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Mâchoire fracturée pour un arbitre frappé par un spectateur en plein match de jeunes (-14 ans): "C'est très choquant"

La violence envers les arbitres dans les matchs amateur est de plus en plus courante. Généralement verbale, elle devient parfois physique. Paul, jeune arbitre de 19 ans, en a été victime, devant des joueurs adolescents et des parents médusés. L'auteur des faits a été interdit de stade par le club qu'il supporte, l'AS Verviers. "Tant qu’on ne réhabilite pas le respect envers l’arbitre, la situation ne changera pas", estime un responsable de l'Union belge.

Paul (prénom d’emprunt car il veut garder l'anonymat), âgé d'une vingtaine d’années, arbitre des matchs de football en Wallonie depuis un an. Début septembre, il arbitrait un match de U-14, c'est-à-dire des jeunes de moins de quatorze ans. La rencontre devait se passer dans le calme et la bonne ambiance, mais tout a dérapé. Paul a reçu un poing en pleine figure de la part d’un supporter. Il a une double fracture de la mâchoire. Le jeune homme nous a contacté via le bouton orange Alertez-nous.

"C’était mon premier match de la saison, raconte Paul. La première mi-temps se passe relativement bien. À la mi-temps, je préviens l’entraîneur du club visiteur, l’AS Verviers, que s’il continue à discuter chacune de mes décision, ce sera le carton jaune." L’arbitre ne s’en rendait alors pas compte, mais les supporters commençaient eux aussi à s’échauffer. Le match reprend. Les jeunes courent sur le terrain, rien n’annonce ce qui va suivre. "Je siffle une faute de simulation contre un joueur de Verviers. L’entraîneur râle, réclame un penalty." Paul s’avance vers lui avec le carton jaune promis. "À ce moment-là, le frère du joueur fautif monte sur le terrain et me met un coup de poing en pleine figure."

Le match s’arrête instantanément, les jeunes sont renvoyés aux vestiaires, les parents sont scandalisés. La police arrive rapidement. Paul est emmené à l’hôpital, il a une double fracture de la mâchoire et est en incapacité de travail pour trois semaines. "C’est très handicapant, surtout que je suis agent de gardiennage. Ça m’empêche de travailler." En plus de la douleur physique, le choc est encore très présent. "C’est la première fois que je me faisais agresser. On dit toujours que ça n’arrive qu’aux autres, mais quand ça nous arrive c’est très choquant. Heureusement, j’ai reçu beaucoup de soutien des parents, du club auquel je suis affilié et de l’union belge de football. C’est scandaleux, surtout devant des jeunes." L’agresseur a tout de suite été identifié.

Comment punir ces actes trop récurrents?

Les cas d’agression d’arbitre sont trop récurrents. "Il y a très peu d’arbitre en Wallonie, beaucoup arrêtent à cause de ça, se désole le jeune homme. Moi j’y vais pour le fun, par passion. On n’a même plus envie de retourner sur un terrain après ça." Pourtant, les futurs arbitres sont formés pour gérer de telles situations. "Pendant la formation, on nous parle des accidents, des cris racistes, des agressions. Si ça arrive, il faut immédiatement arrêter le match, faire un rapport au comité provincial. Je suis convoqué au comité jeudi. J’espère qu’il y aura une amende pour le club et une suspension de plusieurs matchs pour l’entraîneur de Verviers (NDLR: c'est bien la décision qui a été prise, voir plus bas). Contre le supporter qui m’a agressé, j’ai porté plainte."

Une procédure encouragée par Jean-Noël Jacob, président du bureau régional des arbitres de Liège. Il soutient Paul et se dit estomaqué que de tels actes puissent se produire autour d’un terrain. "Dans la loi du jeu en provincial, quand un arbitre de 17-18 ans se fait insulter par un parent, il doit arrêter le match, explique le président. Mais dans les faits, s'il l'arrête, il faut s’assurer qu’il n’y ait pas de possibilité de plainte de la part du comité provincial et du club. En vrai, on demande officieusement aux arbitres de faire un peu les sourds. Mais bon, tout le monde a droit au respect. Mais un coup de poing… de la violence physique… c’est inacceptable." Le problème vient bien souvent plus des tribunes que des joueurs. "Sur le terrain, l’arbitre a toutes les cartes en main. Par contre, autour du terrain, il n’a que quelques armes. Et il y a beaucoup à faire, entre les deux, parfois quatre terrains de jeux, les vestiaires et tout ça. Les prises de bec entre les parents, ça prend vite des proportions extraordinaires: des insultes, de la mauvaise foi. On ne peut pas non plus demander les casques bleus à l’ONU. Il y a des clubs moins organisés où ça débouche sur des coups. Ça me laisse sans voix. Et puis pour un carton jaune… franchement… C’est l’équivalent du ‘attention, c’est pas bien’."

Après l’agression, une fois le rapport envoyé au comité provincial avec un constat médical, une personne de référence prend contact avec l’arbitre agressé pour un suivi psychologique. "Je me sens vraiment bien encadré, insiste Paul, de la part de mon club, des formateurs, des autres arbitres. Tout le monde a été très choqué. Sauf l’entraîneur de Verviers, pour lui ce n’était pas si grave que ça." Même si Paul est bien entouré, le comité provincial ne rien faire d'autre que d'interdire de stade le fauteur de troubles. "Si cette personne n’est pas affilié à l’union belge, c’est très compliqué, explique Jean-Noël Jacob. A part interdire la personne de stade, il y a très peu de recours." Paul a donc porté plainte auprès de la police contre son assaillant. Il devra attendre des mois, voire des années, avant que son dossier ne soit traité au tribunal. "Ce sont des faits tellement courants que la justice n’est pas équipée pour ça, précise le président du bureau régional des arbitres."

À l’heure actuelle, la décision prise par le comité provincial jeudi est d’écarter l’entraîneur des U-14 de l’AS Verviers. "Il est évincé jusqu’à la fin du mois du juin, détaille Didier Petitjean, manager au siège provincial de l’union belge à Liège. Il devra aussi payer une amende personnelle de 100 euros. Le club de l’AS Verviers devra payer une amende de 250 euros. Et le score est de 5-0. On ne peut rien faire concernant le supporter qui a commis l’agression puisqu’il n’est pas affilié au club."

De son côté, le club de l’AS Verviers a fait des jeunes sa priorité. "Directement après l’agression, nous nous sommes axés sur les enfants, raconte Philippe Galet, président du Club. On a mis les enfants en contact avec une cellule de ressources humaines du club. Le comité provincial fait son travail. Nous, de notre côté, on fait la démarche d’interdire de stade ce supporter."

Un manque criant d'arbitres

Et si autant de procédures existent, c’est bien parce que ce genre d’accidents n’est pas rare, comme l’explique Didier Petitjean: "Ça arrive malheureusement de temps en temps. Il y a encore eu un accident ce week-end-ci. Ça fait donc deux arbitres potentiellement agressés ces derniers jours, les affaires sont en cours. Il y a entre deux et quatre incidents du type par saison en province de Liège, chacune est de trop." C’est également l’avis du président de l’AS Verviers, condamné à une amende: "Quel que soit le geste, c’est de toute façon inacceptable. J’ai commencé le football à 12 ans et j’en ai 58. Je n’avais jamais vu ça."

Pour Jean-Noël Jacob, il n’y a pas de solution miracle. "Si j’avais la solution, je l’appliquerais. Que ce soit le bureau régional des arbitres (BRA), le comité provincial ou les clubs, on tire tous la même charrette. Si on continue comme ça, le nombre d’arbitre va encore diminuer." Le manque d'arbitre est criant au sein du football provincial en Belgique, selon l'Union belge. "Le BRA devrait l’assurer, mais ce n’est pas possible, poursuit le président du bureau régional des arbitres. Alors les clubs ne sont pas contents parce qu’ils n’ont pas d’arbitre pour leur match, mais quand ils en ont un, il se fait agresser. Après, les clubs sont conscients du problème. Il y a trente personnes parfois autour d’un terrain, comment les contrôler? J’ai 62 ans, il y a trente ans, l'arbitre était respecté, au même titre qu’un professeur d’école."

Pour ce fan de football, le problème ne vient pas que de ce sport. Il y a des agressions également en basket, sur les terrains de hockey ou de handball. "C’est toute la société qui perd le nord. Il y a une rébellion contre toute forme d’autorité. Un arbitre qui fait respecter les lois du jeu représente l’autorité. Il faut une prise de conscience: ce n’est qu’un jeu. Même si c’est plus chouette d’aller à la buvette en ayant gagné que perdu, il ne faut pas perdre le sens du sport."

La gestion de ces cas de violence devient un véritable problème dans le cadre du football provincial confirme Didier Petitjean. Les campagnes de sensibilisation ne se montrent pas suffisamment efficaces. "Comment convaincre aujourd’hui un père de laisser son fils de 17 ans arbitrer un match? Conclut le président du bureau d’arbitrage. Tant qu’on ne réhabilite pas le respect envers l’arbitre, ça ne changera pas."

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