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Mediator: la colère d'une famille de victime contre "le système Servier"

"Ma mère est morte en quinze minutes dans mes bras": les enfants et le compagnon de Pascale Sarolea, décédée à 52 ans après avoir pris du Mediator, ont livré jeudi au tribunal un émouvant témoignage et une virulente attaque contre "le système Servier".

Frédéric, Guillaume et Lisa Boussinot sont les premiers à avoir déposé plainte au pénal contre les laboratoires Servier, qui ont commercialisé pendant 33 ans le Mediator. C'était en novembre 2010, six ans après la mort de Pascale Sarolea, respectivement leur compagne et leur mère.

Pascale Sarolea a pris ce médicament de 2002 à 2004 pour perdre du poids. L'effet est impressionnant: elle fond de 13 kg en un peu plus d'un an. Mais dès l'été 2002, elle souffre d'une hypertension artérielle. En décembre 2003, elle a des difficultés respiratoires et on lui découvre une insuffisance aortique de grade 2, sérieuse donc.

Le 8 mars 2004, à 1H30 du matin, Pascale Sarolea se plaint de ne plus pouvoir respirer. Lisa la prend dans ses bras pour la rassurer, pendant que son père appelle les pompiers. "J'ai senti son dernier souffle", raconte Lisa Boussinot au tribunal. Sa mère devait l'amener à la fac le lendemain matin. Elle est morte d'un oedème aigu du poumon, un décès brutal, inattendu.

Cette famille d'athées s'en remet d'abord à la "fatalité": "Le corps est une machine et s'arrête à un moment". Mais en 2010, Frédéric tombe sur un article où la pneumologue de Brest Irène Frachon, qui a révélé le scandale Mediator, décrit les effets secondaires du médicaments. "Ca ressemble terriblement", dit-il à ses deux enfants.

"Donc derrière la mort de ma mère, il y avait des responsables", raconte Lisa, qui parle d'une voix sûre, avec un débit rapide, comme pour ne pas laisser l'émotion l'envahir. "On décide d'entrer dans un combat judiciaire", explique la trentenaire, qui est elle-même avocate. Elle a d'ailleurs démissionné de son cabinet à Antibes pour pouvoir assister au procès, qui s'étale sur sept mois.

- "Cupide, misanthrope, cynique" -

Le père et ses deux enfants rendent un hommage très émouvant à Pascale, une femme à l'énergie débordante, une enseignante en lycée professionnel tournée vers les autres. Elle avait plu à Frédéric Boussinot dès la 6e, au collège où ils allaient tous les deux, tout près du tribunal, se souvient-il. "Mon coeur se serre quand je vous parle d'elle", confie-t-il.

Mais ils sont aussi là pour exprimer leur colère contre les laboratoires Servier, qui leur ont proposé une indemnité "indécente" de 38.000 euros. "Je veux dénoncer le système Servier", explique Lisa Boussinot. Son frère parle d'une entreprise de "voyous", elle d'une entreprise "mafieuse" qui a "acheté le silence", qui a "trompé" les médecins, les patients etc. "Le système Servier a été violent" avec les lanceurs d'alerte, a cherché à "discréditer" les victimes.

Elle regrette l'absence de Jacques Servier, le grand chef de la firme décédé en 2014: "un homme cupide, misanthrope, cynique". Elle dénonce encore "l'indécente débauche de moyens" par la firme au procès, avec "une armée d'avocats, une armée de dactylos, une armée d'agents de sécurité qui est insupportable". Plusieurs gardes du corps accompagnent en effet l'ex-numéro 2 de Servier, Jean-Philippe Seta, et le représentant de la firme Emmanuel Canet. Ce dernier griffonne sur un carnet, la tête baissée.

"Les vies abimées? On s'en fout tout simplement", attaque-t-elle. Mais Lisa Boussinot fait confiance en ce tribunal, en la présidente qui "l'épate" dans sa manière de mener les débats. "On attend que vous sanctionniez les manquements du passé pour que ce scandale ne se reproduise plus. (...) Aucune vie ne doit être sacrifiée au nom de l'argent".

Avec Pascale Sarolea, c'est la première fois que le tribunal évoquait un décès lié au Mediator. Au total, les cas de 94 victimes, dont quatre homicides, vont être évoqués dans les semaines à venir. Cela va être "éprouvant humainement", a prévenu la présidente, et aussi "fastidieux".

Le Mediator est tenu pour responsable de centaines de décès.

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