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Orpheline à 14 ans, Scully raconte les difficultés d’une mineure mise en autonomie: "Je me sentais très seule et incomprise"

Après le décès de sa maman, Scully est devenue orpheline. Elle n’avait que 14 ans. Suite à ce drame, elle a vécu dans une institution de l’Aide à la jeunesse pour les jeunes en difficulté. A 16 ans, elle a été mise en autonomie et a loué un appartement. Comment cette adolescente en deuil a-t-elle vécu ces années d’indépendance précoce ? Et comment les autorités viennent-elles en aide à ces jeunes ?

De grands yeux bleus et une voix douce. Scully est une jeune femme fragile et forte à la fois. A 19 ans, elle désire témoigner. Raconter son histoire, celle d’une adolescente obligée de devenir une adulte précipitamment.

"Je fais partie de ces jeunes qui ont l'impression d'être oubliés, invisibles et d'être punis pour une situation qui n'est pas toujours de notre faute", déplore cette Carolo via notre bouton orange Alertez-nous.


"Elle était mon seul parent, j’ai donc tout perdu"

Il y a cinq ans, un événement tragique bouleverse sa vie. C’était en avril 2013. Sa maman décède d’un cancer généralisé. "Elle avait 50 ans et moi 14 ans. C’était très difficile car elle était mon seul parent. J’ai donc tout perdu. Je connais mon papa mais il ne s’est jamais occupé de moi", confie Scully.

Hébergée dans un premier temps par son oncle et sa tante, elle se rend avec eux au SAJ (service de l’aide à la jeunesse) de Charleroi. Interrogée sur ses envies, Scully répond qu’elle désire vivre chez sa marraine, une ex-belle-sœur de sa maman. "Je suis donc restée chez mon oncle et ma tante le temps des démarches auprès du SAJ et puis je suis allée habiter chez ma marraine, même si elle n’avait pas beaucoup de ressources financières", raconte la jeune femme.

Au niveau scolaire, Scully poursuit ses études à l’internat de Chimay, où tout se passe relativement bien. Le SAJ continue de suivre le parcours de l’adolescente, qui commence également à consulter une psychologue et un psychiatre pour tenter d’apaiser ses blessures liées au décès de sa maman.


Le SAJ lui propose une mesure de placement

Fin 2014, le SAJ lui propose une aide spécialisée, soit une mesure de placement dans un SAAE, un service d’accueil et d’aide éducative. Visiblement, le SAJ estime qu’une prise en charge à l’internat ne semble pas "suffisante" pour Scully qui est "en grande souffrance". De son côté, l’adolescente éprouve des difficultés à se livrer et ne se sent pas comprise.

"J’ai très mal vécu de perdre ma maman et cela ne se passait pas très bien lors des rendez-vous avec les assistants sociaux et les conseillers du SAJ. Du coup, ils ont décidé de m’envoyer dans un centre éducatif pour orphelins ou jeunes qui ont des soucis avec leurs parents ou commis des petits délits. Il se trouve à Florennes, dans la province de Namur", confie la jeune femme.

Les SAAE sont en effet destinés aux enfants victimes de négligences, de maltraitances ou d’abus sexuels. Ce sont des jeunes qui rencontrent des difficultés au niveau familial ou dont les parents ne parviennent pas à assumer leurs obligations familiales. Dans le nouveau code, ces SAAE s’appelleront plus simplement des services résidentiels. Au-delà de l’hébergement, ils apportent un encadrement éducatif et psycho-social à leurs résidents.


"J’ai fini par accepter d’aller vivre dans le centre"

"Je ne voulais pas y aller mais ils m’ont tellement mis la pression au SAJ que j’ai accepté. Pour eux, j’étais malade mentalement et j’avais besoin d’un encadrement adapté", assure-t-elle.

Dans tous les cas, le programme d’aide proposé par un conseiller SAJ est toujours consenti. Les parents ou les personnes qui exercent l’autorité parentale et le jeune qui a plus de 14 ans doivent donner leur accord. Par contre, le SPJ (service de protection judiciaire) applique lui une mesure judiciaire prise par un tribunal. Il s’agit donc d’une aide contrainte.

"Ici le conseiller SAJ estimait que la jeune était en danger. Comme elle avait plus de 14 ans, elle devait signer le document et donner ainsi son accord pour mettre en place le programme d’aide", souligne Marjorie Henriet, directrice pédagogique de la Cité de l’Enfance, un service résidentiel à Marcinelle qui fait partie de l’ISPPC (Intercommunale de Santé Publique du Pays de Charleroi).

En janvier 2015, un mois avant de fêter ses 16 ans, Scully débarque à Florennes. "Après mon arrivée dans le centre, les choses se sont dégradées. Le fait de changer d’école et de ville du jour au lendemain, cela m’a perturbée. Je pouvais heureusement toujours rentrer le weekend chez ma marraine", se souvient-elle.

Concrètement, Scully vit avec plusieurs adolescents dans une grande habitation. Encadrés par des éducateurs, ils se répartissent les tâches quotidiennes et dorment chacun dans leur chambre. "Parfois cette cohabitation est compliquée quand on n’a pas le même vécu. Mais cela s’est relativement bien passé, à part quelques coups de gueule comme entre frères et sœurs."


Scully insiste pour être mise en autonomie

Un projet de mise en autonomie est très vite évoqué. C’est l’une des mesures d’aide destinée aux mineurs en danger âgés de 16 ans minimum. Elle est octroyée via un conseiller du SAJ (aide acceptée) ou via un directeur du SPJ (aide contrainte).

Concrètement, cela leur permet d’acquérir une indépendance et de les préparer à l’âge adulte, notamment en trouvant un logement.

En septembre 2015, Scully quitte donc son service résidentiel à Florennes après un séjour de quelques mois. Elle est alors âgée de 16 ans et demi. "J’ai beaucoup insisté auprès du SAJ pour obtenir cette autonomie", indique la jeune femme.

"Les autorités mandantes, le SAJ ou le SPJ, se disent que cette situation est la plus adéquate pour le jeune qui ne peut pas être pris en charge par sa famille", explique Marjorie Henriet, directrice pédagogique de la Cité de l’Enfance.

En 2017, 726 jeunes de moins de 18 ans ont ainsi été pris en charge dans le cadre d’une mise en autonomie par des services agréés de l’Aide à la Jeunesse.

Ces services accompagnent donc ces jeunes jusqu’à leur majorité. Les éducateurs les aident dans leurs démarches administratives, scolaires, etc. Chaque service a ses propres particularités et ses règles de fonctionnement reprises dans son projet pédagogique.

A la Cité de l’Enfance, cette autonomie est préparée quand elle est envisagée assez tôt. Le service a la chance de posséder cinq appartements qui permettent de ne pas devoir orienter tout de suite le jeune vers le parc immobilier privé. "On parle alors de semi-autonomie puisque ces logements gérés par nous se trouvent à proximité et que les éducateurs passent plus régulièrement. On travaille avec eux la gestion de budgets, la scolarité, l’hygiène, etc. C’est important pour nous, quand c’est possible, de travailler cette autonomie petit à petit comme dans les familles ordinaires", estime Marjorie Henriet.


"Cela a été le parcours du combattant pour me domicilier"

Mais tous les services ne disposent pas des mêmes ressources pour préparer cette autonomie. Et certains de ces jeunes se sentent livrés à eux-mêmes, malgré les contacts réguliers avec les éducateurs référents. C’est le cas de Scully. La jeune femme n’a pas eu l’impression d’être soutenue suffisamment lors de cette étape avant l’âge adulte. "On nous prend pour des enfants mais on doit agir comme des adultes. C’est difficile et ça fait mal", confie-t-elle.

Première étape pour l’adolescente: trouver un logement. Scully doit chercher un appartement. Elle trouve finalement un kot à Charleroi qu’elle partage avec deux colocataires, en respectant un certain budget octroyé par l’administration.

La jeune femme ne semble pas avoir eu trop de difficultés à signer le bail. Un mineur peut en effet légalement signer un bail locatif tant que le contrat ne lui porte pas préjudice. Par exemple si le montant du loyer est disproportionné par rapport à la valeur du logement. Dans ce cas, le bail peut être cassé à tout moment par un juge de paix. Beaucoup de propriétaires demandent toutefois une preuve de revenus suffisants ou la signature d’un majeur qui se porte garant."Pour la garantie locative, le SAJ m’a donné l’autorisation de retirer 600 euros sur mon compte pour payer cette caution", explique-t-elle.

Par contre, Scully a eu beaucoup de peine à se domicilier. "Cela a été le parcours du combattant. J’ai été à la commune où on m’a dit qu’il fallait la présence d’un adulte responsable car j’étais mineure", explique-t-elle.


Qui est responsable d’elle ?

Ne sachant pas vers qui se tourner, puisqu’elle n’a pas de tuteur officiellement, Scully est désemparée. Qui est responsable d’elle ? Elle pose la question aux éducateurs de son service résidentiel qui lui demandent finalement de s’adresser à son conseiller SAJ.

"Apparemment, comme il n’a pas voulu se déplacer à la maison communale, il a écrit une lettre. Quand j’ai pu enfin l’obtenir, je suis retournée à la commune qui a appelé mon conseiller pour avoir sa confirmation par téléphone. Là je devais donc espérer qu’il décroche et croiser les doigts pour que la commune accepte. Bref, tout cela a pris du temps. J’ai déménagé en septembre 2015 et j’ai été domicilié en avril 2016", souffle-t-elle.

Scully prend aussi l’exemple de la difficulté d’obtenir une autorisation pour un voyage à l’étranger avec l’école. "Là encore il fallait qu’un parent ou une personne responsable signe."

Visiblement, la situation de la Carolo n’est pas habituelle. "Au niveau de la responsabilité, c’est le principe de l’autorité parentale. La personne qui la détient reste ainsi responsable, même en cas de placement. Surtout dans le cadre du SAJ puisqu’il faut l’accord des parents. La plupart d’entre eux ne sont pas déchus et signent donc des autorisations de voyage par exemple. Dans le cas de cette jeune fille, la justice de paix aurait dû désigner un tuteur au moment où elle est devenue orpheline", indique Marjorie Henriet, directrice pédagogique de la Cité de l’Enfance.

Mais visiblement cela n’a pas été le cas pour Scully. Un conseiller SAJ peut alors être désigné tuteur. "C’est très compliqué car c’est à lui de prendre une décision. Et ce n’est pas simple", regrette l’adolescente.


L’adolescente triple sa 5e secondaire

Les démarches administratives sont donc lourdes pour la jeune femme. Et la gestion des tâches quotidiennes est également compliquée pour elle. Ce qui a un impact direct sur sa scolarité. Quand son projet de mise en autonomie débute, en septembre 2015, elle commence sa 5e année secondaire. Une année qu’elle va tripler. "On ne nous apprend pas à bien gérer notre temps. Quand on rentre de l’école, on doit faire des courses, faire à manger et étudier. On n’a plus un repas chaud qui nous attend comme dans le centre. Et c’est compliqué quand on est lâché comme ça d’un coup", confie Scully, qui révèle aussi avoir été victime d’harcèlement scolaire.

Visiblement, la visite hebdomadaire des éducateurs ne l’aide pas suffisamment. Selon elle, ils ne mesurent pas son désarroi et surtout ne répondent pas à ses attentes. "Je me sentais très seule, incomprise. Tout ce qu’on fait, on le fait mal. On a le sentiment de ne pas être soutenu."

Le bien-être social et psychologique de ces jeunes confrontés très tôt à la solitude et à la débrouille est donc interpellant.


Autre souci: les difficultés financières

Parallèlement, il y a aussi un autre souci pour ces mineurs en autonomie épinglée par Scully: les difficultés financières.

Selon Marjorie Henriet de la Cité de l’Enfance, l’Aide à la Jeunesse leur octroie une somme de 371 euros pour le loyer ainsi que 16,32 euros par jour pour les autres frais (vêtements, nourriture, école, sorties, etc.). Soit environ 860 euros par mois au total.

"Les factures pour les visites médicales étaient directement envoyées à mon centre et le loyer était directement payé par la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais sinon on doit gérer l’argent que l’on reçoit comme un adulte. Et ce n’est pas toujours assez, surtout à la rentrée quand on doit acheter du matériel scolaire", déplore Scully.

"C’est vrai que le montant actuel est minime. Il ne correspond pas au RIS, le revenu d’intégration social octroyé par les CPAS à partir de 18 ans, qui est de 910,52 euros par mois. La volonté du ministre de l’Aide à la Jeunesse Rachid Madrane est justement de faire correspondre les deux. Cela devrait passer à partir de janvier", assure la directrice pédagogique de la Cité de l’Enfance.

Pour ce qui est des allocations familiales, deux tiers de celles-ci sont destinés à l’Aide à la Jeunesse pour subventionner la mesure de placement. Et pour le tiers restant, soit les parents en restent les bénéficiaires, soit il est versé sur un compte bloqué au nom du jeune jusqu’à sa majorité. C’est l’autorité mandante qui prend la décision.


Scully retrouve la motivation pour terminer ses études

Etant orpheline, Scully peut donc bénéficier de cet argent à 18 ans. Elle franchit aussi les portes du CPAS de Charleroi pour bénéficier d’une allocation.

Aujourd’hui, elle est âgée de 19 ans et habite toujours dans son kot. En septembre dernier, la jeune femme décide de reprendre les cours dans une école de promotion sociale pour obtenir son CESS, son certificat d’enseignement secondaire supérieur. "Tout se passe relativement bien", se réjouit-elle.

En témoignant, Scully espère en tout cas faciliter la vie de ces jeunes en autonomie qui se sentent délaissés, comme elle.

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