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Heureux comme une abeille en Slovénie

Décorer les ruches, placer les abeilles locales sous protection du gouvernement et même, s'endormir à leurs côtés, les apiculteurs slovènes se mettent en quatre pour bichonner leurs butineuses, considérées depuis des siècles comme un trésor national.

Leur dernière victoire: le 20 mai a été déclaré, sur initiative slovène, "journée mondiale des abeilles et des pollinisateurs" par les Nations Unies. La première édition de cette manifestation a lieu dimanche, avec l'objectif de sensibiliser le grand public à la cause des abeilles, touchées par une mortalité spectaculaire ces dernières années.

Consécration supplémentaire pour les apiculteurs slovènes, le 20 mai a été choisi en hommage à leur compatriote Anton Jansa (1734-1773), dont c'est la date de naissance. Considéré comme le père de l'apiculture moderne, ce fils de paysan fut le premier professeur d'apiculture de la cour d'Autriche, à l'époque où la Slovénie était une province de l'empire des Habsbourg.

Les héritiers de Jansa se comptent par milliers en Slovénie, l'un des plus petits pays de l'UE mais aussi celui qui compte le plus grand nombre d'apiculteurs rapporté à sa population, avec près de 5 propriétaires de ruches pour 1.000 habitants. C'est dix fois plus qu'en Espagne, premier producteur européen de miel.

La production slovène de miel, de 1.298 tonnes en 2016, reste anecdotique au regard des quelque 250.000 tonnes produites en Europe mais là n'est pas l'essentiel, affirme Karl Vogrincic, apiculteur à Mocna (nord-est).

- "Ruchers-cabanes" -

"L'apiculture, ce n'est pas une question de business, ni de quantité de miel", affirme ce solide sexagénaire piqué d'abeilles depuis l'enfance. "C'est une addiction: quand vous vous levez, vous allez tout de suite voir vos ruches et vous ne savez pas pourquoi."

"Quand vous commencez à observer les abeilles, c'est comme une addiction", fait écho Bostjan Noc, patron de l'association des apiculteurs slovènes. "Je ne connais aucun apiculteur qui ait pu arrêter."

Les professionnels slovènes aiment présenter leur savoir-faire comme un "style de vie" ancré dans la culture populaire. "L'apiculture est dans nos gênes", résume Bostjan Noc.

Elle est aussi ancrée dans le paysage de cette nation de deux millions d'habitants, à la nature préservée, où les ruches font partie du décor et dessinent un patchwork de tâches colorées dans les jardins, les champs, les forêts et désormais en ville.

Car les ruchers slovènes traditionnels ont la particularité de se présenter sous la forme de petites maisons multicolores ou de grandes commodes rectangulaires, qui empilent les cadres de bois comme des tiroirs, sous un toit destiné à les protéger.

Il y a encore plus spectaculaire: l'âge d'or de l'apiculture slovène, aux 18e et 19e siècles, a fait naître un art de la peinture sur les frontons des ruches qui a produit des milliers de tableaux naïfs, dont beaucoup continuent d'être entretenus et restaurés. Cet art populaire représente des épisodes bibliques ou historiques, des événements de la vie quotidienne, comme cette paysanne ramenant à la maison un mari passant trop de temps au café.

- Export de reines -

Et puisque rien n'est trop beau pour l'abeille slovène, le pays est le seul en Europe à strictement protéger son espèce autochtone – la carniolienne. Présente dans une large partie de l'Europe Centrale – de l'Italie du Nord à la Roumanie - la carniolienne tire son nom de sa région d'origine, le Duché de Carniole, territoire de l'Autriche impériale qui correspond à l'actuelle Slovénie.

C'est la seule espèce d'abeille autorisée dans les ruchers slovènes par le ministère de l'Agriculture. Celui-ci a mis en place une sélection et un contrôle très strict des populations.

La carniolienne "ressemble aux Slovènes", assure sans ciller Karl Vogrincic: elle est "modeste, douce, économe en nourriture, et relance rapidement la population de ses travailleuses au printemps".

Son tempérament peu agressif a fait de cette espèce un succès d'export. Dans le sillage des enseignements d'Anton Jansa, les Slovènes, à l'époque de la monarchie austro-hongroise, ont vendu des colonies d'abeilles dans le monde entier et continuent d'exporter une partie de leurs reines.

La douceur de la carniolinienne en fait aussi une partenaire idéale pour l'apithérapie et l'apitourisme, un secteur en plein boom dans le pays, qui surfe sur la vague des produits naturels.

Dans la cabine-rucher "thérapeutique" de Karl Vogrincic, les visiteurs peuvent respirer l'air, réputé soigner les maladies pulmonaires, produit par l'activité des abeilles qui bourdonnent à quelques centimètres. Ils peuvent aussi piquer un somme sur une couchette installée au-dessus des ruches.

Si la Slovénie n'est pas épargnée par les conséquences de l'usage des pesticides, de l'agriculture intensive et du changement climatique qui déciment les populations d'abeilles dans le monde, "la prise de conscience, consacrée par la journée internationale du 20 mai, ne cesse de grandir", assure Bostjan Noc.

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