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"Ma vie a vraiment basculé du jour au lendemain": Laurent, artiste bruxellois, ne s’attendait pas à son énorme SUCCÈS aux États-Unis

Nous sommes allés à la rencontre de Laurent Durieux dans son atelier d’Uccle, rue Vanderkindere. L'artiste, âgé de 49 ans, nous a accueillis dans son petit bureau sous-pente, plein de livres et de bandes dessinées, et dans lequel trône son outil principal, désormais : l’ordinateur. C’est de cette petite pièce que Laurent Durieux est parvenu à conquérir les cœurs d’une multitude de fans de cinéma outre-Atlantique. Signe de sa renommée grandissante en Belgique, les journalistes d’un autre média lui ont rendu visite le matin même. Laurent Durieux aimerait sans doute consacrer un peu de temps à la masse de travail énorme qui l’attend, mais il nous a volontiers raconté son parcours personnel, marqué par un tournant aussi décisif qu’inattendu.

En marge d'un début de carrière décevant, il développe son talent d'affichiste

Comme bon nombre de ses confrères, dessinateurs et illustrateur belges, Laurent Durieux est passé par l’institut Saint-Luc, à Bruxelles, en secondaire. Puis il a rejoint l'atelier de communication visuelle et graphique de La Cambre. Ses études terminées, il a entamé une carrière de graphiste en tant qu'indépendant. Des commandes lui assuraient un revenu mais, artistiquement, ne lui apportaient aucune satisfaction. "Je n'ose même pas dire ce que c'était comme commande, mais c'était vraiment terrible, humiliant", confie-t-il. Le jeune homme ne manquait pas de faire savoir qu’il aspirait à autre chose : "Je disais aux gens, 'je peux faire ci je peux faire ça', ils me disaient 'oui, oui, c'est ça...', ils s'en foutaient complètement". Et l’artiste de résumer cette période : "Des boulots très intéressants, je pense que j'en ai eu trois dans les 20 premières années de ma vie".

Aux débuts des années 2000, l’artiste était au bord de la dépression. "Je m'ennuyais terriblement dans mon métier de graphiste", confie-t-il. Alors, le soir, après ses journées passées à exécuter l’un ou l’autre travail "alimentaire", Laurent s’adonnait à son activité favorite : créer "des images avec du texte, ce qu'on appelle des affiches quoi", dit-il.

Passionné par les graphistes des années 30, 40, 50 (Antonio Petruccelli, Ernest Hamlin Baker…), fan de grands dessinateurs de bandes dessinées (Schuiten, Moebius…), Laurent Durieux s’est abreuvé en permanence d’influences diverses. "Il faut être ouvert à plein de choses pour trouver son écriture graphique. Et parfois, la quantité d'influences qu'on peut ingurgiter ressort de manière totalement personnelle", explique-t-il. Un thème l’a particulièrement inspiré : le rétrofuturisme, tendance des arts à montrer comment, autrefois, était imaginé le futur.


 
Ever Meulen, illustrateur et graphiste belge, lui a conseillé de montrer son travail à Lürzer's Archive, prestigieux magazine dédié à la publicité. La revue a décidé de publier deux de ses affiches : "Felix the cat" et "François à l’américaine". En 2011, la publication l'a nommé dans son classement des 200 meilleurs illustrateurs du monde. L'année suivante, un éditeur de Los Angeles lui a commandé des affiches sur le thème de Noël avec les personnages du chien Snoopy et son maître Charlie Brown.

Ses "affiches alternatives" trouvent immédiatement leur public aux États-Unis

Mondo, un éditeur américain de "posters alternatifs" basé à Austin (Texas), a repéré ses affiches et lui en a commandé une pour The Iron Giant (Le Géant de Fer). Le travail consistait à créer une affiche originale et personnelle de ce film sorti il y a déjà plusieurs années. "Tout s’est décidé là. C’était un examen de passage, relate l’artiste dans son livre "Mirages, tout l’art de Laurent Durieux". "Trois ou quatre jours après avoir livré le visuel, je n’avais aucune nouvelle. J’étais très inquiet (…) Ce n’est qu’après plusieurs mois que j’ai appris qu’ils l’avaient classé parmi leur poster de l’année". Et l’illustrateur de nous confier : "Je n’en revenais pas".

Emballé par son style, Mondo a commandé à Laurent Durieux une 2e affiche, puis une 3e, une 4e… Après sa 5e production, Laurent Durieux s’était déjà fait un nom. "Il y avait une ‘fan base’, des gens qui avaient déjà ouvert des pages Facebook", raconte-t-il. Ses créations exposées dans la galerie de Mondo à Austin, les fans de cinéma ont eu un coup de cœur pour son travail. Peu à peu, des galeries ont présenté ses oeuvres à New-York, Los Angeles, etc. "C'est un truc incroyable avec les États-Unis, c'est quand on vous aime, on vous aime très, très vite et on vous aime très, très fort", constate-t-il.


 Les affiches de Laurent Durieux, de véritables œuvres d’art

"Le poster alternatif donne l’occasion de faire table rase des impératifs de communication publicitaires racoleurs pour raconter le long métrage tel qu’il est, du moins tel que je peux le voir", explique-t-il dans son livre. Néanmoins, les éditeurs de ces affiches, comme Mondo, doivent acheter une licence à la maison de production du film. "Au début, on pouvait dessiner à peu près ce qu'on voulait. Avec le succès, évidemment, tout ça c'est un petit peu tassé", nous confie-t-il.

Toujours plus demandé, l’illustrateur a essayé de gagner en rapidité en informatisant sa production. Lorsqu’il commençait en dessinant à l’encre de chine, il mettait un ou deux mois à créer chaque affiche. "Je me suis dit ‘allez je vais essayer de le faire directement à l'ordinateur et puis… ça a duré tout autant’", s'amuse-t-il. S’il n’a pas gagné en temps, ses affiches ont gagné en qualité : "Honnêtement, je n'aurais pas pu réaliser les sérigraphies que j'ai réalisées sans l'apport de l'informatique". Ses images sont ensuite imprimées en un nombre limité d’exemplaires (300, jusqu'à 500 pour les films les plus populaires) selon le procédé artisanal de sérigraphie. Ce qui leur confère des "couleurs pures" et un certain "velouté", décrit-il. Elle sont signées par l'artiste.

Sa vie professionnelle bouleversée par son succès aux États-Unis

À l’âge de 42 ans, l’illustrateur a pu ainsi tirer un trait sur ses commandes "alimentaires". "Ma vie a vraiment basculé du jour au lendemain, s’étonne-t-il encore aujourd’hui. Je me rappelle m'être levé un matin en me disant 'qu'est-ce que je vais encore devoir faire comme merde au boulot ? Et de me dire : ‘Ah mais non, en fait j'ai encore cette affiche à faire et puis cette autre’. Ça s'est enchaîné et, à un moment donné, j'avais deux ans de commandes devant moi".

Avec le recul, l’artiste voit en cette époque le moment crucial où il a su saisir sa chance : "C'était vraiment le hobby dans lequel il fallait se lancer (…) Je n'ai plus lâché la corde. Je me suis accroché. J'ai fait partie de toutes les expos et j'ai essayé de faire le mieux que je pouvais dans chaque affiche, chaque fois faire mieux. Je suis monté dans le train et je ne suis plus redescendu"

"Tu es une star à Los Angeles"

En 2015, lors d’un voyage aux États-Unis, il a pris conscience que même le tout Hollywood connaissait son travail. "Il y a un producteur qui voulait absolument me rencontrer. C'est lui qui m'a appris qu'en fait mes affiches étaient dans tous les studios, raconte-t-il. Il m'a dit 'tu sais, tu es une star ici à Los Angeles', je lui ai dit 'mais non', il a rigolé, il m'a dit 'mais si, tu es partout !'"

Aujourd’hui, la sortie d’une nouvelle affiche de Laurent Durieux est un événement attendu par les fans. A chaque sortie, tout est vendu en quelques secondes aux États-Unis. "On n’a pas le temps de cliquer que c'est déjà 'sold out' en fait", indique-t-il.

Et l'Europe et la Belgique dans tout ça ?

Forts de cette réussite, Laurent Durieux et ses frères ont pensé à développer le poster alternatif en Europe. En effet, il est très compliqué pour le public européen de se procurer des affiches commandées par les éditeurs américains, explique l'illustrateur. Les éditeurs n’ont parfois pas le droit de les vendre à l’étranger, en fonction des restrictions imposées par la maison de production du film.

 
 
Laurent Durieux et ses frères ont donc créé la société d’édition Nautilus art print pour éditer et commercialiser des sérigraphies (un peu à la manière de Mondo, l’éditeur qui l’a fait connaître aux États-Unis). L’idée était d’axer la production sur la culture européenne. Sa dernière affiche pour Nautilus art print, une affiche de "La Piscine" — classique du cinéma français — a rencontré un succès presqu’aussi foudroyant que ses affiches destinées au public américain. Elles ont toute été vendues... en un après-midi.

L'année 2019 a été riche en actualité pour Laurent Durieux, et marquée par une certaine reconnaissance de l'artiste en son pays. La parution d'un nouvel album de Blake & Mortimer, "Le Dernier Pharaon", dessiné par son ami François Schuiten, n'est peut-être pas étrangère à cela. Le "baron" de la bande dessinée belge a fait appel à Laurent Durieux pour les couleurs de l'album. Au mois de novembre, la parution de son livre "Mirages, tout l'art de Laurent Durieux" lui a valu d'être mis à l'honneur dans plusieurs revues francophones, en Belgique et en France. Des séances de dédicaces ont été organisées au café Belga, à la librairie Brüsel... 

Si l’artiste a mis deux décennies avant d’obtenir une certaine reconnaissance, l’avenir s’annonce sous les meilleures auspices. Nombre de projets sont en cours. De nouvelles affiches, bien entendu, mais aussi des livres d’illustrations. "J'aimerais bien me re-concentrer sur mes images plus personnelles", ajoute-t-il. Son leitmotiv ? "Continuer à s’amuser".

Ci-dessous, un florilège d'affiches signées Laurent Durieux.

 
 
 
 

 

Les œuvres les plus marquantes de Laurent Durieux rassemblées dans le livre "Mirages".

 

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