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La majorité des coursiers belges de Deliveroo travaille sous le statut P2P: c'est quoi et pourquoi Jamal n'y a pas droit?

Pour arrondir ses fins de mois "parfois difficiles", Jamal voulait enfiler la tenue verte indigo de Deliveroo. Mais ce Marocain résidant en Belgique a vu sa demande confrontée à un refus. En cause, le statut sous lequel il souhaitait travailler. Selon la société Deliveroo, il ne présenterait aucune "sécurité juridique" tant pour elle que pour lui.

Jamal, un habitant de la Région bruxelloise, juge "honteuse" une réponse envoyée par Deliveroo suite à sa récente candidature pour devenir livreur. Il nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part de sa déception. Depuis 22 ans, ce Bruxellois de 42 ans travaille dans le secteur du transport et plus particulièrement comme chauffeur d’autocar. Après deux ans de CDD renouvelés dans sa dernière boîte, il décide de dire stop. Raison: toujours pas de contrat CDI en vue. Il en a marre. "En arrivant dans cette boîte, on m’avait expliqué que c’était le jeu des chaises musicales: quand une personne en CDI part, une autre en CDD récupère son poste. Mais après deux contrats d'une année renouvelés, des personnes arrivées après moi ont pu bénéficier d’un CDI. Alors, j’ai décidé de changer d’air".


"Pourquoi pas moi ?"

Jamal se retrouve au chômage. Pour autant, il ne baisse pas les bras et essaie de trouver une alternative pour arrondir ses fins de mois "parfois difficiles", selon ses dires. "Les soucis financiers s’accumulent, ils sont liés aux coûts de la vie comme les factures d’eau, Proximus, etc." Alors Jamal s’imagine en livreur Deliveroo pour gonfler ses allocations de chômage. Il a d’ailleurs récemment fait l’acquisition d’un vélo électrique à crédit. "A chaque fois que je voyais des livreurs de Deliveroo à des feux, je leur demandais des infos. L’idée me plaisait bien. En plus, je connais bien la ville, alors pourquoi pas moi?"


Deliveroo refuse la collaboration

En essayant de s’inscrire sur le site internet de Deliveroo, Jamal a été surpris de la réponse reçue par mail: "Malheureusement, nous ne pouvons pas travailler avec toi pour le moment. Deliveroo travaille avec un régime spécial pour l'économie collaborative. Les coursiers souhaitant travailler avec ce régime doivent être des citoyens de l'UE, de la Norvège, de l'Islande, de la Suisse." Jamal s’en indigne: "Je suis d'origine marocaine, né en Belgique avec 20 ans de travail derrière moi. Je trouve leur réponse honteuse à l'extrême. En quoi le fait de ne pas être européen m'empêcherait de travailler?", ajoute-t-il.


Trois statuts pour une seule activité

Né en Belgique, Jamal est de nationalité marocaine. Il est détenteur d’une carte électronique belge de type F+: carte de séjour permanent d’un membre de la famille d’un citoyen de l’Union européenne. Un statut qui permet de travailler en toute légalité pour un employeur en Belgique. Jamal bénéficie également d’une "carte professionnelle". Les ressortissants non-européens doivent disposer d'une telle carte pour exercer comme indépendant en Belgique. Alors comment expliquer ce refus ? Pour bien comprendre de quoi parle la société Deliveroo quand elle évoque un "régime spécial pour l'économie collaborative", intéressons-nous un instant aux statuts possibles pour travailler sous la bannière Deliveroo. Ils sont au nombre de trois.

  • Le premier est celui d’étudiants-entrepreneurs. Très peu sollicité, seuls 5% des 2600 livreurs Deliveroo en Belgique l’utilisent.
  • Le deuxième statut est celui d’indépendant. Le livreur est enregistré à la TVA. La gestion de tous les aspects financiers et administratifs est de sa seule responsabilité. Il s’assure lui-même, par exemple, du paiement de ses contributions sociales. Ce statut représente environ 10% de l’ensemble des livreurs Deliveroo en Belgique.
  • Enfin, le dernier statut est celui qui nous intéresse: celui de coursiers P2P (peer to peer). Ce statut est relatif à une loi de 2018 sur l’économie collaborative.

==> Que permet cette loi ? Elle offre un cadre fiscal aux personnes qui souhaitent fournir un service à une autre personne en toute légalité sur une plateforme agréée de l’économie collaborative, telle que Deliveroo, mais aussi Airbnb, Menu Next Door, etc. "De plus en plus de particuliers sont actifs dans le domaine de l’économie collaborative. (...) Cet agrément donne la possibilité aux particuliers, qui offrent leurs services dans le cadre de l’économie collaborative via une plateforme agréée, de bénéficier d’un régime fiscal favorable", explique le SPF Economie.

==> Quel est ce régime fiscal favorable ? Une personne qui travaille sous le statut "P2P" - soit comme 85% des livreurs Deliveroo - peut gagner 6.130€ par an net d’impôt. Attention, de ne pas dépasser ce montant au risque de connaitre des conséquences sur le plan fiscal. Il existe une série de conditions pour que le livreur puisse bénéficier de ce statut. Florence Angelici, porte-parole du SPF Finances, nous rappelle la plus importante: "Les services sont uniquement rendus à des particuliers qui n’agissent pas dans le cadre de leur activité professionnelle pour bénéficier de ce régime fiscal."


Pourquoi Jamal ne peut pas travailler en P2P: "Il y a une lacune dans la loi"

Quand Jamal a voulu rejoindre les rangs la société Deliveroo, sous le statut P2P, Deliveroo a mis le holà. A l’origine, "un flou dans le code du travail" selon Rodolphe Van Huffel, responsables des affaires chez Deliveroo. Il explique: "Pour les personnes étrangères détentrice d’une carte professionnelle, il n'y a aucun souci pour qu’elle travaille chez nous, mais sous le statut d’indépendant. En revanche, il n’est pour l’instant pas possible de bénéficier du statut P2P." Pourquoi ? "Il y a un risque. La loi n’est pas claire. Cela ne présente aucune sécurité sur le plan juridique pour nos livreurs comme pour nous. Il y a une lacune dans la loi. Nous sommes en discussion à ce sujet pour clarifier ce point. Chez Deliveroo, nous regrettons cette situation pour les détenteurs d’une carte professionnelle. On voudrait qu’il puisse bénéficier du statut P2P."

En attendant, Jamal accepte la situation. Mieux, il positive. "J’ai pris ce refus comme un signe. Pourquoi ne pas reprendre mon métier de chauffeur de car ? Ce que j’aime par-dessus tout, c’est les lignes internationales…"

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