Accueil Actu

Les tribunaux de l'aide sociale, éternel parent pauvre de la Justice

Elle concerne des milliers de personnes vulnérables mais la justice des affaires sociales passe inaperçue. Entrée en vigueur le 1er janvier, sa réforme ne fait guère plus de bruit malgré les ratés qu'elle connaît dans des tribunaux comme celui de Lyon.

Du jour au lendemain et à effectifs quasi constants, le tribunal de Lyon a récupéré plus de 15.000 dossiers du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS) de la ville et du tribunal du contentieux de l'incapacité (TCI) couvrant les huit départements de Rhône-Alpes.

Ces juridictions paritaires - et engorgées - ont en effet été fondues dans les "Pôles sociaux" nouvellement créés au sein des tribunaux de grande instance (TGI), qui ne s'occupaient jusqu'alors que de justice pénale et civile.

Ils doivent maintenant juger les conflits opposant assurés sociaux et cotisants aux différents organismes de prestations (caisse d'allocations familiales, d'assurance maladie, mutualité sociale agricole, régime social des indépendants, caisse d'assurance retraite, etc...).

A leur charge, aussi, de reconnaître ou non la "faute inexcusable" d'un employeur. Ou de trancher les litiges - avec examen médical à l'audience - touchant à la prise en charge d'un accident du travail, d'une maladie professionnelle ou d'un handicap.

Un spectre de contentieux très large, de la facture de taxi réglée par un patient pour se rendre à l'hôpital, au redressement d'une multinationale en délicatesse avec l'Urssaf.

Il touche "à tout ce qui fait peur dans la vie: le handicap, la maladie, l'accident, la vieillesse", souligne Laurence Cruciani, avocate spécialisée en droit social. Avec de lourds enjeux humains et financiers, des parcours complexes pour les plaignants, souvent fragiles, et des délais de traitement à rallonge: jusqu'à quatre ans à Lyon dans certains cas.

Adoptée le 18 novembre 2016, la loi de modernisation de la justice du 21e siècle visait à améliorer et à simplifier cette justice du quotidien en fusionnant TASS et TCI dans les TGI. Une ambition bien accueillie, tant le constat des dysfonctionnements et des insuffisances était partagé.

- "En panne" -

"Cette réforme a longtemps été qualifiée d'impossible. Elle se fait au final à bas bruit et elle est fondamentale pour traiter ces contentieux de la meilleure des façons", considère Frédéric Pillot, magistrat coordinateur du Pôle Social à Lyon.

"C'est une bonne chose que de s'intéresser enfin à la cinquième roue du carrosse", reconnaît Véronique Drahi, déléguée régionale du Syndicat de la magistrature. Tout en déplorant que les moyens humains n'aient pas suivi.

La réforme supposait un apurement préalable des stocks de dossiers (car il en rentre des centaines de nouveaux chaque mois dans les grosses juridictions) et la transformation des personnels des ex-TASS et TCI, agents détachés de la Sécu, en greffiers.

Les situations varient d'un TGI à l'autre mais à Lyon, l'échec est double. Le nombre d'affaires en cours au TASS n'a baissé que de 6% en 2018 malgré les efforts déployés et l'aide des juristes assistants créés par la Chancellerie.

Et si les personnels de l'ex-TCI ont rejoint le monde judiciaire, ceux du TASS ont choisi au contraire de réintégrer l'administration de la Santé. Au final, il manque du personnel pour organiser les audiences qui prennent ainsi toujours plus de retard, au grand dam des magistrates qui les président depuis plusieurs années.

"Notre problème, c'est le greffe", confirme l'une d'elles, Florence Augier. "On est complètement en panne pour l'heure. On nous dit que c'est transitoire mais on ne voit pas le bout du tunnel."

Frédéric Pillot ne nie pas les difficultés mais se veut optimiste. "Le ministère a bien accompagné la réforme jusqu'ici, en finançant notamment le recrutement de vacataires. Ce qui importe maintenant, c'est la pérennité de ce soutien et l'octroi de nouveaux postes", affirme-t-il.

"Le gros risque de la réforme, c'était d'importer les difficultés des TASS et des TCI dans les TGI et ça se vérifie", résume Me Cruciani, pour qui des changements introduits dans la procédure contribuent en outre à freiner l'accès à la justice.

Comme l'obligation désormais faite au plaignant d'engager un recours administratif avant toute saisine du tribunal: l'avocate y voit une "stratégie d'usure".

À lire aussi

Sélectionné pour vous