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L'accueil de la petite enfance bientôt transformé par la réforme de l'ONE: "Ils suppriment des diplômes impunément", estime Adeline

Comme toutes les réformes, celle de l'ONE fait grincer des dents. Les règles changent, notamment les diplômes requis pour être puéricultrice ou directrice de maison d'accueil. Il y a des inquiétudes légitimes, mais d'après un responsable que nous avons questionné, il n’y a que des solutions.

L'ONE (Office de la Naissance et de l'Enfance) est sur le point de subir une réforme d'envergure. En février 2019, un décret a été passé en Wallonie et il se veut être le "pacte d'excellence" de la petite enfance, référence à celui de l'enseignement.

Mais comme toute réforme, elle implique des changements de règles, parfois importants. Ce qui a d'inévitables conséquences sur les travailleurs du secteur. Adeline est une jeune puéricultrice de la région bruxelloise (il s'agit d'un nom d'emprunt car elle préfère rester anonyme).

Elle craint pour son avenir et pour celui de ses collègues. "Ils suppriment des diplômes impunément, et il n'y a pas un mot de l'ONE envers toutes les personnes concernées", nous a-t-elle expliqué via le bouton orange Alertez-nous.

Avant de détailler les craintes d'Adeline, il est nécessaire de faire le point sur cette réforme. On a résumé au maximum, mais vous allez le voir, elle est importante, car elle est en gestation depuis… 2013.

Un cadre plus strict

La réforme entre en vigueur le 1er janvier 2020 et est avant tout un cadre plus stricte pour tous les métiers liés à la petite enfance. Les différents textes légaux qui encadrent cette réforme depuis près de 7 ans (décret du parlement, arrêté du gouvernement, contrat-gestion de l'ONE, etc) peuvent être résumés en 5 points importants:

1. Des diplômes plus élevés. Tant les directrices de crèche que les puéricultrices devront désormais avoir un niveau de formation plus élevé. Pour travailler dans une crèche et encadrer des enfants, il faudra désormais un CESS (donc l'équivalent d'une 6e secondaire réussie) en plus de la formation professionnalisante.

Pour être à la tête d'une crèche, il faudra désormais un baccalauréat en psychologie, sciences sociales ou soins infirmiers. Un nouveau bac' dédié à l'accueil de la petite enfance devrait voir le jour prochainement. Certains Masters sont également acceptés.

2. Des structures moins dispersées. Actuellement, il existe une quinzaine de milieux d'accueil différents, de la crèche à la maison d'accueil en passant par la gardienne et la halte. Dès 2020, il n'en restera que deux: les accueillantes à domicile et les crèches. Les milieux d'accueil collectifs (leur nouveau nom) devront compter au moins 14 enfants, puis grandiront par multiple de 7 (21, 28, 35, 42, etc…). D'autres types d'établissement sont prévus, mais pour des accueils très spécialisés (enfants avec handicap, etc). Autre élément important: la volonté d'ancrer l'accueil de la petite enfance dans le non-marchand, donc en obligeant tous les milieux d'accueil privés à devenir des asbl. Un sacré changement.

3. Des subventions revues et corrigées. Les crèches auront des niveaux différents, selon qu'elles respectent certaines règles comme le statut (asbl), le nombre d'heures par jour (et de jours par an) d'ouverture, la différenciation des tarifs en fonction des revenus des parents. Au plus une crèche respecte les règles, au plus elle recevra des aides sous la forme d'emplois subventionnés. Important également: les "accueillantes conventionnées", qui avaient un statut social précaire, sont progressivement engagées en tant que salariées (déjà 700 aujourd'hui, et la totalité – environ 2.500 – d'ici 2025).

4. Des démarches administratives plus simples pour les parents. Afin d'éviter, chaque année, de remplir des dizaines de documents, une plateforme numérique est en train de voir le jour. A la clé, du temps et de l'énergie gagnés par les parents et les milieux d'accueil.

5. Plus de places pour les défavorisés. Les crèches subventionnées devront réserver entre 20 et 50% de leurs places d'accueil à un public en difficulté. On parle ici de la monoparentalité, de l'aide à la jeunesse, des enfants handicapés, entre autres.

Comme toute réforme, il y a une période de transition prévue, et elle est de 5 ans pour l'ONE. Elle dépend en réalité des budgets disponibles, a-t-on appris. En effet, les nouvelles subventions vont faire grimper les dépenses. La réforme sera donc progressive et liée au nouveau contrat de gestion qui doit être signé en 2020. Le nouveau gouvernement a confirmé la réforme, mais sa mise en application n'a donc pas de calendrier strict au-delà de 2020.

"On n'est même pas censées être au courant"

La première chose qu'Adeline reproche à cette réforme, c'est le manque de communication et de transparence. "On n'a reçu aucun courrier, on n'est même pas censées être au courant des changements", déplore-t-elle. "Il y a des réunions organisées entre l'ONE et les PO (les pouvoirs organisateurs d'un milieu d'accueil: une commune, une directrice, une indépendante), mais pas de communication directe vers celles qui sont pourtant les premières concernées".

Il y a uniquement "un  numéro de téléphone, auquel on peut poser des questions". C'est là qu'elle a appris certains détails par rapport à des situations problématiques qui vont survenir dans les prochains mois et années.

L'ONE dit au téléphone qu'ils n'avaient pas pensé à ces cas de figure…

Beaucoup de questions et d'inquiétudes

Il est notamment question d'un "passeport" qui permettrait aux puéricultrices n'ayant pas le CESS (diplôme d'étude secondaire) de continuer à travailler. "Mais on ne sait pas grand-chose: visiblement, ce passeport est valable si on reste dans le même type d'établissement". Injuste, selon Adeline: "Je viens de terminer une formation d'auxiliaire de l'enfance qui a duré un an, et elle ne serait plus valable partout ! Je suis en CDD actuellement: si je ne suis pas reconduite et que je dois chercher dans un autre type d'établissement ? L'ONE dit au téléphone qu'ils n'avaient pas pensé à ces cas de figure… Au final, la réforme va me fermer des portes", craint-elle.

Actuellement, là où elle travaille (une crèche en région bruxelloise), Adeline a également des collègues "qui ont fait récemment la formation pour être directrice de maison d'enfants, mais qui n'ont pas encore rassemblé les fonds pour ouvrir leur établissement. Elles travaillent actuellement comme puéricultrices avec moi, donc, mais elles sont bloquées pour leur avenir. Une formation de 2 ans, des centaines d'euros mis à la poubelle !", estime notre témoin.

Les conséquences de ces incertitudes sont logiques: "Il y a énormément d'inquiétudes" au sein de l'établissement où travaille Adeline. "A l'époque, il ne fallait pas le CESS, donc on a fait des choix de formations, maintenant il est trop tard pour changer de vie et retourner à l'école", précise notre témoin qui a eu "récemment un enfant".

L'ONE rassure: "On pourra changer de milieu d'accueil"

Nous avons pu nous entretenir avec Eddy Gilson. Il est le responsable de la Direction Accueil Petite Enfance au sein de l'ONE, et donc très impliqué dans la mise en œuvre de la réforme.

Il se veut rassurant, tout d'abord par rapport aux puéricultrices n'ayant pas le CESS et travaillant déjà. "Il n'est pas question de renvoyer sur les bancs de l'école les accueillantes qui n'auraient pas ce CESS. Toutes celles qui sont en fonction aujourd'hui pourront rester dans le milieu d'accueil dans lequel elles travaillent. Et pourront changer de milieu d'accueil si elles restent dans la même fonction. Car effectivement, on peut déménager ou changer d'employeur. Donc si quelqu'un travaille dans une crèche privée à Liège en 2019, et qui veut se faire engager dans une crèche privée à Schaerbeek en 2023, le passeport fera office de qualification reconnue, malgré l'absence de CESS". Un passeport "valable à vie, c'est comme un diplôme".

Et si on passe d'une crèche privée à une crèche communale, par exemple ? "Là, c'est un peu différent", car on évoque les différents métiers liés à l'accueil de la petite enfance. "Il faut savoir que la réforme vise aussi à résoudre un problème que l'on a depuis 15 ans: les qualifications requises (diplômes) sont liées au milieu d'accueil. Il y en a une quinzaine actuellement (c'est bientôt fini, voir plus haut): pour être accueillante, ce n'est pas la même chose que pour travailler dans une crèche ; pour être dans une crèche privée, ce n'est pas la même chose que pour être dans une crèche subventionnée. Ces différences créaient des barrières à la mobilité ente type de milieu d'accueil".

On l'a vu, la réforme va simplifier la typologie des milieux d'accueil. "Le but est d'en avoir beaucoup moins, et surtout, elle va faire en sorte que les qualifications soient liées aux types de fonction. Donc si je suis bon dans une fonction, je le suis quel que soit le type de milieu d'accueil, c'est un nouveau principe que la réforme amène. Trois fonctions sont prévues: la direction, l'encadrement psycho-médico-social et l'accueil des enfants. C'est l'accueil des enfants qui fait débat pour le moment: donc si j'ai la qualification reconnue (nouvelles règles ou passeport), j'ai accès à tous les types de milieux".

Ce point de la réforme provoque effectivement une difficulté. "Certains qualifications étaient très éloignées les unes des autres. Dans certains milieux d'accueil, il suffisait d'une formation de 200 heures, (voire même, pour les anciennes, aucune)". Ces personnes "n'ont pas accès aux crèches subventionnées" depuis le départ. Mais vu qu'on parle désormais en termes de fonction, elles sont supposées être acceptées partout. "Elles le pourront à l'avenir grâce à la réforme, même avec un si faible niveau de qualification, mais à condition de faire une évaluation des compétences. Donc ça veut dire qu'en réalité, après la réforme, la mobilité est accrue, soit grâce à un passeport, soit grâce à une évaluation des compétences".  

Voilà qui doit mettre un terme aux inquiétudes d'Adeline.

Et pour les (futures) 'directrices de maison d'enfant' ?

Eddy Gilson rassure également celles qui sont actuellement 'directrices de maison d'enfants', typiquement des indépendantes qui créent un milieu d'accueil dans leur maison, seule ou en faisant appel à d'autres accueillantes. Le principe du passeport prévaut également pour 'directrices', donc celles en activité, même si elles devront progressivement revoir leur structure (passer en asbl, théoriquement).

Mais les craintes d'Adeline évoquaient aussi ses collègues récemment diplômées de l'IFAPME en tant que 'Directrice de maison d'enfant' (une formation qui a disparu aujourd'hui) et qui n'ont pas encore concrétisé leur projet.

Là aussi, pour bien comprendre, il faut entrer dans les coulisses du fonctionnement de l'accueil de la petite enfance. "Effectivement, ce diplôme n'est plus reconnu pour la fonction de directeur de milieu d'accueil, l'une des trois fonctions gardées par la réforme. Il faut savoir qu'aujourd'hui, ce diplôme est reconnu uniquement pour les crèches privées, et il n'est pas de niveau 'Enseignement supérieur', le niveau minimum prévu par la réforme".

Cependant, là aussi, des mesures sont prévues. "Un mesure transitoire de la réforme stipule que si vous êtes en train de terminer cette formation, ou si vous êtes sorti de cette formation dans les trois dernières années (donc entre 2017 et 2020)", il y a une dérogation. Et pour les autres, "au cas par cas, il sera toujours possible d'établir un dossier pour nous montrer qu'il y avait vraiment un projet derrière".

Attention, cette dérogation est assortie d'une règle: ces personnes "ne pourront pas ouvrir en personne physique, mais pourront être directeur ou directrice".

Cette distinction est liée à un autre volet de la réforme: la scission entre le rôle de gestionnaire et de directeur de la crèche. "Jusqu'à présent, sous statut d'indépendant, on pouvait ouvrir une crèche, en tant que personne physique. Il y avait donc une assimilation entre le pouvoir organisateur (celui qui est responsable du fonctionnement de la crèche) et son directeur". Une situation identique à certaines écoles primaires, par exemple. "Ce statut ne sera plus possible avec la réforme: ceux qui sortent (avec ce diplôme de l'IFAPME) pourront être directeur, mais dans une crèche dont le pouvoir organisateur est une asbl ou une société coopérative".  

Conclusion

Comme toute les réformes, celle de l'ONE fait grincer des dents, suscitent craintes et interrogations auprès des milliers de travailleurs du secteur.

Mais des mesures ("passeport") sont bel et bien prises pour permettre à celles qui travaillent déjà (comme puéricultrice ou accueillante à domicile) de continuer à le faire. Adeline, notre témoin, n'a donc pas de souci à se faire.

Inévitablement, cependant, les conditions changent. Exemples: le secteur veut s'ancrer dans le non-marchand (asbl par exemple) pour éviter toute philosophie d'enrichissement personnel, les diplômes requis sont réévalués pour professionnaliser l'encadrement, les subventions sont revues.

Réformer des secteurs comme l'enseignement  (pacte d'excellence) et l'accueil de la petite enfance prouve la volonté politique d'améliorer l'éducation, base fondamentale et cruciale de notre société. C'est donc un mal nécessaire pour un meilleur futur.

 

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