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Corse, photos, mort: dans les entrailles du nouveau roman de Jérôme Ferrari

Déplorant une forme d'"héroïsation des vies violentes" qui perdure en Corse, Jérôme Ferrari y a de nouveau planté le décor de son dernier roman, mais récuse toute volonté de faire passer un message, revendiquant pour son œuvre une simple fonction de "description de la réalité".

Dans "A son image" (Actes Sud), qui lui a pris "deux ans et demi de préparation, de conception imaginaire" puis "six à sept mois" d'écriture, confie-t-il à l'AFP, le lauréat du Goncourt 2012 dresse le portrait d'une photographe, Antonia, décédée dans un accident de voiture à 38 ans. Son histoire est racontée à l'occasion de ses obsèques dans son village natal en Corse.

La mort, qui imprègne chaque page, est l'un des thèmes centraux du livre, avec une réflexion sur la violence et les médias. Une mort dont le rituel reste singulier en Corse. "C'est encore un événement social de première importance où le deuil n'est pas privé", salue Jérôme Ferrari, espérant que ça perdure.

Qui était Antonia? Photographe insatisfaite pour la presse locale, compagne d'un nationaliste corse ombrageux, photographe de guerre en ex-Yougoslavie. Tout cela, mais pas seulement. "Elle a envie de faire une différence" et "finit par en conclure, à tort à mon avis, qu'elle ne peut pas. Il lui semble que la photo n'est plus à même de faire changer les choses", explique l'auteur, qui relit à voix haute ses livres pour les corriger.

Sur la vision qu'il donne des nationalistes corses, il revendique lors d'une rencontre avec des lecteurs dans la librairie La Marge, à Ajaccio, mercredi, un livre "écrit au niveau du sol, des gens qui ne comprennent pas ce qui se passe et il y en avait beaucoup, moi par exemple".

Lui puise cette authenticité notamment dans ses années de militantisme au sein du Mouvement pour l'autodétermination (MPA) d'Alain Orsoni qu'il quittera en 1993, déçu du "vernis de fausse fraternité" qui y régnait. Aujourd'hui méfiant "du militantisme", il reste attaché au nationalisme corse des années 70, d'avant les guerres fratricides.

- Mystique -

"Je trouve qu'on continue à fonctionner sur une héroïsation des vies violentes" en Corse, regrette-t-il, notant "une forme d'absence de réprobation sociale pour ce type de vie".

Dans la librairie ajaccienne, ses lecteurs sont conquis. "Bravo pour l'excellence avec laquelle vous décrivez la médiocrité de vos personnages", lui glisse une femme.

Pas question pour autant d'y voir la volonté de faire passer un message: "La littérature a une fonction de description de la réalité qui vaut en elle-même, qui n'a pas besoin d'une justification supplémentaire", revendique auprès de l'AFP l'auteur de 49 ans en tirant sur sa cigarette.

"J'aime bien voir les mécaniques internes et faire apparaître les côtés un peu ridicules ou grotesques de toute entreprise humaine", poursuit cet amateur de Dostoïevski, Claude Simon ou Bernanos, qui est toujours professeur de philosophie au lycée Fesch d'Ajaccio, après avoir enseigné à Alger et Abou Dabi.

Si le Goncourt, remporté pour "Le sermon sur la chute de Rome", lui a offert la possibilité de vivre de sa plume, il dit n'avoir jamais pensé arrêter d'enseigner: "Je suis en contact avec des gens de 17 ans depuis 30 ans, c'est une forme d'ouverture pour moi".

Chouchou de Bernard Pivot, président de l'académie Goncourt, qui reconnaissait en août qu'il aurait eu des chances "immenses" de recevoir le plus prestigieux des prix s'il ne l'avait pas déjà obtenu en 2012, Jérôme Ferrari concède deux constances dans ses ouvrages: "la photographie" avec une prédilection pour les photos de famille et le photoreportage, et un "aspect mystique, religieux".

Deux adaptations théâtrales sont en cours, de "Où j'ai laissé mon âme" et "Un dieu, un animal". Côté cinéma, les droits d'adaptation de plusieurs de ses livres ont été vendus. Jérôme Ferrari est en discussion avec Thierry de Peretti, réalisateur corse notamment "D'une vie violente" avec lequel il dit partager "une communauté générationnelle".

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