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Des plongeurs belges ont vécu une aventure hors du commun dans des lacs jamais explorés en Tchétchénie: "Plus sauvage que ça, c'est pas possible" (photos)

Cinq plongeurs belges du club de plongée Divemonkey, en région liégeoise, se sont lancés dans une aventure extraordinaire dans la région de Tchétchénie, en Russie. Leur but ? Explorer des lacs vierges, mais aussi dresser une cartographie de ces lieux et collecter des données scientifiques. Une expédition de plongée technique qui exigeait des compétences pointues et une organisation millimétrée. Jérémy Ransy, directeur de Divemonkey et chef de l'expédition, nous a raconté comment son équipe à relever ce défi d'une difficulté exceptionnelle.

À 34 ans, Jérémy a voyagé dans une cinquantaine de pays. Il a déjà organisé des séjours de plongée un peu partout sur la planète, dans des endroits "assez exotiques", dit-il, comme l'Antarctique, la Micronésie, les îles Fidji, les îles Marshall... Aslanbek, un des plongeurs du club liégeois, d'origine tchétchène, lui parlait régulièrement de son pays, de ses lacs inexplorés. "A force, j'ai fini par avoir envie d'y aller", confie-t-il. Un projet ambitieux mûrissait.


Une idée un peu folle, un lourd travail de préparation

Monter une expédition de plongée dans le Caucase était un défi "radicalement différent, explique Jérémy, parce qu'il n'y a absolument rien sur place. Ailleurs, je passe par des prestataires de services. Ici, on doit tout faire nous-mêmes". Il a notamment fallu commander du matériel dans différentes villes de Russie pour le faire livrer à Grozny, la capitale de la Tchétchénie. En outre, un travail administratif conséquent était nécessaire, des autorisations et une coopération avec les autorités locales étant indispensables.

Pour mener à bien ce projet, Jérémy a recruté quatre plongeurs chevronnés : Aslanbek, Julian, Michèle-Cerise et Adrien. Ils se sont entraînés pendant six mois. Ils ont appris et répéter des procédures techniques pour faire face à d'éventuels problèmes sous l'eau. Les plongeurs doivent pouvoir compter l'un sur l'autre, savoir communiquer avec des signes. "La plongée normale, c'est aller voir les petits poissons et on remonte à peu près quand on veut. La plongée technique c'est la branche de la plongée qui repousse les limites, c'est un sport dangereux", explique-t-il. 

L'aspect financier de l'expédition n'était pas évident non plus. Mais l'équipe a su convaincre de nombreux sponsors. Les grandes marques d'équipements de plongée les ont soutenus, fournissant toutes les pièces les plus chères.

Les cinq plongeurs ont finalement décollé le samedi 31 août avec 60Kg de matériel de plongée chacun.



Arrivés sur le 1er site avec 1,5 tonne de matériel, ils se mettent au travail

Atterrissage à Grozny, le dimanche 1er septembre. Ils ont récupéré le matériel qu'ils se sont fait livrer par palettes. "Un compresseur qu'on a acheté à Moscou, des bouteilles et de l'équipement technique qu'on s'est fait envoyer de Saint Petersbourg, du gaz qui vient d'un autre gazier russe tout à l'Est... ", égrène Jérémy. 1,5 tonne de matériel en tout. "C'était un truc de fou au niveau logistique !"

Munie de cet attirail, et escortée par un représentant du ministère du tourisme tchétchène, l'équipe a roulé pendant quatre heures pour rejoindre le lac Kazenoy-am, à la frontière entre le Daghestan et la Tchétchénie, à 1870 m d'altitude. Un premier lac accessible par la route, avec un début de construction de station balnéaire.


L'équipe de plongeurs était bien accompagnée : pompiers, ambulance, médecins... Un plan d'urgence a été élaboré avec le ministère russe des situations d'urgence en cas d'accident. L'ambulance pouvait les évacuer vers le caisson de décompression le plus proche, à Naltchik. Un représentant du ministère a rencontré l'équipe pour valider ce plan.

Le 2e jour, l'équipe s'est attelée à la préparation des mélanges gazeux. "On utilise de l'oxygène et de l'hélium à des degrés divers et on fait des mixes qui correspondent à différentes profondeurs pour éviter des accidents et permettre une meilleure décompression", explique-t-il. Des plongées de test et de contrôle ont été effectuées.

"Le fond du lac est à présent officiellement plus important que les mesures précédentes"

Le troisième jour et quatrième jours, les plongeurs ont exploré les différentes parties de ce lac de 2,4 Km2. Les "mises à l'eau" ont eu lieu dans des points déterminés à l'avance en fonction de l'accessibilité et de des facilités d'évacuation en cas de problème. À la surface, des pompiers surveillaient dans un Zodillac.

Une fois sous l'eau, les plus grosses plongées ont duré aux alentours de quatre heures. En principe, elles peuvent durer jusqu'à 6 heures. "En altitude la remontée et les paliers de décompression sont plus compliqués", explique Jérémy. Pour aller d'un point à un autre sur une longue distance, ils ont utilisé des scooters sous-marins, c'est à dire "des torpilles sous-marines qui tirent les plongeurs rapidement et permettent de parcourir une très longue distance sans avoir besoin de palmer", explique Jérémy.

Les plongeurs ont repéré et noté les différentes profondeurs à l'aide d'ordinateurs de plongée, de compas et d'ardoises sur lesquelles ils ont écrit des annotations et dessiné des reliefs. La profondeur maximale enregistrée ? 75 m. "Le fond du lac est à présent officiellement plus important que les mesures précédentes. Quel plaisir d'être le "premier" !", se réjouit Jérémy. Seuls deux plongeurs de la Société russe de géographie étaient descendus à quelques dizaines de mètres dans ce lac, en 2011.

C'est une flore et une faune incroyable

Au moment de remonter à la surface, Jérémy a eu une grosse surprise. Pendant les paliers de décompression, les arrêts avant de remonter à la surface, Jérémy s'est retrouvé entouré de milliers de poissons. "Des fameuses grosses truites de combat", plaisante-t-il. "C'est une flore et une faune incroyable comme on n'en connait pas dans 99% des lacs", s'émerveille-t-il.

Ensuite, l'équipe a dû attendre 24 heures. Un intervalle de sécurité nécessaire quand on plonge en altitude. "La pression atmosphérique étant plus basse, la décompression ne se fait pas de la même manière, explique Jérémy. Quand on a plongé, on est déjà un peu saturé et il faut attendre un certain temps avant de franchir un col par exemple".

Ce laps de temps leur a permis de discuter avec la population locale, dont l'hospitalité et la gentillesse ont véritablement conquis Jérémy. Leur découverte du fond du lac a fait sensation. Des légendes lassaient entendre que le lac n'en avait pas, qu'il était habité par un monstre et traversé de dangereux courants. "On a tordu le cou à ces légendes, ce qui nous a valu pas mal de succès sur place. C'était plutôt sympa", s'amuse le directeur de l'expédition.

Avant de quitter les lieux, l'équipe s'est fait offrir des couteaux en remerciement, selon la tradition tchétchène.


 Un trajet chaotique pour accéder à un lac jamais exploré

Pour rejoindre le lac Galaynchoj-Am, nettement plus petit (0,12 Km2) et jamais explorée, l'équipe a dû utiliser des véhicules tout-terrain. Jérémy conduisait. "J'adore ça. Mais de toute façon, je n'avais pas envie de laisser quelqu'un d'autre conduire au bord des précipices", s'amuse-t-il. Les 60 Km de pistes serpentant au milieu des montagnes étaient particulièrement "rock n'roll", dit-il. "C'est un espèce de sentier qui a été fait à la dynamite très récemment", précise-t-il. Autour, la nature, vierge, à perte de vue. "Plus sauvage que ça c'est pas possible".

A leur arrivée, une escorte armée "de la tête aux pieds" les attendaient. Cette brigade composée de membres des forces spéciales tchétchènes était en charge de leur sécurité. Les ours, notamment, sont une menace potentielle. Les autorités leur ont expliqué vouloir éviter tout incidents qui nuiraient à l'image de la région. 

L'équipe a installé ses tentes et cuisiné jusque tard dans la nuit. Un barbecue convivial lors duquel Aslanbek, le russophone de l'équipe, jouait une fois de plus les interprètes.


Le lendemain, les plongeurs se sont mis à la tâche. Ils ont cartographié l'intégralité du lac et repéré le point le plus profond, 35 mètres. "Énormément de poissons, de crevettes et de vestiges de populations passées", rapporte Jérémy, de nouveau frappé par tant de biodiversité. "On a pris des relevés biologiques concernant les poissons. On va peut-être avoir des surprises avec tout ça. Mais ça dépasse un peu mon champs de compétences", explique-t-il.

Au bord du lac, des pompiers se tenaient prêts à intervenir. Mais les précautions prises pour leur sécurité n'ont pas été nécessaires. "On n'a pas eu le moindre petit incident", se réjouit Jérémy, très satisfait du professionnalisme de son équipe.

La nuit suivante était très agitée à cause d'un orage et de pluies torrentielles. "On a creusé des tranchées pour faciliter l'écoulement de l'eau et éviter au campement de se faire inonder", raconte le directeur de l'expédition.

 Après l'indispensable intervalle de 24 heures, et un dernier barbecue, l'équipe a quitté les lieux en 4x4 pour une descente dans la boue, sous les averses et le tonnerre. "C'était vraiment très chaud", confie Jérémy, conducteur pourtant expérimentée.

Les plongeurs avaient prévu de se rendre sur un troisième site : la grotte subaquatique de Gums, proche de la ville de Guderme, à l'Est de Grozny. L'exploration de ce réseau sous-terrain n'a finalement pas été possible à cause de la météo. L'accès était impraticable.

L'équipe est revenue en Belgique le lundi 9 septembre. "On est très fiers d'avoir pu remplir quasiment tous nos objectifs", se félicite Jérémy. "C'était un fameux truc !", se réjouit-il. Si les aspects techniques de l'expédition étaient préparés depuis des mois, le jeune homme ne pouvait prévoir l'intensité de cette aventure humaine. "C'était difficile de revenir, je ne savais pas que le pays allait me plaire autant, les gens… Les Tchétchènes étaient hyper accueillants. Je crois que je n'ai jamais vu des gens aussi attentionnés, aussi gentils. C'est vraiment, vraiment impressionnant". Jérémy prévoit déjà de retourner en Tchétchénie. "Forcément", dit-il.

Revenu avec de nombreuses photographies et des vidéos filmées sous l'eau de qualité professionnelle, Jérémy va s'atteler aux corrections et montages de celles-ci. "Cela prendra beaucoup de temps", indique-t-il. Ces images et toutes les données scientifiques enregistrées lors de cette expédition seront présentées lors d'une conférence à Anvers, fin octobre, devant un public de passionnés.

Jérémy travaille déjà à une autre expédition. Il annoncera ce nouveau projet en janvier 2020. Commencera alors une phase de recrutement. "Il faudra d'autres spécificités", prévient-il au sujet des profils recherchés. Le directeur de Divemonkey laisse planer le mystère sur ce projet, "qui sera bien pire évidemment", plaisante-t-il. "Ce sera encore un grade au-dessus", indique-t-il. Une nouvelle aventure prévue pour fin 2021.

 

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