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Algérie: retour à Bordj Bou Arreridj, capitale du "Hirak"

Si l'acte de naissance du "Hirak" indique 22 février 2019, le "mouvement" populaire de contestation en Algérie a poussé ses premiers cris plusieurs jours auparavant, notamment à Bordj Bou Arreridj, chef-lieu de province sacré un temps "capitale du Hirak".

Dans ce pôle industriel situé à 170 km au sud-est d'Alger, des jeunes sont sortis dès le 13 février 2019 pour scander leur refus du 5e mandat annoncé du président Abdelaziz Bouteflika.

Trois jours avant, ce président octogénaire, au pouvoir depuis 20 ans mais quasi invisible depuis un AVC en 2013 l'ayant laissé paralysé et aphasique, avait annoncé son intention de briguer un nouveau mandat lors de la présidentielle prévue en avril 2019.

Le président "avait cédé les clefs du royaume à son frère Saïd", son conseiller spécial, considéré comme un "président-bis" au pouvoir grandissant à mesure que déclinait la santé du chef de l'Etat, explique à l'AFP Ali, chômeur de 30 ans qui a pris part à la première manifestation à Bordj Bou Arreridj.

Il se souvient d'un jeune tailleur, "Brahim Lalami, sorti seul avec une grande pancarte contre le 5e mandat: +La goutte d'eau de trop, l'insulte à toute un peuple+".

Avec d'autres, Ali le rejoint et le petit cortège progresse dans les rues, formant la manifestation originelle du "Hirak", dont Brahim Lalami est depuis devenu une figure.

- "Risée du monde" -

Sur une vidéo publiée ce jour-là sur les réseaux sociaux, on voit quelques dizaines d'hommes marcher d'un pas décidé en chantant: "Bouteflika, il n'y aura pas de 5e mandat".

Larbi, étudiant de 24 ans, était parmi eux: "Un ami m’a informé (par messagerie) d'une marche contre le 5e mandat, je l'ai rejoint avec le copain qui était avec moi", raconte-t-il à l'AFP.

"Je n'ai pas réfléchi aux conséquences. La colère avait surpassé la peur (...) On était devenus la risée du monde", ajoute-t-il.

Sur les réseaux sociaux, les jeunes Algériens voient leur pays représenté par un président qualifié de "momie" et moqué par les internautes du monde entier à chacune de ses rares sorties publiques, immobilisé sur son fauteuil roulant.

A l'origine région agricole, la wilaya (préfecture) de Bordj Bou Arreridj -- familièrement appelée BBA en Algérie -- a attiré des industriels de l'agro-alimentaire et de l'électronique, notamment le sud-coréen Samsung et l'algérien Condor.

Elle est surnommée "la "capitale de l'électronique" en l'Algérie.

Si le chômage y est réputé moins important qu'ailleurs, la région est minée par les mêmes maux: bureaucratie, clientélisme, corruption...

Le patron de Condor, Abderahmane Benhamadi -- actuellement en détention provisoire pour corruption --, longtemps proche de M. Bouteflika, est accusé par des habitants de BBA d'avoir, avec sa "mafia politico-financière" accaparé "des terres agricoles pour les remplacer par du béton".

Vendredi dernier encore, lors de leur marche hebdomadaire, en passant devant un hôtel propriété de la famille Benhamadi, les manifestants s'époumonaient: "Vous avez pillé le pays, bande de voleurs!"

- "On est encore là" -

La ville de BBA a toujours été hostile à Abdelaziz Bouteflika, relève Razi, un chômeur de 33 ans. Lors de la finale de la Coupe d'Algérie de football en 2009, les supporteurs du club local, opposé à une équipe d'Alger, avaient tourné le dos au président à son arrivée dans le stade.

Après BBA, une manifestation d'ampleur défile le 16 février à Kherrata, puis, le 19, un portrait de M. Bouteflika est décroché de la façade de la mairie de Khenchela, deux localités un peu plus à l'Est.

Le 22 février, enfin, à la fin de la grande prière musulmane hebdomadaire, répondant à des appels sur les réseaux sociaux, les manifestants envahissent les rues de nombreuses grandes villes du pays, jusqu'à Alger.

Dans la capitale où tout rassemblement est interdit depuis 2001, la police, débordée, est impuissante à arrêter le flot de marcheurs.

"Le 22 février, je n'en croyais pas mes yeux en voyant que les Algériens étaient sortis partout", se souvient Ali, encore ému.

Alger devient l'épicentre du mouvement, mais pendant des mois, la forte mobilisation à BBA et un "tifo" géant déployé chaque vendredi sur le "Palais du Peuple" ("Ksar echaab"), un immeuble en construction occupé une fois par semaine par les protestataires jusqu'à sa fermeture en septembre, en font "la capitale du Hirak" sur les réseaux sociaux.

Le 2 avril, le président Bouteflika est contraint de démissionner.

Pour autant, le "Hirak" se poursuit depuis. "La révolution n'a pas encore supprimé le +système+" en place depuis l'indépendance en 1962, rappelle Bilal, 33 ans, membre d'un forum de jeunes contestataires à BBA. "On est encore là", dit-il.

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