Accueil Actu

4.000 porcs euthanasiés pour éviter la peste porcine: "Les éleveurs sont assez remontés"

Les éleveurs se montrent lundi à la fois surpris et inquiets face à la volonté du ministre fédéral de l'Agriculture, Denis Ducarme, de condamner les porcs domestiques élevés à l'intérieur de la zone sécurisée de 63.000 ha, délimitée après la découverte de neuf cadavres de sangliers infectés par la peste porcine africaine dans le sud du pays. Si le ministre a prévu d'indemniser les exploitants, le manque à gagner sera-t-il correctement compensé? , s'interrogent de concert la Febev, la FWA et la Fugea, contactées par Belga.

Euthanasier quelque 4.000 porcs pour prévenir toute propagation du virus parmi les cochons d'élevage, l'idée est accueillie avec tiédeur par les représentants des trois associations. Voire avec une sévère froideur: le président de la Fédération unie de groupements d'éleveurs et d'agriculteurs (Fugea), Philippe Duvivier, qualifie ainsi la mesure d'"absurdité totale", alors que les sangliers, source du virus, ne sont pas concernés par celle-ci.

"On est assez remontés parce qu'on ne comprend pas, monsieur Ducarme a pris cette décision d'abattage sans concertation du secteur agricole, et deuxièmement, on sent bien que monsieur Ducarme est sous l'influence de l'agro-industrie flamande, et pour nous, c'est suivre aveuglément le capital", a-t-il déclaré au micro de notre journaliste Aurélie Henneton.


"Les éleveurs se demandent pourquoi"

"Nous, ce qu'on veut absolument, c'est effectivement, qu'il y ait une indemnité, mais ce qu'on ne compte pas, c'est que ce ne sont pas des élevages industriels, ce sont des élevages de porcs en plein air, où justement l'indemnité doit être beaucoup plus forte, ou un expert doit venir sur place et voir chaque élevage, car la génétique, ça ne se fait pas en deux mois, mais au bout de longues années, et les éleveurs se demandent pourquoi on va abattre leur porc", souligne Philippe Duvivier. "Ce qui pose problème, c'est qu'on prend une décision sans le secteur agricole, on nous dit, il faut éradiquer, l'Europe est d'accord. A un certain moment, ces gens-là qui sont souvent dans un circuit classique, OK, on va indemniser correctement. Mais ceux qui sont dans un autre circuit, comme le bio, le plein air, ces gens-là on la génétique à payer, c'est différent de donner de l'argent comme ça. Il faut indemniser correctement, de façon juste, ces éleveurs".


"On va leur dire stop aujourd'hui"

Selon lui, il n'y a pas que le revenu, il y a aussi le manque à gagner. "On va leur dire stop aujourd'hui, et trois mois plus tard, qu'est-ce qu'ils vont faire? Ce sont toujours des éleveurs qui sont en circuit court, et ils doivent arrêter du jour au lendemain leur activité? Et après, la confiance du consommateur? C'est très dur. Je pense qu'on a agi sans penser à tous ces éleveurs qui sont très proches du consommateur et du citoyen".


"Les mesures fortes doivent être bien ciblées"

"Nous recherchons effectivement une solution à court terme pour rassurer les importateurs de porcs au sein de l'UE", concède Michael Gore, administrateur délégué de la Fédération belge de la viande (Febev). L'abattage de porcs sains constitue cependant "une solution de dernier recours", estime-t-il. "On attend de nous des mesures fortes mais elles doivent être bien ciblées", poursuit M. Gore. "Il faudrait d'abord voir si la zone peut être affinée, afin de diminuer l'impact sur les exploitants." Les neuf sangliers contaminés ont en effet tous été découverts dans un périmètre de 300 ha, affirme Benoît Petit de l'association de défense des chasseurs Royal Saint-Hubert Club de Belgique, alors que la zone de sécurité couvre 63.000 ha.


"C'est radicale"

Aucun cas de peste porcine africaine, une maladie non transmissible à l'humain, n'a par ailleurs été détecté parmi les porcs d'élevage en Belgique. "La viande est propre à la consommation", rappelle le représentant de la Febev. "Une autre piste face à la méfiance des pays tiers serait de se concerter avec la grande distribution et les boucheries pour déterminer s'il est possible d'écouler cette viande par ce biais." "La mesure est radicale", s'étonne également le secrétaire général de la Fédération wallonne de l'Agriculture (FWA), Yvan Hayez. "Sur le plan sanitaire, elle peut se comprendre mais, économiquement, que va-t-il advenir de ces exploitations porcines quasiment condamnées, alors qu'elles ne sont pas infectées? "

L'indemnisation des éleveurs porcins au sein de la zone de sécurité a été assurée par le ministre Ducarme et devrait provenir à parts égales du Fonds fédéral de Santé animale et de la Commission européenne. L'annonce ne rassure cependant qu'à moitié le secteur. Le président de la Fugea pointe la difficulté d'estimer la valeur exacte d'un animal. "Avec l'abattage de porcs bio, élevés en plein air, c'est tout un bagage génétique qui se perd, au contraire des porcs industriels où seule la génération concernée est condamnée." Pour Philippe Duvivier, en plus d'une indemnisation correcte, il faut donc assurer aux éleveurs un revenu de remplacement le temps que la crise se résorbe. Yvan Hayez souligne par ailleurs que la mesure compensera certes la perte d'une truie sacrifiée, mais pas celle des porcelets qu'elle aurait pu mettre bas.


"Que se passera-t-il si une zone plus dense est affectée?"

Michael Gore craint en outre que l'euthanasie des animaux comme mesure préventive ne crée un précédent. "Aujourd'hui, la zone touchée est vaste et contient très peu (58, NDLR) d'exploitations. Que se passera-t-il si une zone plus dense est affectée? ", interpelle-t-il. Une inquiétude partagée par la FWA. "Si la crise frappe le secteur à plus grande échelle, quelles sont les garanties que les indemnisations suivront? ", complète M. Hayez, qui tempère néanmoins en ajoutant qu'"on n'en est pas encore là".

Selon M. Duvivier de la Fugea, le gouvernement flamand devrait faire un geste au niveau fédéral puisque, estime-t-il, l'euthanasie des porcs wallons a été décidée pour calmer les inquiétudes des exploitants porcins du nord du pays, qui représentent 90% du secteur. "En Wallonie, l'élevage est plus environnemental. Les producteurs wallons auront beaucoup plus de mal à se remettre d'un tel coup dur."

Les trois représentants regrettent enfin le manque de concertation du ministre vis-à-vis de cette mesure et estiment donc que d'autres pistes peuvent encore être envisagées. Des consultations sont prévues avec le secteur, notamment ce lundi après-midi au cabinet du ministre wallon de l'Agriculture René Collin.

 

À lire aussi

Sélectionné pour vous