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Alexandre dénonce l'abattage massif des arbres en région bruxelloise: "Pourquoi les communes font-elles ça ?"

Des dizaines d'arbres ont été abattus à la fin de l'hiver dans différentes communes bruxelloises. Était-ce nécessaire ? Un chauffeur de bus, qui connaît bien la ville, a du mal à comprendre pourquoi des dizaines de cerisiers, peupliers et autres marronniers ont été découpés. Les communes se justifient, mais la spécialiste que nous avons contactée avance d'autres pistes de réflexion sur l'avenir vert de la capitale.

Ces derniers mois, les abattages d'arbres en Région bruxelloise se multiplient pour diverses raisons et certains habitants de la capitale s'en indignent. C'est le cas d'Alexandre, 32 ans, un chauffeur de bus bruxellois qui nous a interpellés via le bouton orange Alertez-nous.

"Je voudrais signaler mon incompréhension face à l’abattage des arbres du Boulevard Prince de Liège à Anderlecht... Il ne reste plus que les troncs coupés courts, nous a-t-il écrit. Cela concerne au moins 50 arbres... Pareil pour les cerisiers du Japon du côté de Watermael-Boitsfort. Pourquoi les communes font-elles ça ?


"Le poumon de la Terre"

L'Anderlechtois, qui connaît bien les 19 communes de Bruxelles puisqu'il les parcourt au quotidien au volant de son bus, est touché par le grand nombre d'arbres coupés dans une ville réputée verte.

"Les arbres, c'est le poumon de la Terre. Je vois des beaux arbres, qui sont là depuis des années, coupés. C'est comme si on tuait le chat ou le chien parce qu'il prend trop de place dans l'appartement… On abat un peu vite !", estime Alexandre.

Si les riverains sont généralement informés et consultés pour ce genre de travaux effectués dans leur quartier, d'autres Bruxellois ou visiteurs de la capitale ne comprennent pas forcément ce qui motive ces nombreux abattages. 


Les autorités communales avancent deux raisons

Deux causes principales sont épinglées par les autorités dans cette décision jugée radicale par notre chauffeur de bus : la maladie et la vieillesse. C'est ce qui a mené à l'abattage d'un peu plus de 60 magnifiques cerisiers du Japon avenue Georges Benoidt à Watermael-Boitsfort, qui passe par les Cités jardins Le Logis et Floréal, classées, et dont les arbres figurent à l'inventaire du patrimoine naturel de la Région. Construites entre 1920 et 1960, ces maisons ont été imaginées bordées d'arbres offrant une magnifique floraison au printemps, conformément au projet urbanistique de Louis Van der Swaelmen, architecte-paysagiste. Mais ces arbres étaient devenus vieux...

"Ils étaient vraiment en fin de vie, nous explique Tristan Roberti, échevin de l'aménagement du territoire à Watermael-Boitsfort, surtout qu'ils sont en bord de voirie et subissent des agressions permanentes : les branches cognées par les bus et les camions, la pollution, les excréments de chats et de chiens, les enfants qui jouent... De plus, les maladies se transmettent facilement et comme les arbres sont vieux, ils sont plus vite touchés".


Éviter la propagation des maladies

Arbres vieux et malades, selon les autorités communales, il fallait agir pour redonner le charme d'antan à cette splendide avenue bordée de cerisiers du Japon, très courtisée par les visiteurs en période de floraison. Quelques tentatives ont été effectuées pour les sauver, nous dit l'échevin, mais sans succès. Ils ont donc été décimés durant l'hiver, et de nouvelles plantations ont été effectuées au mois de mars.

"Avec la Direction des Monuments et Sites (organisme régional chargé de conservation du patrimoine culturel), on s'est rendus compte que des jeunes sujets vaillants à côté de plus vieux arbres auraient comme conséquence une très grande disparité, ajoute l'échevin. On a donc décidé de tout abattre et tout replanter pour donner le cachet d'antan à l'avenue et qu'ils aient un développement plus harmonieux."


Préserver le lucane cerf-volant

L'avenue Georges Benoidt étant classée, l'alignement des arbres était essentiel. Mais il n'y avait pas que l'aspect esthétique à prendre en compte, il fallait également préserver les lucanes cerfs-volants. Récemment réapparue en région bruxelloise, cette espèce de la famille du coléoptère est rare et protégée en Europe. Raison pour laquelle les autorités communales ont conservé des "totems", des troncs d'arbres morts coupés à un mètre, où ils aiment se loger. "Les retirer brutalement risquait de menacer l'habitat de cet animal. Certaines souches ont donc été maintenues, mais de nouveaux arbres sont replantés, entre 50 centimètres et 1 mètre plus loin. Des 'pyramides' (monticules de bois mort) ont également été créées pour sauver les lucanes cerfs-volants", explique encore Tristan Roberti.


Lucane cerf-volant


Des arbres de pépinière, en plus grande quantité

Dans leur démarche, la commune de Watermael-Boitsfort et la Direction des Monuments et Sites ont fait en sorte de replanter un nombre plus important d'arbres que ce qui a été abattu, mais aussi de choisir des plants déjà grands. "On a pris des arbres de pépinière qui avaient déjà une certaine dimension et qui vont peut-être déjà fleurir cette année. Il faudra être patients pour retrouver les beaux cerisiers d'avant, mais on va pouvoir en profiter pendant 20, 30, ou 40 ans", se réjouit l'échevin.


Plantation de nouveaux cerisiers à Watermael-Boisfort / Photo Facebook Tristan Roberti


Des dizaines d'arbres abattus le long du canal et boulevard Prince de Liège à Anderlecht

Dans le cas des abattages d'arbres constatés par Alexandre à Anderlecht, deux sites sont concernés : le boulevard Prince de Liège et ses marronniers, et le quai de Biestebroeck, bordé de peupliers.

"Là où j’habite, entre la chaussée de Mons et le canal, il y a une voie piétonne qui longe le canal et est bordée de très beaux arbres. Certains sont occupés à être découpés", nous a indiqué le chauffeur de bus. En effet, l'échevin des travaux publics et des espaces verts à Anderlecht, Mustapha Akouz, nous confirme que des abattages de peupliers vieillissants et malades ont été effectués le long du quai de Biestebroeck à la fin du mois de mars. "Les arbres sont morts et représentent un danger. De nouvelles plantations ont débuté", assure-t-il. Mais il ne peut nous en dire plus sur ce cas, qui est du ressort du Port de Bruxelles.


Abattage des peupliers du quai de Biestebroek / Photos envoyées via Alertez-nous


Une bactérie nommée Pseudomonas syringae

En revanche, il connaît très bien l'autre dossier évoqué par le chauffeur de bus : les arbres abattus sur le boulevard Prince de Liège, également sur la commune d'Anderlecht.

"Une enquête publique a été réalisée et les 112 marronniers d'Inde ont été coupés. Un 'médecin des arbres', un spécialiste de l'ULB, a jugé qu'il y avait un réel risque", justifie Mustapha Akouz. Une bactérie, nommée Pseudomonas syringae, est la principale responsable de cette coupe plutôt radicale. "C'est une bactérie assez courante chez le marronnier et le risque de propagation est très important. Ils étaient tous touchés", confie encore l'échevin, qui assure qu'aucun remède préventif ni curatif n'existe. Cette maladie, qui touche généralement les marronniers, a fragilisé les arbres et cela représentait un danger pour les passants: risque de chutes de branches, devenues très cassantes. Le risque était également que la bactérie se propage à d'autres arbres voisins. 

La bactérie Pseudomonas syringae s'attaque généralement  aux marronniers et arbres fruitiers, infectant les sujets déjà affaiblis par la pollution, notamment. Elle se répand particulièrement en cas de temps venteux et pluvieux et s'avère très résistante aux antibiotiques. Ce chancre bactérien est responsable du dépérissement de nombreux marronniers chez nous, en Belgique, mais aussi au Royaume-Uni où 35 à 50.000 arbres touchés par cette maladie émergente ont été recensés en 2005. 


Après les marronniers, les tilleuls

À Anderlecht, les abattages des marronniers ont débuté au mois de janvier et depuis la mi-mars, de nouvelles plantations de tilleuls sont effectuées. "Les habitants ont été concertés et ils sont contents de la nouvelle essence qu'ils ont choisie. Vu la configuration du boulevard, on a choisi des tailles un peu plus importantes", ajoute Mustapha Akouz, de sorte que les nouveaux sujets ne soient pas trop fragiles dans un environnement urbain. Les tilleuls ont également été choisis parce qu'ils sont plus résistants et ne risquent pas d'être touchés par la bactérie Pseudomonas syringae.


"On ne fait pas ça pour le plaisir"

Du côté des autorités, on comprend très bien que les Anderlechtois puissent être attachés à la végétation urbaine.

"On n'abat pas les arbres sans raison, rassure l'échevin, c'est une raison de sécurité. Ces arbres semblent être en bonne santé, ont des fleurs, mais ils sont rongés de l'intérieur et le risque est que cela se propage à tout le quartier. Dans le cas du boulevard Prince Liège, ce n'était pas une décision facile, car on tenait à ces marronniers plantés après la 2e guerre mondiale."

Les autorités communales assurent vouloir aller plus loin en replantant des arbres supplémentaires. "Il y a 50.000 arbres à Anderlecht, souligne Mustapha Akouz. Dès qu'on peut en replanter, on le fait. Mais je peux comprendre l'attachement des citoyens, et j'y tiens aussi ! C'est juste qu'on n'avait pas le choix, on ne fait pas ça pour le plaisir. On pense aux générations futures".

D'autres abattages sont d'ailleurs prévus sur le territoire de la commune d'Anderlecht : dans le cimetière du Vogelenzang, 300 arbres devront être abattus. À nouveau, les arguments de la vieillesse et la maladie sont avancés.


"On devrait pouvoir les soigner et prévenir les maladies"

Malgré cette politique de replantation systématique avancée par les deux échevins, une question continue d'inquiéter Alexandre, le chauffeur de bus qui nous a alertés : n'en venons-nous pas un peu trop rapidement à la solution radicale de l'abattage ? "On les coupe un peu vite, nous dit-il. On devrait pouvoir les soigner et prévenir les maladies plutôt qu'en arriver à les abattre".

Amandine Tiberghien, chargée de mission (notamment des arbres) chez Natagora, en est persuadée : on abat trop vite. "C'est clair et net", selon elle. Elle estime que "les maladies découlent des actes humains. En me garant, j'écrase les racines dans l'alignement, je touche l'arbre avec ma voiture et le fragilise… Quand je me promène dans la forêt de Soignes, si je sors des sentiers, je piétine les racines et leur cause du tort, car les hêtres cathédrale y sont particulièrement sensibles. On est tous un peu responsables."


9.000 arbres abattus en un peu plus d'un an

La spécialiste constate que de plus en plus de citoyens s'inquiètent du sort des arbres en région bruxelloise. Ces dernières années, suite à une séance d'information et une conférence sur la place de l'arbre en ville, un collectif s'est créé. Ces Bruxellois, souvent actifs dans leur comité de quartier, et qui veulent servir de relais auprès des autorités et associations, ont voulu établir une liste des arbres récemment abattus sur les 19 communes de Bruxelles.

"On a commencé à comptabiliser les arbres abattus, et sur l'année 2017 et le début de 2018, on est déjà à 9.000 arbres", explique Amandine Tiberghien. Elle comprend tout à fait l'inquiétude d'Alexandre et constate que chaque année, des abattages massifs ont lieu. Comme il est interdit de couper les arbres à partir du 1er avril, car la nidification a débuté, "ils abattent tout d'un coup et ça marque davantage les esprits", note la chargée de mission.


"Même pas de cadastre du patrimoine arboricole bruxellois"

Pour elle, la Région de Bruxelles-Capitale n'a "pas de vision globale" de la situation des arbres sur son territoire, et cela mène à de nombreuses erreurs qu'elle dénonce. "Il n'y a même pas de cadastre du patrimoine arboricole bruxellois", note-t-elle. Et d'après la spécialiste, cela complique sérieusement les choses, car tantôt c'est Bruxelles-Mobilité qui est compétente, tantôt la commune, ou encore le patrimoine ou la Direction des monuments et sites pour les arbres remarquables.


"Diversifier les essences"

La spécialiste de Natagora préconise une tout autre manière de procéder que ce qui est actuellement pratiqué par les autorités. Premièrement, elle pense que planter la même essence d'arbres en alignement, c'est une très grosse erreur. "Il faut, au contraire, diversifier les essences, note Amandine  Tiberghien. C'est essentiel pour favoriser la biodiversité, mais aussi pour empêcher les maladies de se propager''.

Effectivement, dans de nombreux cas, l'alignement favorise la propagation de la maladie. Le cas des marronniers à Anderlecht le prouve : tous les arbres étaient touchés. Mais là encore, selon la spécialiste, il est tout à fait possible de prévenir les maladies, mais aussi de maintenir les arbres, même s'ils sont atteints. Le fait de replanter une seule essence pour remplacer les marronniers, en l'occurrence des tilleuls, n'est donc pas la bonne solution. La diversification des essences serait plus adaptée étant donné que les maux ne touchent pas les mêmes variétés d'arbres.


"Le bon arbre au bon endroit"

D'autre part, un élagage plus doux et plus régulier devrait être privilégié par les autorités selon la spécialiste. "L'entretien et la gestion pour maintenir les arbres en milieu urbain ne sont pas réalisés. Le long d'une voie de tram, par exemple, il faut entretenir plus régulièrement plutôt que de faire un gros élagage d'un coup tous les 30 ans", estime-t-elle.

Elle ne manque pas d'exemples de pratiques inadaptées qui vont directement mener à des problèmes d'intégration de l'arbre dans l'espace urbain sur le long terme. Concernant la plantation d'arbres dans des bacs, comme on le voit souvent en ville, Amandine Tiberghien explique que "l'espace est trop restreint. Dès lors, les racines forment une spirale en poussant et cela risque de poser problème en cas d'orage : l'arbre peut tomber plus facilement. Alors qu'il suffit de leur laisser de la place, de prévoir, et, chose très importante : de mettre le bon arbre au bon endroit".

Selon la spécialiste de Natagora, c'est aux gestionnaires de l'espace urbain de s'adapter aux contraintes des arbres plutôt que le contraire. Par exemple, planter une essence d'arbre très allergène à proximité d'un parc ou d'une aire de jeux pour enfants n'a pas beaucoup de sens. "Certaines essences sont moins résistantes en milieu urbain", précise-t-elle, et sont également plus sensibles à l'environnement et la pollution. Par exemple, les marronniers ne sont pas adaptés en ville, et les hêtres cathédrale de la Forêt de Soignes sont très sensibles au piétinement des racines et aux changements climatiques. En revanche, des essences comme certains tilleuls ou encore le sorbier des oiseleurs sont plus intéressants à planter en ville.


"On ne coupe pas un arbre sous prétexte qu'il est vieux"

Elle dénonce aussi, comme l'internaute qui nous a alertés, "l'obsolescence programmée" des arbres plantés à Bruxelles. "La vieillesse des arbres, ce n'est pas un souci. Avant, on plantait pour 100 ans, et aujourd'hui, pour 30 ans. La nature prend du temps pour grandir, il faut davantage la laisser faire", estime-t-elle.

La représentante de Natagora regrette donc ces pratiques courantes dans la région bruxelloise d'abattre plutôt que d'avoir une vision à très long terme de l'évolution de ces arbres. "Est-ce qu'il n'y a pas moyen de maintenir l'arbre, l'élaguer plus régulièrement, plutôt que de l'abattre ? Parfois, même s'il est très vieux ou malade, il y a moyen de le maintenir. Et puis le bois mort, c'est hyper utile pour la biodiversité", estime-t-elle.

Elle est bien consciente que la sécurité doit toujours primer, mais la vieillesse n'est pas un argument : "C'est la même chose pour les êtres humains, on ne coupe pas un arbre sous prétexte qu'il est vieux".


Pour les marronniers du Boulevard Prince de Liège, il n'y avait plus rien à faire

Concernant le cas précis des marronniers touchés par une bactérie à Anderlecht, Amandine le concède : "il était trop tard". Mais un travail de prévention aurait selon elle pu être effectué. Si la bactérie s'est installée, c'est à cause d'un papillon, le Cameraria ohridella, dont la chenille est appelée "mineuse du marronnier". C'est elle qui creuse l'arbre où la bactérie vient se loger. "En raison de l'alignement, ça se propage. On aurait pu limiter la casse en ramassant les feuilles tombées, que mangent les chenilles, et également élaguer plus régulièrement et en douceur pour que les arbres soient moins creusés".


"Ramener la nature en ville"

Travail de prévention, élagage, maintien d'une longue vie à l'arbre, vision globale à le long terme et plantations d'espèces différentes sont donc des armes qui pourraient éviter de très nombreux abattages et favoriseraient la biodiversité à l'intérieur de la ville selon notre spécialiste.

Elle en appelle aujourd'hui aux entrepreneurs et patrons de grosses sociétés qui ont un rôle essentiel à jouer : "Il y a une réelle opportunité, car les nouvelles constructions doivent permettre de ramener la nature en ville. Une récente étude dit que mettre plus de vert à proximité des employés les rend plus performants. J'appelle donc les grandes sociétés à prendre cela en compte lorsqu'ils construisent de nouveaux bâtiments…"

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