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Jusqu’à 11 MOIS D'ATTENTE pour une IRM: trop d'examens ou pas assez de machines?

Un sexagénaire bruxellois nous fait part de sa stupéfaction quant aux délais proposés afin d’obtenir un rendez-vous pour une IRM. Les radiologues dénoncent la responsabilité du SPF Santé publique. Un "imbroglio typique belge" qui illustre la complexité de notre système de santé.

Viviane, 70 ans, habite à Anderlecht avec son mari Jean-Pierre, 65 ans. Il tient un café, elle lui donne un coup de main quand elle le peut, c’est à dire de moins en moins : Viviane souffre d’arthrose et a de grandes difficultés à marcher. "Elle a mal de tous les côtés, ça dure depuis longtemps déjà", raconte Jean-Pierre.

Viviane a été opérée de la colonne vertébrale en 2016, mais ses douleurs ne cessant de progresser, son rhumatologue lui a demandé de passer un examen de radiologie, une IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) de la zone lombaire. Jean-Pierre a décroché son téléphone pour prendre rendez-vous pour sa femme. Un épisode déroutant qu’il nous a raconté via notre bouton orange Alertez-nous.

À l’hôpital Bracops, le plus proche de chez eux, on leur indique que l’appareil IRM a été retiré depuis janvier. Il contacte alors l’hôpital Erasme, également à Anderlecht. La responsable des prises de rendez-vous lui propose une date… dans neuf mois. "Déjà 2,3 mois je trouve que c’est long, mais 9 mois…", soupire Jean-Pierre. "Est-ce une plaisanterie ou est-ce sérieux ?", s’étonne-t-il. "On a le temps de mourir pendant ce temps-là, déplore le sexagénaire. On est quand même en Belgique, pas dans un pays où il n’y a pas de machines. Je trouve ça un peu risible."

La troisième tentative sera la bonne. Jean-Pierre a finalement décroché un rendez-vous pour Viviane dans un mois, à l’hôpital Sainte Anne, lui aussi localisé à Anderlecht. Mais son expérience interroge : les délais proposés pour obtenir un examen IRM sont-ils généralement à ce point excessif en Belgique ? Nous avons fait le test dans plusieurs hôpitaux.

Les délais sont partis en flèche

On attend jusqu’à 11 mois pour décrocher un examen IRM

Au CHU Brugmann, pas de place avant 4 mois pour un examen IRM comme celui que doit passer Viviane. "Pour les colonnes opérées, c’est plus long que les autres", nous indique-t-on. 

Aux cliniques universitaires Saint-Luc (Woluwe-Saint-Lambert), dans un cas comme celui de Viviane, il faut attendre 11 mois. "Le gouvernement a supprimé des machines partout en disant que ça coûtait trop cher à rembourser et donc les délais sont partis en flèche", nous explique-t-on. "On a une machine qui reste ici et ne tourne plus parce que le gouvernement a supprimé le numéro INAMI", ajoute la personne responsable de la prise de rendez-vous.

À Erasme, on propose effectivement des rendez-vous neuf mois plus tard pour les cas comme celui de Viviane. "On a des places pour des gens avec de petits problèmes. Là, on peut encore jouer et placer plus rapidement", dit la personne chargée de l’agenda. "Les politiques ont voulu supprimer les machines. Ici à l’hôpital Erasme on est passé en un an de 4 à 2 machines donc, fatalement, on a des délais qui explosent", ajoute-t-elle, nous conseillant finalement de "faire le tour des hôpitaux".


Des patients prioritaires

Le cas de Viviane n’est pas considéré comme urgent mais il est trop lourd pour être intercalé entre deux rendez-vous. "Les patients qui sont hospitalisés par exemple pour certaines tumeurs, juste avant l’intervention et bien ceux-là vont être d’emblée intégrer aux rendez-vous", explique Pietro Scillia, chef du département de radiologie de l’hôpital Erasme. "Les examens ‘colonnes opérées’, ce sont des examens qui doivent être surveillés par des médecins parce qu’on ne sait pas ce qu’on va retrouver", poursuit-il. Ces examens nécessitent la présence d'un radiologue, de deux technologues et éventuellement de réanimateurs, précise Philippe Peetrons, chef du service de radiologie au Centre hospitalier Etterbeek-Ixelles IRIS-SUD.


17 appareils IRM pas agréés et fermés suite aux sanctions de l’INAMI

Nos interlocuteurs pour la prise de rendez-vous d’un examen IRM ont tour à tour pointé la responsabilité du gouvernement. Car cela fait des mois que le torchon brûle entre les hôpitaux et le cabinet de Maggie de Block, la ministre de la santé.

La pomme de la discorde ? Des avis de remboursement envoyés en juillet 2017 par le service d’évaluation et de contrôle médicaux (SECM) à 14 hôpitaux : 5 en Wallonie, 5 en Flandre et 4 à Bruxelles. La police de l’INAMI leur réclame 13,5 millions d’euros pour des facturations de plus de 90.000 scans IRM jugés illicites car non agréés. Cela concerne 17 machines sur les 144 actives en Belgique.



Le mille-feuille administratif belge au cœur du problème

Pour comprendre les dissensions entre les hôpitaux et le gouvernement fédéral, il nous faut revenir sur les rouages institutionnels de l’exploitation des appareils IRM en Belgique. Comme d'habitude, c'est très compliqué.

L'exploitation des IRM repose sur 4 types de leviers juridiques séparés entre le fédéral et les Communautés/Régions : le financement des infrastructures, l’agrément, la programmation et le financement de l’exploitation.

- Le financement des infrastructures, c’est-à-dire les travaux préalables à l’installation des appareils, les appareils eux-mêmes, est une compétence des communautés/régions.

- La programmation, une compétence fédérale depuis la sixième réforme de l’état. C'est la limitation du nombre d’appareils. 121 appareils IRM sont actuellement programmés en Belgique : 19 à Bruxelles, 65 en Flandre, 37 en Wallonie.

- L’agrément, une compétence des communautés/régions. À Bruxelles, il s’agit de la Commission communautaire commune (COCOM) pour la plupart des hôpitaux, sauf pour les hôpitaux universitaires qui relèvent soit de la compétence de la communauté française pour Erasme et pour Saint Luc, soit de la communauté flamande pour l’UZ Bruxelles.

- Le financement de l’exploitation des appareils IRM, une compétence de l’INAMI. L’institution fédérale rembourse désormais les prestations uniquement quand elles ont été effectuées avec un appareil IRM agréé et programmé.

En 2016, l’INAMI a remboursé 91,2 millions d’euros pour plus d’1 million d’examen IRM. À titre d’exemple, le remboursement d’un IRM de la colonne vertébrale (une prestation très fréquente) s’élève à 91,91 €.

Limiter l’exposition aux rayonnements ionisants

Un protocole signé par tous les gouvernements (fédéral, régional, communautaire) pour réduire les doses de radiations médicales…

En 2014, les ministres du gouvernement fédéral et ceux des Communautés et des Régions se sont concertés et ont signé un protocole d’accord dans le but de limiter l’exposition des patients aux rayonnements ionisants. Les différentes autorités ont décidé d’augmenter le nombre d’appareils IRM de 12 (7 nouveaux appareils en Flandre et 5 en Wallonie), en veillant à réduire les disparités du ratio d’appareil par nombre d’habitants sur le territoire.

Cette extension du parc d’appareils IRM allait de pair avec "une politique de contrôle interfédérale stricte" afin, notamment, d’éliminer les "appareils non agréés" et "garder le budget sous contrôle", prévenaient les autorités.

Tous les appareils médicaux lourds d'imagerie médicale en Belgique seraient recensés, annonçait également le texte. Un registre national serait constitué "afin de limiter l’exposition aux rayonnements ionisants". Y seraient enregistrés les différents types de scanners à rayons X, mais aussi les appareils IRM — qui n'utilisent pas de rayonnements ionisants.

Chaque machine se verrait attribuer un numéro d’identification unique. "L’INAMI s’engage à contrôler les appareils non enregistrés et, le cas échéant, à prendre des sanctions", mettait en garde le texte.


… a abouti à la fermeture des machines IRM, pourtant non-irradiantes

Pendant de nombreuses années, les hôpitaux se sont équipés de nouvelles machines IRM pour faire face à la demande et tenter de réduire l’attente des patients. Certaines de ces machines étaient agréées par les Communautés/Régions, mais pas programmées par le fédéral. D’autres n’étaient ni agrées par les communautés/régions, ni programmées par le SPF santé publique. "A l’époque, les contrôles n’étaient pas dirigés pour fermer les machines", raconte Pietro Scillia (Erasme).

Mais en 2016, les inspecteurs de l’INAMI sont passés dans tous les hôpitaux pour faire l’inventaire des appareils d’imagerie médicale. Ils ont attribué à chaque machine un code qui apparaît automatiquement sur chaque facture. Désormais, si le numéro de la machine n’est pas reconnu par l’INAMI, la facture est refusée. Résultat, 17 appareils IRM ne sont plus exploités, c’est à dire 12% des appareils en Belgique.

"Les machines qui doivent rembourser étaient "pirates" mais n'avaient rien de caché. Nous les avons déclarées, assez certains que cela débloquerait la situation dans l'autre sens... vers une libéralisation des IRM", déclare Philippe Peetrons, chef du service de radiologie au Centre hospitalier Etterbeek-Ixelles IRIS-SUD.

Nous avons assisté au courant des derniers mois à un afflux de patients qui se voyaient refoulés par des institutions qui venaient de fermer certaines de leur IRM

Les radiologues tiennent Maggie De Block pour responsable de la baisse de la qualité des examens

La fermeture de machines IRM et les demandes de remboursement (rappel: l’INAMI réclame aux hôpitaux 13,5 millions pour des facturations de plus de 90.000 scans IRM jugés illicites) indignent les différents responsables des services radiologies. "C’est un manque de vision total sur la qualité médicale", tonne le chef du département de radiologie de l’hôpital Erasme, l’un des établissements concernés.

Pietro Scillia (Hôpital Erasme) accuse Maggie de Block de ne se soucier que du seul aspect économique, sans d’ailleurs obtenir les résultats escomptés. "Au niveau financier, ce que la ministre a fait, et bien ça ne sert à rien", estime-t-il. Les radiologues sont obligés de rediriger les patients vers le scanner à rayons X, moins cher, plus rapide… et aussi plus dangereux pour la santé, regrette-t-il.


Une baisse de la qualité des examens IRM?

Selon lui, la politique menée par le cabinet de Block a abouti à une baisse de la qualité des examens IRM dans certains hôpitaux. Au lieu de consacrer 30 minutes à l’examen, certains radiologues n’y passent plus que 15 minutes, raconte-t-il. Certains patients pris en charge à Erasme doivent même repasser un examen IRM parce que celui qu’ils présentent est insuffisant.

Des propos confirmés par Emmanuel Coche, chef du département des cliniques universitaires Saint-Luc. Le docteur fait état du raccourcissement du temps d’acquisition des séquences IRM à Saint Luc. "Nous avons perdu en qualité d’examen pour certaines indications", regrette-t-il. "Nous avons assisté au courant des derniers mois à un afflux de patients qui se voyaient refoulés par des institutions qui venaient de fermer certaines de leur IRM", explique-t-il.


L’appareil IRM de l’hôpital d’Ixelles-Etterbeek, otage d’un "imbroglio belge typique"

A l’hôpital Iris Sud d’Ixelles-Etterbeek, les spécialistes en imageries médicales ont continué d’effectuer des examens IRM alors que leur appareil n’avait pas obtenu de numéro de facturation INAMI. Ils ont continué à travailler avec, sans facturer, plusieurs semaines après avoir reçu le pro-justicia du SECM. "Nous n'avons pas voulu faire perdre à tous ces gens le bénéfice de leur rendez-vous puisque tous les autres IRM de Bruxelles étaient pleins aussi", se défend le Professeur Philippe Peetrons, chef du service de radiologie. L'homme ne cache pas sa colère : "C'est scandaleux de fermer une machine avec effet rétroactif, sans sommation et en laissant des personnes malades ou impotentes sans solution. Total : perte de 9 semaines d'honoraires. Mais ça c'est la différence entre le raisonnement d'un vrai médecin et celui d'un médecin-ministre..."

Finalement, l’hôpital d’Ixelles-Etterbeek a fermé son appareil IRM d’octobre à décembre, avant de le rouvrir en janvier. Il a finalement été autorisé au détriment de celui de l’hôpital Bracops (également Iris Sud). "Stratégiquement nous avons choisi de garder Ixelles ouvert car il n'y pas d'autre appareil sur cette commune", explique Philippe Peetrons, qui pointe du doigt un "Imbroglio belge typique". En effet, pourquoi ce va-et-vient ? Parce que les hôpitaux Iris (Ixelles- Etterbeek et Bracops) avaient deux appareils "agréés" par la COCOM, mais un seul "programmé" par le SPF Santé Publique.



"C'est ubuesque…"

À Bruxelles, 21 machines IRM ont été agréées par la COCOM, mais seules 19 sont programmées par les autorités fédérales. "On a un conflit sur ce dossier parce que le fédéral refuse de continuer à financer deux appareillages qu’ils considèrent hors programmation", explique Nathalie Noël, qui travaille pour le cabinet de Didider Gosuin, ministre de l’économie du gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, et membre du Collège réuni de la Commission communautaire commune (COCOM).

"Aucune des 3 autorités compétentes (COCOM, communauté française et flamande, Ndlr) ne s'est concertée pour ne pas dépasser ensemble le nombre de 19", déplore le radiologue Philippe Peetrons, qui résume ainsi la situation : "Le SPF Santé Publique enlève deux machines à Bruxelles (après comptage il y en avait 21), Hôpital d’Ixelles et Cliniques de l'Europe. Et la COCOM continue à donner un subside régional puisque pour elle, l'agrément est correct. Qui en subit les frais? Les patients des hôpitaux concernés et par ricochet, tous les patients bruxellois".

"C'est ubuesque…", soupire Philippe Peetrons. Nathalie Noël évoque pour sa part un "conflit institutionnel".

Mme Audrey Dorigo, attachée de presse du cabinet De Block, souligne que le nombre d’appareils IRM n’a pas été "choisi" par le SPF Santé Publique mais fixé conjointement par tous les ministres compétents, notamment le précédent gouvernement bruxellois, lors du protocole d'accord de 2014. "Pourquoi les différentes autorités bruxelloises ont-elles finalement approuvé 21 appareils alors qu'on savait que seules 19 places étaient disponibles dans la programmation ?", interroge-t-elle. "Il s’avère que ce chiffre de 19 n’est pas du tout suffisant parce qu’il existe, a minima, 21 machines opérationnelles sur le territoire", déclare Nathalie Noël (COCOM).

Il n'est pas acceptable qu'un hôpital attende son tour pour avoir un appareil et qu'un autre hôpital fasse fonctionner un appareil illégal pendant des années

Trop d'examens IRM prescrits?

"Notre position au niveau de la COCOM, c’est de dire au fédéral ‘attendez, soyez cohérents en termes de santé publique : il faut promouvoir les résonances magnétiques quitte à limiter les scanners", explique Nathalie Noël. Le protocole signé en 2014 par les différentes autorités stipulait en effet que "l’exposition des patients aux rayons ionisants" était "à la base de l’accord".

En 2015, Maggie De Block affirmait dans un communiqué que le cadastre national des appareils IRM était motivé par un objectif de réduction des doses de radiations médicales. L’exposition aux radiations médicales des Belges était environ 3 fois supérieure à celles d’un Néerlandais, y apprenait-on.

Aujourd’hui, le cabinet De Block souligne qu’"une politique de contrôle efficace était également l'un des principes fondamentaux de l'accord". "Il n'est pas acceptable qu'un hôpital attende son tour pour avoir un appareil et qu'un autre hôpital fasse fonctionner un appareil illégal pendant des années et facture indûment l'assurance maladie pour cette prestation", justifie Audrey Dorigo. "Il fallait créer un terrain d'égalité", fait-elle valoir.

L’attaché de presse du cabinet De Block estime que la solution n’est pas uniquement d’augmenter le nombre d’appareils IRM, très coûteux (800.000 euros le modèle de base, ndlr). "Ce qu’il faut, c’est utiliser les appareils qui sont là correctement. Trop d'examens inutiles par IRM sont encore prescrits aujourd'hui, ce qui entraîne des temps d'attente inutiles".


Un groupe de travail pour rouvrir la discussion avec les radiologues

Les radiologues dénoncent les contradictions du SPF santé publique qui, après avoir lancé la campagne de sensibilisation "pas de rayons sans raisons", a accéléré la mise à l’amende des hôpitaux ayant recours à des appareils IRM jugés illégaux. "Nous avons été surpris, déçus et scandalisés", témoigne Philippe Peetrons (Ixelles-Etterbeek). Pour Pietro Scillia (Erasme), la politique du SPF santé publique est "une énorme aberration". "On a essayé de rentrer en contact avec la ministre plusieurs fois mais elle n’écoute pas du tout nos arguments", déplore-t-il.

Comment maitriser le budget d’imagerie médicale tout en favorisant l’exploitation des appareils IRM ? "Un groupe de travail auquel participent les entités fédérées et les radiologues a été créé. Il est encore trop tôt pour communiquer des résultats concrets", indique Mme Audrey Dorigo (cabinet De Block). Une discussion rouverte tout récemment. "Elle est au stade d’analyses de données. Il n’y a pas encore de négociations politiques", indique Nathalie Noël (COCOM).

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