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A 76 ans, Franz affirme avoir été EXPULSÉ de la maison familiale qu'il a "donnée" à sa fille: "Je pensais en avoir l'usufruit"

A force d'entendre parler des avantages d'une donation remplaçant une succession, certains semblent aller un peu trop vite en besogne et manquent de prudence. Ce pourrait être le cas de Franz, qui déclare avoir vécu 50 ans dans la même maison, dans le Hainaut. Un maison qu'il aurait "donnée" à sa fille. Suite à des différends familiaux, il est aujourd'hui dans une résidence du CPAS. Un notaire nous explique les pièges à éviter.

De plus en plus de parents privilégient les donations de leur vivant pour éviter des frais de succession. Il s'agit souvent d'un bien immobilier (une maison, un appartement), mais des parents peuvent aussi donner une somme d'argent à leurs enfants.

Même si ça semble évident, il est important de préciser qu'en donnant une maison à quelqu'un d'autre, on en perd la propriété officielle. Avec toutes les conséquences que cela engendre en cas de problèmes, de dispute.

C'est précisément la situation très difficile que déclare vivre actuellement Franz. "J'ai été expulsé de ma maison par ma fille et mon beau-fils. J'ai été berné par le notaire à l'époque. J'ai été roulé dans la farine", nous a-t-il expliqué après avoir contacté la rédaction de RTL INFO via le bouton orange Alertez-nous.

Pour rénover sa maison, il l'aurait "donnée" à sa fille

Franz habitait dans la maison familiale située dans une commune du Hainaut "depuis 1964, date de notre mariage". Il y a vécu avec sa femme et ses enfants. Il a exercé les métiers de chauffeur/livreur, et de maçon, dit-il. Il y a "environ 10 ans", des travaux étaient à entreprendre dans la maison selon lui : "C'est une maison modeste, comme on dit, une maison ancienne donc, avec par exemple un chauffage au charbon, comme à l'époque". Discutant avec une de ses filles, ils évoquent la donation, nous dit-il. "Elle disait que si la maison était à eux, ils s'occuperaient de mettre le chauffage central, des nouveaux châssis, et tout ce qui va avec".

Avec mon épouse, on s'est laissé embobiner

"On signait, on signait"

Pour rester juste envers l'autre fille de Franz (la troisième étant décédée il y a longtemps, raconte-t-il), ils conviennent finalement de vendre la maison. Une somme dérisoire est fixée: 25.000€. On parle donc bien ici d'une vente mais dans l'esprit et dans la forme, vous allez le voir, ça ressemble davantage à une donation. 

Franz et sa fille se rendent chez le notaire. "Et là, avec mon épouse, on s'est laissé embobiner. Le notaire aurait dû mettre que nous gardions l'usufruit de la maison jusqu'à notre mort", car la fille "avait promis qu'on restait dedans jusqu'au dernier des vivants", assure-t-il.

Notre témoin n'aurait pas été très vigilant lors de la signature de l'acte. "On n'y a pas prêté plus attention que cela. Ça a été des blablas, des blablas. Et on signait, on signait. Et puis on est sorti". A tête reposée, par la suite, Franz et son épouse se sont rendu compte "qu'il n'était pas marqué que nous en avions l'usufruit".

Une situation d'autant plus défavorable pour Franz que, "verbalement", il était convenu que le couple rembourse les 25.000€ "sous forme d'un loyer de 250€". Franz le reconnait aujourd'hui, c'est bizarre: "Vous avez déjà vu ça, vous ? Je lui remboursais le prêt qu'elle avait fait pour m'acheter ma maison. Donc c'est comme si je l'avais achetée deux fois". Mais à nouveau, il admet qu'avec son épouse, ils n'avaient "pas vraiment réfléchi, car c'était la famille".

Une histoire d'argent met le feu aux poudres

Les années passant, "on se disait qu'à la longue de payer tous les mois, on aurait bientôt fini de payer, c'est normal". Cependant, la fille de Franz, propriétaire de la maison, ne l'aurait pas entendu de cette oreille, et d'après notre témoin, ne comptait pas se passer de cette mensualité. 

Les disputes ont commencé avec, pour conséquence finale, l'expulsion de Franz.

Depuis le 17 octobre, Franz vit dans une résidence sociale. "J'ai une pension de 1.500€ environ, et je dois donner 1.350€ à la résidence. Je suis logé dans un petit appartement, tout est compris: la nourriture, les charges. J'ai une petite TV avec trois chaînes et je dois payer pour le médecin, la pharmacie, laver mon linge". Une situation qui le rend très malheureux. "J'étais bien chez moi, je connaissais toutes les herbes de mon jardin, comme on dit. Ici je ne fais plus rien, je me prends pour une loque", nous a-t-il confié, avec beaucoup de tristesse dans la voix.

Sa fille ("mais pour moi elle n'est plus ma fille") ne lui a jamais rendu visite. "Il n'y a que mon petit chien, que je promène dans le parc, qui me tient en vie".

Franz déclare ne plus disposer des coordonnées de sa fille, nous n'avons donc pas été en mesure de recueillir le témoignage de celle-ci afin de le confronter à celui de son père. 

La première chose à laquelle il faut penser, c'est la sécurité juridique (notaire)

Comment éviter pareille situation ?

Sans mention d'usufruit, Franz a donc vendu purement et simplement la maison dans laquelle il habitait depuis 50 ans à sa fille, qui après signature de l'acte, en est devenue la propriétaire. Avec le droit, donc, d'en disposer à sa guise, d'autant qu'aucun contrat de location n'a jamais été établi entre les deux parties.

Impossible de contester ces faits devant un tribunal. Franz a essayé mais il n'a fait que perdre quelques centaines d'euros en frais d'avocat.

Il est donc essentiel, si vous souhaitez céder un bien immobilier à vos enfants pour diverses raisons (la première étant sans doute l'idée d'éviter des frais de succession), de bien y réfléchir, et de demander conseils. A son entourage, mais surtout à un notaire.

Nous l'avons fait pour vous, en interrogeant Emmanuel Estienne. "La première chose à laquelle il faut penser, c'est la sécurité juridique", nous explique ce notaire de Genappe, dans le Brabant wallon. En clair: "Aux parents qui n'ont qu'un seul bien immobilier (la maison familiale, typiquement), je dis: 'Ne donnez pas'. Car on peut toujours se retrouver dans le besoin".

Le cas classique: "Si les parents doivent aller dans un home, ils devront peut-être louer ou vendre la maison pour couvrir les frais, pour combler la pension". Il est donc essentiel, pour ce notaire, de garder l'unique maison qu'on possède pour ses vieux jours.

Les droits de succession moins importants sur la maison de famille

"Je reçois plusieurs visites par an à ce sujet et j'insiste toujours: pas de donation si un seul logement", martèle Emmanuel Estienne, qui a un excellent argument pour vous convaincre. "Les droits de succession sont moindres lorsqu'il s'agit du logement familial". Ces tableaux le prouvent. Le premier concerne l'impôt sur la succession d'un bien immobilier autre que la maison familiale:

Le deuxième concerne les taux sur la succession de la maison de famille (dans laquelle le défunt habitant depuis au moins 5 ans, donc) : 

Le troisième évoque les taux d'imposition par tranche pour une donation :

Concrètement, sur une maison familiale de 300.000€ et sur base des taux ci-dessus, si vous donnez votre maison à votre enfant, il paiera 22.500€ à la Région wallonne. S'il en hérite, il paiera 28.000€. Une différence de 5.500€ à laquelle il faut retirer "les honoraires du notaire" et les éventuelles recherches et formalités administratives. Comptez quelques centaines d'euros. Voici le détail de notre calcul, pas si évident car il faut diviser en tranches:

Donation en ligne directe d'une maison de 300.000€
0-150, 3% (de 150.000) = 4500
150-250, 9% (de 100.000) = 9000
250-450, 18% (de 50.000) = 9000
Total : 22.500 euros

Succession en ligne directe d'une maison familiale de 300.000€
0-25, 1% (de 25.000) = 250
25-50, 2% (de 25.000) = 500
50-160, 5% (de 110.000) = 5500
160-175, 5% (de 15.000) = 750
175-250, 12% (de 75.000) = 9000
250-500, 24% (de 50.000) = 12000
Total: 28.000 euros

Environ 5.000€ d'économie sur une maison de 300.000€, c'est un gain assez maigre finalement, eu égard au risque encouru de se séparer de son unique habitation de son vivant. On comprend les recommandations du notaire.

Une donation avec usufruit, c'est possible, "mais pas de grande différence"

Si malgré tout vous souhaitez donner votre maison, de votre vivant, à votre progéniture, il est possible de préciser dans l'acte que vous voulez continuer à y habiter jusqu'à votre mort.

"On peut effectivement viser l'optimisation fiscale (c'est-à-dire amoindrir les taxes tout en restant dans la légalité)", confirme Emmanuel Estienne. Il s'agira alors, dans l'acte devant notaire, de prévoir "une donation avec réserve d'usufruit". Il est également possible de prévoir "une rente à payer à première demande", donc un genre de loyer.

Mais la remarque précédente du notaire est toujours valable. "Ça n'a pas beaucoup d'intérêt car il y a les droits de donation et les honoraires ; or je le répète, les droits de succession sont réduits quand il s'agit du logement familial. Il n'y a donc pas de grande différence".

On précisera tout de même une chose. Imaginons que vous donniez votre maison aujourd'hui à vos enfants, avec réserve d'usufruit pour que vous puissiez y vivre jusqu'à votre mort. En 2019, elle vaut 300.000€, donc comme on l'a vu, il faudra prévoir 22.500€ de droits de donation (plus honoraire du notaire). Si par chance, vous vivez vieux et que vous mourrez en 2039, il est fort probable que la maison aura pris de la valeur, passant de 300.000 à, disons, 350.000€. C'est sur cette somme que votre descendance devra payer non plus 28.000€, mais 40.000€ de droits de succession (car les tranches élevées sont fortement taxées, voir le tableau ci-dessus).

Donc sur le long terme, donner ou léguer en héritage peut représenter une grande différence (17.500€), mais il y a beaucoup d'incertitudes (votre durée de vie, la prise de valeur de la maison, le maintien des taux actuels, etc…).

Et il faut garder en tête que si vos parents vous donnent une maison, vous en êtes le propriétaire. Donc même s'ils en gardent l'usufruit (ils sont des locataires sans loyer, pour faire simple, à moins qu'une rente ait été prévue), le précompte mobilier ("cadastre" annuel), les charges, les travaux seront pour votre pomme. A vous de négocier avec vos parents le partage de ces frais. Essentiel, donc, de conserver des relations harmonieuses jusqu'à la fin de leur vie.

Quoi qu'il en soit, parlez-en à votre notaire avant de prendre une décision radicale. Des consultations peuvent être données par un notaire. "Le premier conseil est gratuit sous certaines conditions", précise le site notaire.be, qui dispose d'un annuaire sur sa page d'accueil.

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