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Décryptage - Gangs ultra-violents, menace de "guerre civile" et désastre humanitaire: que se passe-t-il en Haïti?

Un pays sans président, depuis son assassinat, mais aussi sans parlement, dont la capitale est contrôlée en grande partie par différents gangs: c'est la situation très préoccupante de Haiti. La crise dans ce pays considéré comme le plus pauvre de l'hémisphère occidental inquiète de plus en plus la communauté internationale, voici pourquoi.

Port-au-Prince, la capitale d'Haïti est en proie à l'escalade de la violence des gangs. Ils contrôlent déjà la majeure partie de la ville, et même les routes qui mènent au reste du territoire. Les autorités haïtiennes, impuissantes, ont publié ce jeudi un "arrêté instaurant l'état d'urgence sécuritaire sur toute l'étendue du département de l'Ouest", qui comprend la capitale, "pour une période d'un mois". Un nouveau couvre-feu nocturne a également été décrété jusqu'à lundi.

Règlements de comptes, enlèvements, violences sexuelles,... La vie devient de plus en plus difficile dans ce pays des Caraïbes, collé à la République Dominicaine. Une enquête de l'ONG Médecins Sans Frontières, publiée ce jeudi, "révèle des niveaux extrêmes de violence subie par les résidents du bidonville de Cité Soleil à Port-au-Prince", avec d'août 2022 à juillet 2023 "près de 41% des décès liés à la violence et un taux brut de mortalité de 0,63 décès pour 10 000 personnes par jour".

Les hôpitaux n'arrivent pas à s'approvisionner en médicaments, en matériel médical ou en oxygène

Contactée, Sandra Lamarque, responsable des opérations de Médecins Sans Frontières en Haïti, fait état de la situation particulièrement dure sur place : "Plusieurs hôpitaux ont dû totalement fermer leurs portes et ne sont pas fonctionnels. Soit, parce que le personnel ne peut pas se rendre sur place, en raison de l'insécurité, soit parce que les hôpitaux n'arrivent pas à s'approvisionner en médicaments, en matériel médical ou en oxygène", rapporte-t-elle.

Ces bandes criminelles s'attaquent également à des sites stratégiques, dont des commissariats de police, où des officiers ont été tués, l'aéroport, désormais fermé, ou dernièrement deux prisons. Cela a conduit à l'évasion de milliers de détenus, dans la nuit de samedi à dimanche. "On a dénombré de nombreux cadavres de détenus", a déclaré à l'AFP Pierre Espérance, directeur exécutif du Réseau national de défense des droits humains (RNDDH).

Ce que les gangs réclament, tout comme une partie de la population, c'est la démission du Premier ministre actuel, Ariel Henry. Il avait été nommé par le président Jovenel Moïse, juste avant son assassinat en 2021. Depuis, le pays n'a pas de président, pas de parlement et n'a pas connu d'élections depuis 2016.

Des élections étaient censées avoir lieu le 7 février 2024, mais n'ont pas eu lieu. Le Premier ministre devait pourtant quitter ses fonctions, après un accord politique signé en 2022.

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Qui est le surnommé "Barbecue" ?

L'annonce du report des élections a fait a particulièrement réagir le puissant Jimmy Chérizier, plus connu sous le surnom "Barbecue". L'homme de 46 ans, ancien policier, est le chef de l'alliance de gangs "la famille G9". Elle fédère les 9 bandes criminelles les plus puissantes de Port-au-Prince. C'est ce groupe qui est responsable de l'évasion de milliers de détenus de prisons haïtiennes. 

Nous nous dirigeons tout droit vers une guerre civile qui débouchera sur un génocide

"Si [le Premier ministre] Ariel Henry ne démissionne pas, si la communauté internationale continue à le soutenir, nous nous dirigeons tout droit vers une guerre civile qui débouchera sur un génocide", a-t-il déclaré devant la presse, entouré d'hommes cagoulés. "Il n'est pas question qu'un petit groupe de riches vivant dans de grands hôtels décide du sort des habitants des quartiers populaires", justifie-t-il.

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L'homme, qui se considère comme étant un révolutionnaire, avait déjà fait parler de lui en 2022, lorsqu'il avait bloqué pendant des mois le principal terminal pétrolier du pays, paralysant la distribution de carburants et plongeant Haïti un peu plus dans le chaos.

Jimmy Chérizier aurait aussi, d'après le département du Trésor américain, participé au "massacre de la Saline" en 2018 : "Alors qu'il était officier de la police nationale haïtienne, Jimmy Chérizier a planifié et participé aux attaques de la Saline". Ces événements ont fait 71 morts en quelques jours.

Barbecue continue de commettre des actes qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité d'Haïti

Il est aujourd'hui inscrit sur le régime de sanctions de l'ONU contre les bandes armées haïtiennes (interdiction de voyage, gel des avoirs, embargo ciblé sur les armes). Mais, "Barbecue continue de commettre des actes qui menacent la paix, la sécurité et la stabilité d'Haïti", déplore le comité d'experts de l'ONU chargé de surveiller les sanctions.

Meurtres, vols, extorsion, viols, assassinats ciblés, trafic de drogue, enlèvements, incendies... La liste des crimes associés au G9 est longue, d'après le rapport de ce comité d'experts.

Malgré tout, Barbecue rejette les accusations portées contre lui. "Je ne suis pas un gangster, je ne serai jamais un gangster", affirmait-il en 2021 dans une interview à la chaîne Al Jazeera, assurant se battre "pour une autre société".

Ariel Henry va-t-il céder ?

D'après un haut responsable américain, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, s'est entretenu avec M. Henry du "besoin urgent d'accélérer la transition vers un gouvernement plus large et inclusif (...) qui ait l'ampleur nécessaire pour conduire le pays à travers une période électorale".

le moment est venu de finaliser un tribunal politique pour aider à mettre Haïti sur la voie d'un avenir meilleur

Les États-Unis ont déjà affirmé qu'ils ne poussent "absolument pas" Ariel Henry à démissionner. "Ce n'est pas ce que nous faisons, mais nous avons souligné que le moment est venu de finaliser un tribunal politique pour aider à mettre Haïti sur la voie d'un avenir meilleur"

Mais aux dernières nouvelles, le Premier ministre contesté Ariel Henry est actuellement bloqué à Porto Rico, selon le porte-parole de la police aux frontières de ce territoire américain des Caraïbes.

La République Dominicaine, le pays voisin, refuse encore une "escale indéterminée" à Saint-Domingue : "Le gouvernement dominicain a fait savoir l'impossibilité de cette escale sans avoir reçu de plan de vol clair", a déclaré Homero Figueroa, porte-parole du gouvernement dominicain.

Il est impératif que toute action entreprise ne compromette pas notre sécurité nationale

"Il est essentiel de préciser que la République Dominicaine est prête à continuer à coopérer avec la communauté internationale pour faciliter le retour à la normale en Haïti. Cependant, il est impératif que toute action entreprise ne compromette pas notre sécurité nationale", a-t-il encore ajouté.

Avant d'arriver à Porto Rico, Ariel Henry était au Kenya, où il a tenté de mettre en place une force multinationale d'aide à la police déplacée. Le Conseil de sécurité de l'ONU avait donné, en octobre, son accord pour l'envoi d'une mission multinationale menée par le Kenya qui veut dépêcher 1.000 policiers. Son déploiement est retardé par la justice kényane et un manque criant de financements. Si un accord bilatéral a été signé entre Nairobi et Port-au-Prince, aucune date n'est avanée pour l'arrivée de la mission.

Une situation humanitaire dramatique

En Haïti, la violence, la crise politique et les années de sécheresse font que 5,5 millions de personnes, soit la moitié de la population, ont besoin d'assistance humanitaire. L'appel aux dons de l'ONU, qui est de 674 millions de dollars pour 2024, n'est financé qu'à 2,5%.

Malheureusement, deux collègues haïtiens ont eu des membres de leur famille tués lors des tirs de ces derniers jours

Médecins Sans Frontières travaille sans relâche sur place, mais le travail est rendu difficile par l'insécurité : " Il y a plus de 2000 personnes qui travaillent pour MSF en Haïti actuellement. On a six hôpitaux ou structures de santé à Port-au-Prince et sa banlieue. Donc, évidemment, on est assez exposés. Là où je dirais notre personnel haïtien notamment souffre le plus, c'est évidemment dans le cadre personnel. Ils sont touchés comme le reste de la population par cette violence. Et Et malheureusement, deux collègues haïtiens ont eu des membres de leur famille tués lors des tirs de ces derniers jours", explique Sandra Lamarque.

L'escalade des derniers jours a forcé 15.000 personnes à fuir leur domicile à Port-au-Prince, selon l'ONU qui a commencé à leur distribuer nourriture et produits de première nécessité.
 

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