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Les Britanniques portent des coquelicots sur la poitrine pour l'Armistice: pourquoi cette fleur est-elle devenue un symbole?

Dans un atelier du sud-ouest londonien, des anciens combattants assemblent des coquelicots de tissu ou de papier qui fleuriront sur la poitrine de millions de Britanniques et les couronnes commémoratives pour l'anniversaire du 11 novembre 1918, symbole de solidarité patriotique ancré dans l'ADN du Royaume-Uni.

La Poppy Factory, petite fabrique dont la façade blanche s'élève depuis 1922 à deux pas de la Tamise, à Richmond, rémunère une trentaine de vétérans blessés ou souffrant de problèmes psychologiques, dans la continuité de l'objectif associé à sa création: offrir un emploi aux gueules cassées de la Grande Guerre.

Outre la satisfaction d'avoir retrouvé un emploi, "j'ai vraiment le sentiment de faire quelque chose dont je peux être fier. C'est important aussi de donner de soi, notamment en souvenir de tous les compagnons que j'ai perdus au fil des années", explique à l'AFP Alex Conway, 59 ans.

Alex Conway

Assis à un bureau, cet ancien de l'armée britannique et de la Légion étrangère assemble d'un geste rapide et précis des coquelicots rouges sur le support en plastique noir d'une couronne. Après une quinzaine d'années sous l'uniforme, qu'il a rejoint à 15 ans, et plusieurs missions en Afrique, il a vécu une transition "très difficile" dans le civil. Il y a seulement "un peu plus d'un an", un diagnostic de stress post-traumatique (PTSD) lui a permis de mettre un nom sur ses problèmes d'alcool et ses coups de colère.

Son salut, assure-t-il, il le doit à la Poppy Factory. "Nous passons de bons moments, nous rions, c'est de nouveau la camaraderie (...). Nous veillons aussi les uns sur les autres."


Fleur des tranchées

Dans une pièce adjacente, une machine découpe des pétales par centaines dans un rouleau de papier, qui seront assemblés sur un petit bloc de bois utilisable d'une seule main par des amputés. L'atelier a produit l'an dernier 7,6 millions de coquelicots du souvenir et 140.000 couronnes.

Ils font partie des quelque 40 millions de fleurs écoulées par la Royal British Legion durant la Campagne du coquelicot (Poppy Appeal) qui permet à cette organisation caritative de lever chaque année une cinquantaine de millions d'euros en deux semaines pour venir en aide aux anciens combattants.

Anonymes, responsables politiques, présentateurs télé, et même bus et taxis: difficile d'échapper à la vague rouge vif pour l'Armistice.


Pourquoi les coquelicots?

C'est au sortir de la Première Guerre mondiale qu'est apparu au Royaume-Uni le port du coquelicot, qui continuait à pousser sur les champs de bataille, comme l'écrit en 1915 le militaire canadien John McCrae dans son poème "Au champ d'honneur".

Au champ d'honneur, les coquelicots
Sont parsemés de lot en lot
Auprès des croix; et dans l'espace
Les alouettes devenues lasses
Mêlent leurs chants au sifflement
Des obusiers.

Nous sommes morts
Nous qui songions la veille encor'
À nos parents, à nos amis,
C'est nous qui reposons ici
Au champ d'honneur.

À vous jeunes désabusés
À vous de porter l'oriflamme
Et de garder au fond de l'âme
Le goût de vivre en liberté.
Acceptez le défi, sinon
Les coquelicots se faneront
Au champ d'honneur.

(Adaptation signée Jean Pariseau)

Face à l'ampleur du conflit, "les gens ont voulu se souvenir et faire leur deuil d'une manière inédite, il leur fallait y associer des symboles", explique Richard Hughes, conservateur à l'Imperial War Museum de Londres.



Blanc ou violet

Cette tradition a connu un nouveau souffle avec les interventions en Afghanistan et en Irak, où respectivement 454 et 179 militaires britanniques sont morts. "Quand des gens sont rapatriés dans des housses mortuaires ou des cercueils, ça frappe les esprits. Même s'ils ne reviennent que par un ou deux, et non par centaines ou milliers, cela fait réfléchir sur la signification de la guerre", poursuit-il.

Ce symbole est "tellement dans l'ADN de ce pays et son histoire que je ne pense pas que cette tradition disparaitra un jour", juge le conservateur. La Fabrique de coquelicots offre aussi une deuxième chance hors de ses murs. Depuis 2010, elle a aidé un millier de vétérans à trouver un emploi dans le civil.

 
Ancien chauffeur militaire ayant servi en Bosnie, Yvette Beer, 51 ans, a récemment trouvé un emploi de livreur, plus de vingt ans après sa révocation de l'armée à 29 ans en raison d'un AVC, qui lui a donné l'impression d'avoir été "jetée aux oubliettes".

Comme elle, Lee Matthews, 34 ans, se dit fier de voir les coquelicots aux revers des manteaux. Il a perdu des camarades en Irak en 2004 et vécu cloîtré des années, atteint de PTSD. Il serait "une épave" aujourd'hui sans l'aide de l'association. L'enthousiasme pour le coquelicot rouge ne fait pas pour autant l'unanimité. Certains préfèrent sa version blanche, symbole pacifiste distribué de manière beaucoup plus confidentielle, voire violette, en souvenir des animaux tués à la guerre.

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