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Curitiba, l'ex-ville modèle au Brésil qui a cessé d'innover

Avec 60m2 d'espaces verts par habitant et un réseau de transports en commun copié dans le monde entier, Curitiba a longtemps été considérée comme un modèle de développement durable et d'urbanisme. Mais cette ville brésilienne semble s'être figée dans le temps ces 20 dernières années.

"Curitiba a cessé d'innover", déplore Jaime Lerner, architecte qui a mis en oeuvre la plupart des transformations de cette cité d'1,7 million d'habitants, dont il a été le maire durant trois mandats dans les années 70 à 90.

Sous sa houlette, de nombreux parcs ont été créés, de même qu'un réseau intégré de transports avec des arrêts de bus emblématiques en forme de tubes, ainsi qu'un système de recyclage particulièrement innovant pour l'époque.

Dans les années 80, sous le slogan "Lixo que não é lixo" (des déchets qui ne sont pas déchets), les habitants de cette ville méridionale au climat plus frais que le reste du Brésil ont appris les premiers rudiments du tri sélectif, qui n'était pas répandu ailleurs dans le pays.

Le système de transports, qui a ensuite été reproduit dans 250 villes du monde entier, a également donné une grande visibilité à Curitiba.

"La mobilité urbaine était un de nos grands problèmes et nous sommes parvenus à mettre en place un système simple, avec une solution en phase avec notre réalité, sans devoir construire de métro, comme c'était la tendance à l'époque", rappelle Jaime Lerner, âgé de 80 ans.

Les arrêts tubulaires ont été entièrement conçus pour faciliter l'entrée des passagers, avec des plateformes surélevées et des tourniquets pour que le paiement se fasse avant l'entrée dans le bus. De cette façon, on entre pratiquement dans ces bus comme dans une rame de métro.

Des couloirs spéciaux avec des voies réservées pour ces bus ont par ailleurs été installés spécialement pour éviter les embouteillages.

À Rio de Janeiro, pourtant la porte d'entrée des touristes au Brésil, un système similaire n'a été mis en place que très récemment, pour les jeux Olympiques de 2016.

- Nouveaux défis -

Mais alors que la population de Curitiba n'a pas augmenté de façon significative depuis cet âge d'or de l'innovation, la banlieue a connu une expansion importante, créant de nouvelles demandes auxquelles les autorités n'ont pas su répondre pleinement.

Le programme de recyclage pionnier est devenu obsolète face aux nouveaux défis environnementaux.

La plupart des cours d'eau sont pollués.

Et de nombreux spécialistes déplorent également le manque d'harmonie architecturale entre la capitale et son agglomération. En banlieue, il n'y a pratiquement pas d'espaces verts et l'expansion du système de transports n'a pas été suffisante pour permettre aux habitants de ces villes satellites d'accéder facilement à la capitale de l'Etat du Parana.

"La vision de cité-dortoir est totalement dépassée", affirme Humberto Carta, jeune architecte qui a organisé l'an dernier l'exposition "Architecture pour Curitiba", pour repenser le paysage urbain.

"Il faut faire évoluer les politiques publiques, pour qu'elles envisagent Curitiba et ses banlieues comme un tout", renchérit une autre architecte, Luisa Costa de Moraes.

Elle déplore le fait que la plupart des politiques publiques portent sur la mobilité urbaine, sans penser à des alternatives pour développer et mettre en valeur les villes de banlieue.

- "Vase clos" -

"Nous vivons sur notre gloire passée et nous avons simplement étendu le modèle que Lerner a implanté", souligne Humberto Carta.

Car, estime-t-il, le secteur privé ne pense qu'à investir dans l'expansion immobilière et les pouvoirs publics travaillent en vase clos: "Si on n'est pas initié dans ces sphères du pouvoir, on n'a pas notre mot à dire", dénonce-t-il.

Pour Luiz Fernando Jamur, président de l'Institut d'investigation et de planification urbaine de Curitiba, "il y a des moments où il est plus facile d'innover que d'autres". Il pointe du doigt les restrictions budgétaires, dans un pays qui sort tout juste d'une récession historique.

Jaime Lerner, lui, récuse cet argument du manque de moyens et dénonce "la bureaucratie craintive" des autorités actuelles.

"Ils veulent toutes les réponses avant de mettre la main à la pâte. Mais on peut écrire une thèse entière sur la natation: si on ne plonge pas dans l'eau, ça ne change rien !", ajoute-t-il.

À 80 ans, il dit sentir une certaine "douleur" en pensant "à ce qui pourrait être fait" dans sa ville.

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