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Une mort "brutale" et de nombreuses questions: récit d'un Covid-19 passé sous les radars

"Nous voilà au cimetière, seuls, sans pouvoir nous prendre dans les bras". A Paris, la mort brutale de Berto Taïeb a laissé une famille rongée par le chagrin et les questions sur un cas de Covid-19 passé sous le radar des médecins.

Le coronavirus, ce bon vivant qui s'apprêtait à fêter ses 71 ans "n'était pas le dernier à en blaguer", raconte à l'AFP l'aînée de ses trois filles, Maïa. "C'était loin, on ne se sentait pas concernés".

Publicitaire à succès, retraité actif qui "allait à la gym tous les jours, surveillait son alimentation et n'avait aucun problème de santé", Berto travaillait depuis des mois sur un projet: BBoomers, "un réseau social pour des gens comme nous qui en ont marre d'être regardés comme des vieux".

Le samedi 29 février, au début de l'épidémie en France, Berto est pris d'une grande fatigue. Il a aussi un peu de fièvre.

Deux jours plus tard, son médecin traitant, constatant qu'il n'a pas de toux, diagnostique un début de grippe. Il lui prescrit simplement du Doliprane et du Propanolol car son coeur bat vite. Il rentre à la maison, "avec sa grippette", se souvient sa fille.

Ce même jour, le lundi 2 mars, 100 cas de malades du coronavirus sont désormais recensés à travers la France. De nouvelles mesures viennent d'entrer en vigueur, dont l'interdiction des rassemblements de plus de 5.000 personnes.

Le lendemain, "il avait sa voix des meilleurs jours, et m'a dit de ne plus m'inquiéter". Dans les jours qui suivent, sa température fait pourtant le yoyo et sa fatigue persiste. Le patriarche de la famille, épuisé, écourte les appels.

- "Cauchemar" -

Le jeudi 5 mars, la fièvre de Berto Taïeb monte à 40,3 °C, mais toujours sans autre symptôme que son coeur qui bat plus vite. Ni SOS Médecins, débordé, ni le Samu, n'estimant pas ses symptômes trop critiques, n'acceptent de le prendre en charge, selon les témoignages de ses filles. Mais son médecin de famille, inquiet, le reçoit à 20h30.

N'ayant pas de test de détection du coronavirus, "il n'a rien pu faire", reconnait Maïa. "Ma mère est rentrée avec mon père à la maison, ils ont mangé et ils se sont couchés".

"A 4h00 du matin, ma mère se réveille, car mon père est pris d'une quinte de toux très violente comme il n'en a jamais eu. Elle lui passe ses médicaments puis appelle le 15".

Son mari semble finalement s'être endormi. A l'arrivée du Samu, "une bonne heure" après l'appel selon la famille, Berto Taïeb ne peut être réanimé. Le décès est constaté à 08h12, quelques heures après l'apparition des premiers symptômes respiratoires.

Une ambulance repart avec le corps et le Samu laisse un masque pour Madeleine et son gendre, ainsi qu'un livret d'explication sur les consignes sanitaires en cas de contamination au coronavirus.

Ce même vendredi, 423 contaminations dont 7 décès sont recensés en France. Berto Taïeb ne fait pas partie du décompte.

"Pendant un bon moment, nous n'avions pas de certitude officielle sur les causes du décès. L'attente de l'autopsie était horrible, il n'y avait pas d'autorisation d'inhumer. On se dit +on va se réveiller, c'est un cauchemar+", se souvient Maïa.

Les résultats post-mortem tombent une semaine plus tard : le décès a été causé par le coronavirus.

- Chaos familial-

Sa veuve, Madeleine, 68 ans, fiévreuse mais ne présentant "pas de symptôme grave", une phrase qui ne veut plus rien dire pour la famille Taïeb, est finalement testée, à force d'insister, à l'hôpital Beaujon de Clichy.

Elle aussi est positive au Covid-19. Plusieurs membres de la famille vivent alors sous le même toit pendant cette période de deuil.

Dans ce chaos familial et sanitaire, le permis d'inhumer est délivré pour le lundi 16 mars, à la veille du confinement en France.

Pour l'enterrement, seules 15 personnes sont autorisées au cimetière de Levallois et aucun recueillement n'est permis sur la dépouille. Le défunt n'a bénéficié d'aucun des rites de toilette mortuaire et a été inhumé, nu, dans une housse en plastique.

"Le seul contact que j'ai eu avec mon père depuis ce coup de téléphone pour dire que tout allait bien, c'était le moment où j'ai pu toucher son cercueil", dit sa fille.

"Mon père a eu une forme foudroyante de ce virus sur lequel on ne sait pas encore tout", insiste-t-elle.

"Ce n'est pas la faute du médecin, à qui on n'a pas donné les moyens d'agir. Quant au Samu, "ils se sont concentrés sur la question des symptômes respiratoires et n'ont pas pu faire face", estime-t-elle aujourd'hui. "Mon père a pâti d'un ensemble de défaillances et c'est profondément injuste".

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