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La galère de Sandra, prof' temporaire à temps partiel: "Je dois vivre tout l'été avec 25% de mon salaire total"

Sandra est peut-être en congé durant l’été, mais son salaire ne fait pas rêver : “Je touche 50% de ma rémunération fin juillet et 150% fin août, tout ça parce que les administrations sont incapables de s’organiser”, estime-t-elle. En effet, les enseignants temporaires à temps partiel sont payés par la Fédération Wallonie-Bruxelles d’une part et par l’ONEM d’autre part (via leur organisme de paiement). Et chaque entité a son système de fonctionnement. Explications.

Beaucoup envient les deux mois de congé dont profitent les enseignants et instituteurs durant l’été. Mais ce que moins de personnes savent, c’est que dans le cas des enseignants temporaires à temps partiel, cette pause bien méritée peut revêtir un important désavantage au niveau salarial. En effet, leur paie n’est pas équitablement répartie sur les deux mois de congé. “Je dois vivre tout l’été avec la moitié d’un salaire, nous apprend via Alertez-nous une enseignante remplaçante, préférant garder l’anonymat, et que nous appellerons Sandra. Le reste n’est payé que fin août. Franchement, avec un compagnon aux études et un enfant à charge, c’est très très difficile de vivre décemment au mois de juillet”.

Le problème? Deux administrations différentes paient ce salaire d’été et elles s’organisent différemment

“C’est tout à fait vrai, confirme Joseph Thonon, secrétaire fédéral de la FGTB enseignement. Nous sommes interpellés relativement couramment à propos de ce problème. Pour ces personnes, le mois de juillet est un mois difficile”. L’explication tient au fait que le salaire des enseignants temporaires (donc, qui ne travaillent pas toute l’année, mais remplacent par exemple un professeur absent durant quelques mois), est géré par deux entités différentes qui ont une organisation propre.

D’abord, il y a la Fédération Wallonie-Bruxelles. Durant l’été, la Fédération délivre à l’enseignant temporaire son salaire calculé sur base de ce que le professeur a presté pendant l’année. Dans le cas de Sandra, qui a travaillé 5 mois l’an dernier, cela donne une rémunération d’environ 30 jours sur 60. Point important: la FWB ne verse pas ce salaire fin juillet. Elle répartit la somme sur les deux mois d’été et en verse la moitié fin juillet et l’autre moitié, fin août.

Ensuite, il y a l’ONEM, puisque, au 30 juin, l’enseignant reçoit un C4 et peut donc prétendre à une allocation de chômage. Le hic? La caisse d’allocation de chômage ne répartit pas les allocations sur les deux mois d’été: via l’organisme de paiement de l’enseignante, elle les verse à la fin du mois d’août. Et c’est logique: il faut attendre que le droit au chômage soit ouvert pour Sandra. Et ce moment n’arrive qu’à l’issue des 30 jours couverts par la rémunération de la FWB (bien que versée en deux temps!), c’est-à-dire le 1er août environ. C’est ainsi que Sandra se retrouve avec 50% de son salaire fin juillet (la moitié de sa rémunération FWB), et 150% fin août (l’autre moitié de sa rémunération FWB additionnée à son allocation de chômage).  

Serait-il possible d’articuler les deux paiements? La réponse de la ministre Schyns

Sandra critique l’absence d’articulation entre le paiement de la Fédération Wallonie-Bruxelles et celui des allocations de chômage. Le problème est-il connu au cabinet de la ministre de l’Enseignement? "Nous sommes au courant du problème, affirme Olivier Laruelle, responsable communication du cabinet de la ministre Marie-Martine Schyns. Auparavant, les enseignants temporaires recevaient l'entièreté de leur salaire fin août. Des efforts ont été faits, mais en ce qui concerne les temporaires à temps partiels, la situation doit être examinée".

Sandra: “J’ai travaillé, j’ai le droit d’être payée en temps et en heure”!

En attendant, Sandra et les enseignants temporaires à temps partiels doivent donc se débrouiller. “Il est vrai que nous mettons en garde nos affiliés en leur disant ‘Attention, le temps que votre ouverture au chômage se fasse, vous risquez de connaître une période creuse’, explique Joseph Thonon. Et nous leur conseillons de mettre de l’argent de côté durant l’année pour y faire face”. De bons conseils qui ne sont pas arrivés aux oreilles de Sandra, pourtant affiliée à la FGTB. “On n’est pas du tout informés par rapport à ça quand on sort de l’école, affirme-t-elle. Quand j’ai commencé à travailler, certains profs m’ont prévenue parce qu’ils avaient eux-mêmes eu le problème”.

Et quand bien même, la jeune enseignante critique le fait de devoir assumer les conséquences de ce qu’elle perçoit comme un manque de coordination entre les différentes administrations. “Je considère qu'ayant travaillé, j'ai le droit de toucher mon salaire en temps et en heure, revendique-t-elle. Je trouve donc leur discours inacceptable. Nous, jeunes enseignants, nous n'avons pas à souffrir du manque d'organisation des administrations. Certains jeunes habitant chez leurs parents le ressentent peut-être moins ou pourront plus facilement économiser comme ils le disent, mais tiennent-ils compte des personnes qui ont une famille à charge et un loyer à payer?”.

Instabilité financière: les jeunes enseignants temporaires sont-ils contraints de retourner vivre chez leurs parents?

Car la situation de Sandra n’est pas celle d’une jeune fille vivant chez ses parents. Elle a une famille à charge. “Mon compagnon termine ses études et nous avons un enfant. Mon salaire nous fait vivre tous les trois”, témoigne-t-elle. Il y a donc le loyer à payer, les charges, la nourriture. Sans compter les imprévus. “Ce mois-ci, on a eu une taxe poubelle à payer: 150€. Puis, on a dû aller à l’hôpital et chez le dentiste pour notre enfant. Aussi, on a dû déménager dans un autre logement: tout cela coûte beaucoup. L’argent part vite, c’est difficile d’économiser”.

Par ailleurs, durant l’année, la paie vient parfois à la fin du mois suivant. “Tout ce qui n’est pas signé avant le 15 du mois est reporté”, témoigne Sandra. Exemple: vous travaillez entre le 16 et le 31 janvier en tant qu’enseignant temporaire? Vous serez normalement payés fin février. “Certaines écoles font des avances sur salaire, car elles connaissent bien le problème, explique Sandra. Mais d’autres n’acceptent pas de le faire et nous laissent nous débrouiller. C’est ça qui est difficile dans l’enseignement : le manque de stabilité. Comme tout le monde, on aimerait bien pouvoir compter sur une rentrée d’argent régulière”.

Pour Sandra, il revient aux pouvoirs publics de trouver une solution

Sandra met les administrations devant leurs responsabilités. Elle estime qu’elles doivent s’accorder pour trouver un moyen de pallier ce problème. “Pourquoi ne prennent-ils pas en compte la façon dont on est payés?”, questionne la jeune femme. "Je vais évoquer cette question précise lors d’un prochain comité de concertation avec le fédéral", promet la ministre, par voie de communiqué.

Cette situation donne à Sandra un sentiment amer. “Quelque part, ça me dégoûte, confie-t-elle. On dit partout qu’il s’agit d’un métier en pénurie mais quand on passe par tout ça, on se dit qu’on serait mieux avec un autre job”.

Sandra va-t-elle jeter l’éponge et changer d’emploi?

Jusqu’à présent, Sandra a réussi à s’organiser. Notamment en comptant sur l’aide de sa belle-mère. “Pourtant, elle ne roule pas sur l’or, commente la jeune enseignante. Mais on a pu vivre chez elle un temps, pour faire des économies. On n’y serait jamais arrivés sinon”.

La jeune femme dit aimer son métier. L’instabilité financière liée à son statut d’enseignante temporaire aura-t-elle raison de sa motivation? “Non, je tiens le coup, répond Sandra. Ce n’est pas un métier facile, ça demande beaucoup de préparation, d’énergie, de patience, mais c’est le métier que je veux exercer”.

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