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Faut-il repenser l'enseignement de l'histoire coloniale dans nos écoles?

Le nouveau gouvernement s'y est engagé, et les spécialistes de la question et associations d'afro-descendants y sont favorables: réformer l'enseignement de l'histoire coloniale dans les écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Mais gare à aller trop vite en besogne sans se débarrasser des préjugés coloniaux qui persistent, mettent en garde trois personnalités interrogées vendredi par Belga: la professeure de l'ULB Amandine Lauro, la présidente de l'ASBL Bamko-Cran Mireille-Tsheusi Robert, et l'ancien coordinateur de Mémoire coloniale, Kalvin Soiresse Njall, devenu député Ecolo aux parlements bruxellois et de la FWB depuis les dernières élections.


Une histoire "optionnelle"

Dans sa déclaration de politique communautaire, la nouvelle majorité PS-MR-Ecolo en FWB s'est engagée à, "après concertation avec les acteurs, mener à son terme dans l'ensemble de l'enseignement secondaire la réforme de l'enseignement de l'histoire coloniale belge en Afrique, plus particulièrement au Congo, au Rwanda et au Burundi, en adaptant le référentiel global". "C'est une très bonne nouvelle. Il est essentiel que les élèves puissent développer un savoir historique critique sur ce passé trop longtemps négligé", réagit Amandine Lauro, chercheuse qualifiée du FNRS et professeure d'histoire à l'ULB. "Actuellement, les programmes de l'enseignement secondaire n'imposent pas systématiquement l'étude de l'histoire de la colonisation belge, qui reste optionnelle. Lorsque certains référentiels (pour certaines filières en particulier, comme c'est le cas pour les humanités professionnelles et techniques depuis 2015) prévoient l'enseignement de cette histoire, ils le font en des termes très problématiques qui ne sont pas du tout en phase avec l'état actuel des connaissances sur cette histoire. Par exemple, la colonisation y est présentée sous les prismes guère pertinents de la 'migration' et du 'développement', et la violence et le racisme structurel du régime colonial sont largement euphémisés", retrace la spécialiste de la colonisation.

Une Histoire avant "l'histoire"

Pour Mme Lauro, la réforme doit permettre des analyses "débarrassées de tout carcan révisionniste et eurocentré, en phase avec l'état actuel des connaissances et de la recherche. Il est grand temps de mettre fin à l'idée que l'histoire de la colonisation serait une histoire 'à part', et qu'elle soit enfin considérée comme faisant partie intégrante de l'histoire de la Belgique. Il est aussi fondamental que l'histoire de la colonisation soit abordée en mettant l'accent à la fois sur le récit de ce que fut la domination coloniale, sans minimiser sa violence, et sur les expériences et points de vue des colonisés. Pour promouvoir un regard décentré sur l'histoire de l'Europe et du monde, il est également essentiel de rappeler aux élèves que l'Afrique centrale a eu une histoire riche bien avant la conquête coloniale."

"On ne peut pas faire croire que les Congolais ont accueilli les colons à bras ouverts!"

"Il faut sortir d'une vision hiérarchisée des civilisations et partir de l'Afrique précoloniale, en enseignant aussi ce que l'Afrique a apporté à l'humanité avant la colonisation. Le fil rouge ne peut pas être celui de la mission civilisatrice de la Belgique au Congo", abonde Kalvin Soiresse Njall, l'ancien coordinateur de l'association Mémoire coloniale, qui compte bien rester très actif sur ce thème comme parlementaire. "Les référentiels actuels décrivent le nazisme et le fascisme comme des dictatures, mais pas la colonialisation. Or les valeurs démocratiques ne peuvent pas être à géométrie variable. On ne peut pas faire croire que les Congolais ont accueilli les colons à bras ouverts!" "Ce ne sont pas les professeurs qui sont à blâmer. Il faut les former tant sur le plan du contenu que sur l'aspect psychologique car ces questions peuvent vite devenir sensibles", ajoute Kalvin Soiresse Njall. Mireille-Tsheusi Robert, présidente de l'association anti-raciste et de promotion des cultures afro-européennes Bamko-Cran, avoue avoir "pas mal de craintes": "Nous vivons dans des sociétés qui sont encore culturellement coloniales. Une réforme est opportune, mais il ne faut pas la mener à la va-vite", prévient-elle.

Tous concernés

Comme M. Soiresse Njall, elle met l'accent sur le choix des acteurs qui vont adapter le référentiel. "Il ne faut pas seulement des didacticiens, mais aussi des associatifs et des universitaires, avec une diversité sociale et pas un 'comité de blancs'." Tous deux plaident enfin pour que la réforme concerne de la même manière tous les élèves, quelle que soit leur filière d'enseignement. "Je serai optimiste quand il y a aura un appel à projets public et une ligne de budget dégagée", convient Mireille-Tsheusi Robert, tandis que le frais député assure qu'il suivra de très près les initiatives de la ministre de l'Enseignement obligatoire Caroline Désir (PS). "C'est une question inclusive qui concerne tout le monde. Le but n'est pas de se juger les uns les autres, mais de construire une histoire commune et de former des citoyens critiques", conclut-il.

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