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L'Iran veut capitaliser sur ses succès en Syrie, au risque de nouvelles tensions

L'Iran, allié indéfectible du régime de Bachar al-Assad, entend capitaliser sur ses victoires en Syrie pour consolider sa stature régionale mais, accusé d'hégémonisme, il cristallise aussi toutes les tensions.

"Les Iraniens ont investi lourdement dans le futur de la Syrie et pas seulement pour préserver le régime d'Assad (...) La Syrie représente leur premier succès militaire significatif de ces dernières années à l'étranger", estime le centre de réflexion américain Brookings.

Dès le début de la guerre civile en Syrie, Téhéran a volé au secours de Damas à grand renfort de conseillers militaires et de milices pro-iraniennes, dont le Hezbollah libanais, estimées à plusieurs dizaines de milliers d'hommes selon une source diplomatique française.

Lorsque le régime syrien a vacillé en 2015, l'Iran a encouragé l'intervention militaire de la Russie qui a permis depuis à Bachar al-Assad de reprendre le contrôle d'une grande partie de la Syrie, d'Alep en 2016 à la Ghouta orientale, près de Damas, ces derniers jours.

"Les Iraniens se sont d'abord portés au secours d'un allié qui avait été fidèle lors de la guerre Irak-Iran (1980-1988)", rappelle François Nicoullaud, ancien ambassadeur de France en Iran et enseignant à Sciences-Po Paris.

La République islamique accorde aussi une grande importance au sanctuaire de Zaynab (fille de l'imman Hussein), un lieu de pélerinage majeur des chiites iraniens, près de Damas.

- 'Arc chiite' -

"La Syrie est également un pays indispensable pour avoir un contact facile avec le Hezbollah, pouvoir l'alimenter en armes, missiles...", relève François Nicoullaud. Et pour Téhéran il était "impensable" de voir des jihadistes, de surcroît armés par l'Arabie saoudite ou le Qatar, s'installer en Syrie, dit-il.

L'Iran dispose désormais d'un corridor terrestre jusqu'au Hezbollah libanais et à la Méditerranée via l'Irak - où la majorité chiite détient le pouvoir depuis l'intervention américaine de 2003 - et la Syrie.

Cet "arc chiite" suscite la plus grande inquiétude des Occidentaux, des Israéliens et des pays sunnites de la région qui accusent Téhéran de poursuivre des visées "hégémoniques" et de déstabiliser toute la région via ses relais locaux.

"En Syrie, les Iraniens veulent établir des bases permanentes - terrestres, aériennes et navales - gérées par des supplétifs, comme le Hezbollah, qui bénéficient déjà sur place du soutien des Gardiens de la Révolution", affirme l'institut Brookings dans une note d'analyse.

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu accuse les Iraniens de construire en Syrie et au Liban, tout deux voisins d'Israël, des sites pour la production de missiles à guidage de précision. Mercredi, le chef d'Etat-major israélien, le général Gadi Eisenkot, a d'ailleurs averti qu'Israël "n'acceptera pas qu'on construise des installations susceptibles de constituer une menace existentielle", en reconnaissant que l'Etat hébreu était derrière l'attaque d'un présumé réacteur nucléaire en Syrie en 2007.

Pour François Nicoullaud, "dans l'euphorie de la victoire proche", leurs ambitions se sont probablement renforcées : "avoir une liaison beaucoup plus étroite avec le Hezbollah et se trouver tout à coup très au contact d'Israël, donc pouvoir exercer vraiment une pression sur Israël".

Les deux pays se sont d'ailleurs pour la première fois directement affrontés en Syrie le 10 février. La chasse israélienne y a bombardé une base iranienne, en riposte à un survol de drone, et a perdu un appareil, abattu par la défense syrienne.

- "Coût immense" -

Paradoxalement, la République islamique, qui tente de sortir de son isolement diplomatique et commercial depuis l'accord conclu en 2015 avec six grandes puissances sur son programme nucléaire, risque de payer cher ses "succès" en Syrie.

Le président américain Donald Trump, qui tire à boulets rouges sur la "dictature iranienne", menace de faire voler en éclats l'accord et de réintroduire des sanctions, plombant ainsi toute relance de l'économie en Iran.

Dans ce marasme ambiant, des slogans hostiles à l'engagement régional du régime ont commencé à apparaître lors des manifestations qui ont secoué l'Iran à la fin décembre.

"Si le coût direct de l'aide iranienne en Syrie n'est pas exorbitant, le coût indirect est immense", en termes de sanctions, considère Clément Therme, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) de Londres.

"C'est ce coût économique qui est dénoncé par les manifestants en Iran et une partie significative de l'opinion publique (..) Avec l'affaiblissement de Daech se pose aussi la question de l'avenir des milices chiites soutenues par Téhéran", anticipe-t-il.

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