectacle "Saison sèche" qu'elle présente à Avignon, où elle demande à sept femmes de détruire la "maison du patriarche" pour se libérer de son pouvoir.
Sur scène, Phia Ménard lance au début du spectacle "Je te claque la chatte", une remarque qu'elle a déjà entendue dans la rue. "C'est symbolique car ça résume toutes les saloperies qu'on peut dire aux femmes", dit-elle
En France, Phia Ménard est l'une des rares artistes qui ont fait leur "coming-out" comme transgenres, aux côtés des danseuses et chanteuses Coccinelle (Jacqueline Charlotte Dufresnoy, née Jacques), Bambi (Marie-Pierre Pruvot, née Jean-Pierre) ou l'actrice Stéphanie Michelini.
Née à Nantes d'un père qui travaillait sur les chantiers navals et d'une mère couturière, elle affirme s'être éloignée de ce milieu ouvrier où la question de l'homosexualité et encore moins du trangenre n'était pas tolérée.
"A mon époque, on était envoyé chez des psy, comme si c'était un trouble auquel on doit remédier; on vous classait comme un malade", se souvient Phia Ménard.
Le terme "transexualisme" n'est plus utilisé par la communauté ni par les psychiatres qui préfèrent "transgenre", estimant que le genre est indépendant de la sexualité.
"Il n'y a rien de moins démocratique que la nature", assure Phia Ménard. "Etre dépossédé de la reconnaissance de soi-même, c'est terrible".
En France, "le transexualisme" a été considéré comme une maladie mentale jusqu'en 2010.
Et en 2016, une nouvelle loi stipule qu'il n'est plus nécessaire de subir une opération chirurgicale pour changer de sexe sur sa carte d'identité. Toutefois, selon le même texte, la personne doit s'expliquer devant un juge, ce que la communauté trans juge "humiliant".
Si une opération reste pour elle une question d'ordre privé, Phia refuse de passer devant un tribunal et garde toujours son nom de naissance sur sa carte d'identité.
Elle se voit aujourd'hui comme "traductrice" qui peut s'adresser aussi bien aux femmes qu'aux hommes.
"J'ai assez vécu dans le monde des hommes pour parler de ça", assure Phia Ménard.
- "La parité n'est pas l'égalité" -
Dans "Belle d'hier" en 2015, elle s'attaquait au mythe du prince charmant, et dans "Saison sèche", elle montre des femmes enfermées qui décident de se réapproprier leur corps.
"Elles vont chercher au fond d'elles-mêmes, à travers des passages +drag king+ (où elles se travestissent en hommes) pour faire comprendre que la masculinité, ce n'est qu'un jeu d'apparence", exlique-t-elle.
S'affirmant résolument féministe, l'artiste assure que la parité n'est pas l'égalité.
"La parité c'est qu'on avait un gâteau, le pouvoir, et on a mis un deuxième gâteau mais moins fourni en fruits. L'égalité, ça serait un même gâteau qu'on couperait en deux", dit-elle.
Elle reconnaît que la société a évolué mais le chemin est encore loin avant l'acceptation totale de cas comme le sien.
"Il m'aura fallu 30 ans pour avoir le corps que je voulais. Donc à l'échelle de la société, ça mettra des générations".
