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Café contrefait saisi au Havre: six ex-responsables des Douanes sous la menace d'un procès

La saisie record des Douanes masquait un scandale inédit: quatre ans après la découverte de 43 tonnes de café contrefait au Havre, le parquet a requis le renvoi en correctionnelle de six anciens hauts responsables douaniers, impliqués dans une affaire de corruption qui a ébranlé l'institution.

Des "errements", un "phénomène de corruption gravissime" et une "totale déloyauté à l'égard de l'autorité judiciaire"... C'est en des termes incisifs que le parquet de Paris a justifié, dans son réquisitoire définitif daté du 13 novembre, la tenue d'un procès dans cette vaste affaire.

La décision finale sur un procès pour tout ou partie de ces protagonistes revient désormais aux juges d'instruction.

Au cœur de l'enquête, les relations entre la puissante Direction des opérations douanières (DOD), bras armé de la Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED), et l'un de ses informateurs -- ou "aviseurs" dans le jargon des douanes: Zoran Petrovic.

La marchandise frauduleuse, d'un poids total de 43 tonnes, avait été découverte le 3 juillet 2015 dans un camion et un hangar en région parisienne, officiellement sur la base d'un renseignement recueilli par les services douaniers. "Une première sur le territoire national", s'était alors félicité Bercy dans un communiqué.

Rapidement néanmoins, des doutes étaient apparus. Premier élément trouble, la piètre qualité des 174.000 paquets de café contrefait, censés imiter la marque "L'Or" de "Maison du café", rendant difficile, voire impossible, l'écoulement d'une telle marchandise.

Autre bizarrerie: les 43 tonnes de café étaient arrivées au Havre dans un conteneur de 120 tonnes. Que contenaient les 77 tonnes restantes rentrées dans le port sans être contrôlées? Les enquêteurs ont soupçonné un leurre pour dissimuler une opération illicite au profit de l'indic serbe sulfureux, explorant notamment, sans succès, la piste d'un trafic de cigarettes de contrebande.

Des perquisitions avaient été menées en décembre 2016 au siège de la DNRED et de l'antenne des Douanes au Havre. Sur place, 800.000 euros en liquide avaient été découverts, dont plus de 700.000 euros dans une valise et environ 50.000 euros dans un fauteuil.

Quatre mois plus tard, douze personnes avaient été placées en garde à vue, dont le responsable de la Direction des opérations douanières au Havre, Pascal Schmidt, et plusieurs supérieurs hiérarchiques. Un autre agent, adjoint de M. Schmidt, s'était suicidé sur son lieu de travail quelques semaines seulement après la perquisition.

- "Complicité" et "négligence" -

La DNRED a-t-elle fermé les yeux sur des entrées de marchandise en échange de "tuyaux" de Zoran Petrovic, ce "tonton" pourtant placé sur "liste noire" par les Douanes depuis 2009? A-t-elle piloté l'opération afin de gonfler ses statistiques?

Dans son réquisitoire définitif, le parquet a jugé les éléments suffisamment nombreux pour réclamer le renvoi de dix personnes, dont six anciens hauts responsables. Parmi eux: Pascal Schmidt, accusé d'avoir géré la logistique de l'opération et mis en cause pour "corruption" et "blanchiment".

Le ministère public a également requis le renvoi de Vincent Sauvalère, ex-numéro 2 du renseignement douanier, Erwan Guilmin, son successeur, et Magalie Noël, son adjointe, pour "complicité". L'ancien patron de la DNRED Jean-Paul Garcia, qui a quitté ses fonctions en 2017, est lui accusé de "négligence".

"En acceptant de monter des projets opérationnels sur la base d'informations fournies par Zoran Petrovic", les responsables douaniers ont "pris le risque de laisser ce dernier outrepasser le rôle habituel d'un aviseur" et de "s'impliquer dans l'importation" de la marchandise frauduleuse, estime le parquet.

Ils ont "en toute connaissance de cause enfreint la loi pénale, dans l'unique but de réaliser des saisies avantageuses pour l'image médiatique de la DNRED mais sans aucun résultat concret sur le plan judiciaire", ajoute-t-il.

"Depuis le début, mon client conteste toute responsabilité", a déclaré à l'AFP Me Patrick Tabet, avocat de M. Garcia, soulignant "que cette prétendue négligence écarte tout acte volontaire".

D'autres affaires ont mis à mal ces dernières années la réputation des Douanes et le rôle joué par leurs informateurs. La question des indicateurs est également au coeur d'une enquête visant l'office de lutte antidrogue (Ocrtis) et son ancien patron, François Thierry, mis en examen en 2017 pour complicité de trafic de stupéfiant.

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