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A Washington, émotion, humour et politique en hommage à une victime de l'homophobie

L'évêque n'a pas pu retenir ses larmes même s'il a réussi à faire régulièrement rire l'assistance: la cathédrale de Washington a rendu vendredi un hommage poignant mais aussi politique à Matthew Shepard, un jeune homosexuel dont la mort atroce en 1998 avait choqué les Etats-Unis.

"Il y a trois choses que j'aimerais dire à Matt: repose dans la douceur en cet endroit. Tu es en sécurité maintenant. Et Matt, bienvenue chez toi", a dit Gene Robinson, la voix étranglée par l'émotion, dans une homélie saluée par une standing ovation des centaines de personnes présentes.

C'est à la Washington National Cathedral, institution épiscopalienne de poids dans la capitale fédérale américaine, que les cendres du jeune homme ont été transférées dans l'intimité, un honneur rare.

Auparavant, entre chants et prières, une cérémonie publique en présence des parents de Matthew Shepard, Judy et Dennis, a célébré la vie de l'étudiant qui voulait devenir diplomate avant que son chemin ne croise celui de la violence.

Par un soir glacial d'octobre 1998, Matthew avait été entraîné hors d'un bar de Laramie, dans le Wyoming, par deux jeunes hommes. Après un trajet en voiture, ils l'avaient sauvagement frappé à coups de crosse de revolver avant de le laisser attaché à une clôture.

Il avait été retrouvé 18 heures plus tard, inconscient, et décédait quelques jours plus tard à l'hôpital.

- "Tous égaux" -

Dans un court discours, son père a remercié la cathédrale pour "avoir ouvert la voie" à "l'inclusion" en accueillant son fils.

"Matt aimait l'église, il aimait les cérémonies, il aimait le fait qu'il s'agisse d'un endroit sûr pour tout le monde", a dit Dennis Shepard.

"Notre famille est honorée et redevable envers vous qui êtes venus (...) honorer Matt et sa mémoire, son héritage, sa conviction selon laquelle nous sommes tous égaux", a-t-il ajouté.

"Il est tellement important que nous ayons maintenant une maison pour Matt, une maison qui est sûre, que d'autres peuvent visiter, qui soit à l'abri des porteurs de haine", a-t-il poursuivi.

Si la mort du jeune homme avait provoqué l'effroi en 1998, elle avait aussi donné lieu à des manifestations de haine. Ses obsèques avaient ainsi été perturbées par des militants chrétiens extrémistes proclamant que "Dieu déteste les pédés"; et de crainte que sa tombe ne soit profanée, ses parents avaient décidé de l'incinérer et de garder ses cendres.

Gene Robinson, premier évêque épiscopalien ouvertement homosexuel et proche des parents du jeune homme, a semblé répondre vendredi à ceux qui rejettent "la différence".

"Dieu a toujours aimé Matt (...), et je n'ai aucun doute sur le fait que Matt est au paradis", a-t-il lancé.

Entre deux anecdotes suscitant l'hilarité de l'assistance malgré l'émotion, l'évêque a aussi rendu hommage aux parents du jeune homme, qui auraient pu "faire leur deuil en privé" mais qui "ont décidé qu'ils allaient transformer cet évènement atroce en quelque chose de bien" en militant sans relâche contre l'homophobie.

- "Votez!" -

A une dizaine de jours d'élections parlementaires cruciales de mi-mandat, la cérémonie a aussi pris des accents politiques.

Après la mort de Matthew Shepard, les appels à durcir la législation fédérale concernant les crimes motivés par la haine de l'autre s'étaient multipliés. Ce fut chose faite en 2009, mais le risque d'un délitement des droits est réel, a averti l'évêque.

"En ce moment, la communauté transgenre est la cible" et des "forces aimeraient l'effacer de l'Amérique, lui dénier le droit à se définir", a-t-il déclaré.

"Elle a besoin que l'on se tienne à ses côtés", a-t-il ajouté en exhortant, sous les applaudissements, à "aller voter" le 6 novembre.

Ces craintes ont été ravivées par des informations de presse faisant état d'un projet de l'administration Trump de définir l'identité sexuelle d'un individu en fonction des seuls organes sexuels dont il était doté à la naissance, ce qui ôterait de fait aux personnes transgenres la possibilité de se faire reconnaître officiellement.

A la sortie de la cathédrale, pendant que les cloches sonnaient longuement et que certains essuyaient encore leurs larmes, Greg Fuller, un résident de Washington venu "célébrer" Matthew Shepard, a jugé cruciale la mobilisation par les urnes.

"Il y a trop de divisions, nous devons tirer les leçons de l'histoire", a-t-il dit à l'AFP. "Le climat politique actuel provoque encore plus de haine parmi les gens, et je pense que nous devons nous rassembler" et agir.

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