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Nadine, ancienne banquière liégeoise, s'est fait voler 47.000€ via une sombre plateforme de cryptomonnaie: "C'était toutes mes économies"

À cause des faibles taux d'intérêt des comptes épargnes, Nadine (nom d'emprunt) s'est laissée tenter par un investissement dans les cryptomonnaies, via un nouveau site web. De mois en mois, elle a versé des sommes importantes sur des comptes en banque au Portugal et en Allemagne. Elle n'en reverra certainement jamais la couleur, même si deux dossiers sont ouverts au parquet de Bruxelles.

Les escrocs sont sans pitié. Dès qu'une tendance liée à l'économie ou aux finances se dégage, c'est l'occasion pour eux de piéger de nouvelles victimes. En 2017, on a beaucoup parlé des cryptomonnaies, dont le fameux Bitcoin, qui a pris rapidement de la valeur jusqu'à en faire une 'bulle' financière (voir notre analyse avec un expert: "Les 7 mythes du Bitcoin").

Pas étonnant, dès lors, que certains aient pensé à mettre sur pied des plateformes d'investissement liées à ces monnaies virtuelles. Derrière, ce sont les mêmes procédures bien huilées qui ont déjà arnaqué de nombreux Belges, dont Etienne et Bernard, qui à l'époque (en 2016) nous avaient confié leurs histoires. A savoir: des entreprises (peut-être toujours basées à Tel-Aviv en Israël) capables de créer des sites web à l'apparence fiable, et surtout engageant des francophones peu scrupuleux pour embobiner des personnes peu habituées à l'usage d'internet et ayant des connaissances limitées en finances.

Nos mises en garde et l'interdiction formelle de la FSMA (l'autorité belge des marchés financiers) de proposer des produits d'investissements de la sorte en Belgique, ont sans doute évité quelques arnaques. Mais Nadine (nom d'emprunt) n'était pas au courant, et est bien tombée dans le piège. "J'ai perdu toutes mes économies, soit 47.000€", nous a-t-elle expliqué. Voici son histoire.

J'avais vu divers reportages à la télévision sur le Bitcoin, donc ça suscitait ma curiosité

Pourquoi a-t-elle investi dans ce domaine ?

Tout a commencé en février dernier. Nadine, la soixantaine, qui habite en région liégeoise, reçoit des emails promotionnels d'une société baptisée Cryptos-Investing. "C'était simplement une publicité, avec quelques explications sur leurs activités liées aux cryptomonnaies. Il y avait un bouton de contact, alors j'ai envoyé un email pour avoir des informations".

Pourquoi cet intérêt soudain ? "J'avais vu divers reportages à la télévision sur le Bitcoin, donc ça suscitait ma curiosité". Nadine avait à l'époque d'autres produits d'investissement traditionnels auprès de sa banque, et voulait essayer autre chose, avec ce qui lui restait de l'argent de son assurance-groupe. Cela lui paraissait logique que des investissements liés aux monnaies virtuelles se fassent en ligne.

"Très vite, une certaine Martine Fleury, soi-disant 'Analyste en cryptos monnaies', m'a donné des renseignements complémentaires". Nadine tente le coup. "Je me suis dit que j'allais essayer avec 1.000 euros, d'abord. Ce n'est pas encore trop grave au niveau du risque. Martine Fleury m'a donné les coordonnées bancaires d'une banque au Portugal, où j'ai donc versé les 1.000 euros".

Le piège peut lentement se fermer sur notre témoin. Qui pourtant, a travaillé dans le secteur bancaire. "Tous mes interlocuteurs parlaient très bien le français, et maîtrisaient le jargon financier, ils avaient tous l'air de savoir de quoi ils parlaient".

Un simple accès à des graphiques…

Nadine ne sait pas vraiment ce qu'elle a fait avec ces 1.000€, à part "investir dans le Bitcoin". Pensait-elle en avoir acheté, ou avoir confié cette somme à des investisseurs qui misent sur l'évolution des cryptomonnaies ? Elle ne s'en souvient pas précisément.

"Après avoir payé, dans un email de confirmation de mon versement, il y avait un lien qui permettait d'aller sur la plateforme de cryptos-investing.com. Je voyais alors toute une série de graphiques. Ça avait l'air d'être en temps réel sur le cours du Bitcoin et d'autres devises".

Nadine va ensuite consulter son compte, et constate qu'il grandit très lentement. "Ça montait dans un rythme normal. Mes 1.000€ valaient 1040€, etc… C'était coté en Bitcoin, et je n'arrivais pas bien à savoir quels calculs je devais faire pour convertir en Euros".

Preuve que l'arnaque s'adresse à des néophytes assez crédules, un des interlocuteurs de Nadine qui se fait passer pour "son gestionnaire", "lui donne la formule" pour convertir, alors que le cours du Bitcoin évolue sans cesse et parfois brutalement, car il dépend de l'offre et la demande (il y a un nombre limité de bitcoins).

Dans la correspondance que Nadine nous a transmise, on constate également un grand amateurisme dans le style d'écriture, les liens explicatifs du business de Cryptos-investing.com (des reportages sur le Bitcoin, des prévisions de croissance, rien de concret), la mise en page des emails, les formulaires tapés à la main. Pour une personne peu habituées au web et aux emails, ça peut sembler authentique. Mais un œil un peu plus averti s'attend à autre chose d'une plateforme sur laquelle on investit des milliers d'euros…

Sa méfiance agace son interlocuteur, on lui passe le "directeur financier"

Ces 1.000€ qui évoluent lentement ne sont qu'un hameçon pour mieux voler Nadine. "On m'a contactée ensuite pour me proposer un livret de compte qui me rapporterait, sur 6 mois, du 6%". Comme il s'agit d'un produit bancaire plus traditionnel, Nadine, qui rappelons-le a travaillé durant une grande partie de sa carrière dans une banque, devient suspicieuse.

"Je me suis alors renseignée auprès de Test-Achats, qui m'a dit qu'ils ne trouvaient pas la société, ni si elle était enregistrée quelque part". Mais Nadine a affaire à des professionnels de l'arnaque. "Quand j'ai eu mon gestionnaire, il avait toujours une réponse à me donner. Ce sont des Français, et ils avaient l'air très expérimentés. J'avais même l'impression que c'étaient des anciens traders qui avaient créé cette société-là à Londres".


Dans un email également, un des escrocs perd patience

Les questions de Nadine finissent par agacer. "On a coupé court à la conversation". Les escrocs appliquent alors la procédure habituelle: c'est un autre qui prend le relais. "Un certain Eric Delmotte m'a appelé. Il se présentait comme directeur financier de la société, un titre important pour flatter, sans doute. Et je me suis laissée entraîner". Si cryptos-investing.com est effectivement ce qu'on appelle un "loup de Tel-Aviv" (voir l'article du Times of Israël ou le reportage d'Envoyé Spécial), il s'agit probablement d'un groupe de jeunes multilingues rassemblés dans un même bureau à l'apparence normale d'un call-center. Et qui gèrent des arnaques comme on gère un business, avec des procédures, des objectifs, etc.

D'ailleurs, le nom de domaine Cryptos-investing.com a été ouvert en janvier 2018, via un hébergeur américain bien connu (GoDaddy). Dans la correspondance, pour rassurer, les interlocuteurs de Nadine lui envoient des liens vers les informations officielles de la société, mais ils pointent vers Crypto Facilities Ltd, une vraie entreprise londonienne vers laquelle renvoient de nombreux autres sites d'arnaque…

Profiter du "cryptos flash": elle pense avoir 106.000 euros

Profitant d'avoir regagné la confiance de sa victime, le directeur financier de Cryptos-trading.com lui propose d'investir nettement plus dans "le cryptos-flash, une opération qui rapporte beaucoup mais qui n'a lieu que tous les quatre ans". Son interlocuteur "est exalté, et il me transmet son enthousiasme", dit Nadine, qui avait donc vraiment envie d'y croire…

Au mois de mai, "j'ai mis 5.000, et puis 5.000, et puis encore 5.000". Notre interlocutrice est prise dans la frénésie du gain. "Sur la plateforme où mon compte était très clairement détaillé, je voyais les montants versés, mes gains. Dans ma situation, fin du mois, je pouvais voir que j'avais 106.000 euros. Tout avait l'air très professionnel, très authentique".

Les escrocs savent qu'ils ont déjà gagné beaucoup d'argent, et que ça va peut-être continuer. Ils font donc un geste pour la mettre en confiance, et pour qu'elle investisse toujours plus: pour lui prouver qu'il est possible "et très facile" de retirer ses gains, son interlocuteur lui fait un versement de 850€, "comme ça je pouvais constater que les versements dans les deux sens étaient possibles".


L'offre 'Cryptos Flash', au look très amateur...

Elle veut retirer une partie de ses gains pour partir en vacances: tout se complique

Tant que les victimes injectent de l'argent, les escrocs sont bienveillants, aimables au téléphone, entretiennent des contacts fréquents et presque amicaux. Mais dès qu'il est question de retrait d'argent, les choses se compliquent.

"Le 14 juin, je devais partir en vacances. Sur la côte italienne, à Gênes. Je dis alors à Eric Delmotte que j'aimerais récupérer une partie de mon bénéfice. Ou au moins ce que j'avais investi. Il me dit que c'est bien sûr possible. Et il me transfère au collègue qui s'occupe de la comptabilité". Nouvelle preuve qu'on est dans les mêmes procédures que les vieilles arnaques à l'investissement en ligne: la gentille personne passe la main à une autre, nettement moins agréable.

Nadine apprend que pour récupérer son argent, il y a "une taxe à payer", et que "c'est nouveau". Etonnée, elle l'est encore plus quand on lui demande si elle préfère "payer la taxe anglaise de 18% ou la taxe européenne, dans les 30%". On nage en plein délire, et ça continue. "Je devais encore verser dans les 20.000€ pour payer cette taxe". Nadine demande à ce que cette somme soit prélevée sur son compte qui affichait alors 106.000€, mais on lui dit que "ça n'est pas possible".

En dépit du bon sens et dos au mur, elle verse une dernière fois de l'argent, cette fois sur un compte en Allemagne, pensant libérer son argent.

Mais ça ne suffit pas. Les escrocs n'ont jamais eu l'intention de lui rendre un euro. "Ils m'ont alors parlé d'une commission, d'une taxe libératoire, etc…". Le franc de Nadine finit par tomber. C'était le jour avant mon départ, et j'ai bien senti que je ne récupérerai jamais mon argent".

Ses vacances furent gâchées. "En tout, j'en suis à une perte de 47.000€". A son retour, elle tombe sur d'autres interlocuteurs, des escrocs éhontés. "Je leur ai dit que j'avais perdu toutes mes économies, et ils m'ont dit que leurs collègues avaient détourné des fonds et qu'ils étaient les médiateurs. Ils avaient soi-disant retrouvé 22 dossiers dont le mien. Mais je devais verser 29.000€ pour récupérer mes capitaux. Je les ai gentiment éconduit…"

Un dossier est ouvert au parquet de Bruxelles

Dès qu'elle a retrouvé ses esprits et compris qu'elle avait été victime d'une sombre arnaque et perdu des dizaines de milliers d'euros, Nadine s'est tournée vers la FSMA, l'autorité belge des marchés financiers. Celle-ci lui donne des explications sur ce qui lui est arrivé, des liens et des contacts pour entamer des démarches officielles auprès de la justice, et des conseils pour ne plus se faire avoir.

"J'ai transmis toutes les informations au parquet de Bruxelles, où un dossier est ouvert, mais je n'ai pas de nouvelle de leur part", nous a-t-elle confié.

Nous avons contacté le procureur du roi pour en savoir plus. Comme on l'imagine, et vu le nombre de cas dont nous avons déjà parlé, "c'est un phénomène récurrent: de la publicité en ligne et sur les réseaux sociaux pour verser de l'argent sur des comptes européens, contre des cryptomonnaies ou même parfois des diamants", nous a expliqué Denis Goemans, porte-parole. "Il y a effectivement des contacts entre les escrocs et les victimes, mais dès qu'il est question de récupérer l'argent, tout disparait".

Concrètement, "il y a actuellement deux instructions en cours, et des devoirs d'enquête: on essaie de faire des liens pour remonter la filière". Hélas, "c'est toute la complexité de la criminalité informatique: nous n'avons pas toujours les outils adéquats, car par exemple les escrocs peuvent brouiller leurs adresses IP". Et avoir un numéro de compte européen ne facilite pas forcément les choses car "derrière, il y a souvent des sociétés à la structure très opaque, et pas des identités".

Il y a heureusement une cellule spécialisée, "la Computer Crime Unit", qui aura fort à faire dans ce dossier. "S'il estime que c'est nécessaire, le juge d'instruction peut demander des devoirs d'enquête dans d'autres pays, des commissions rogatoires internationales".

Le parquet insiste sur le fait que "le meilleur remède pour lutter contre ce phénomène, c'est la prévention", notamment les témoignages que nous mettons en lumière. Parlez-en autour de vous, surtout auprès des personnes plus âgées et/ou moins habituées à l'usage d'internet. N'oubliez jamais qu'investir en ligne doit se faire auprès de partenaires de confiance ayant pignon sur rue en Belgique (et donc l'autorisation de la FSMA). Et que même dans ce cas, il y a des risques…

Enfin, bonne nouvelle, même si on connait l'extrême mobilité des escroqueries et leur capacité à se réinventer d'un bout à l'autre du monde: Israël veut expulser ses "Loups de Tel Aviv", comme l'écrivait Les Echos l'an dernier.

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