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Passé par Madagascar puis le Canada, Damien a fini par fonder sa brasserie à Nivelles: "Je savais que je ferais une bière qui plairait"

Raconter l'histoire de la brasserie Belgo Sapiens à Nivelles, c'est comme entreprendre un voyage grâce au récit de son co-fondateur Damien Demunter. De Madagascar au Canada en passant par la France et les Etats-Unis, cet ingénieur brasseur de 44 ans a pas mal bourlingué avant de se poser et de lancer sa propre brasserie. Cependant, en raison du coronavirus en Belgique, la production de bière est à zéro, mais Damien a décidé de se lancer dans la livraison à domicile.

En ces temps de confinement, nous vous racontions il y a quelques jours l'initiative de Casey de livrer à vélo les bières de la brasserie De Ranke où il travaille à Dottignies. La même idée a germé chez Damien qui a co-fondé il y a quelques années à Nivelles la brasserie Belgo Sapiens actuellement mise à l'arrêt par le coronavirus. "On a du stock ici. On essaie de développer cette livraison à domicile via notre page Facebook. Donc, aujourd'hui, n'hésitez pas!" dit cet homme de 44 ans, originaire de Soignies qui nous a contactés via le bouton orange Alertez-nous. Plutôt que de vous raconter son confinement (en lequel il voit l'aspect positif de profiter davantage de sa famille), nous avons préféré sortir un peu et vous raconter l'histoire de sa petite brasserie, l'une des nombreuses apparues dans notre pays au cours de la dernière décennie.

Le voyage de cet ingénieur brasseur ne commence pas en Belgique, mais à... Madagascar, un pays pas franchement connu pour sa bière. Qu'importe, ce qu'il désirait par-dessus tout, après avoir obtenu son diplôme, c'était de décrocher un emploi. "Pouvoir travailler en brasserie, ce n'était pas gagné à l'époque. Elles engageaient un voire deux ingénieurs par an. Je ne vais pas dire que les places étaient chères, mais ce n'était pas facile", nous explique cet aventurier de 44 ans, originaire de Soignies, et habitant aujourd'hui Enghien (Hainaut).

A Madagascar, il travaille à la rénovation et à la création d'une brasserie. Au bout de 6 mois, une belle opportunité se présente à lui. A Lille, pour le compte de la société Trois Brasseurs. Pendant 13 ans, Damien participe au développement de 27 micro-brasseries dont 15 au... Canada. Premier contact avec ce pays nord-américain. Mais pas le dernier. Car lors des trois dernières années, il passe au minimum une semaine par mois outre-Atlantique pour son boulot. C'est alors qu'on lui propose tout naturellement de s'y installer. "On m'a demandé de choisir entre la France et le Canada, ça a pris deux secondes. Par principe, j'ai dit à mon patron que j'allais devoir en parler à ma femme, mais je savais déjà qu'elle accepterait. Elle a vite compris que ce serait une belle opportunité pour moi". Et pour toute la famille au final. "Le Canada, c'était génial au niveau familial. J'y ai emmené mes deux enfants. Et je suis revenu avec un petit troisième...".

"Il était temps de travailler pour moi"

Cela lui a surtout permis de gagner en expérience dans son domaine, de se créer un petit réseau et de revenir avec une belle idée: créer sa propre micro-brasserie. "A l'été 2014, je suis rentré du Canada. Il était temps de travailler pour moi. Je trouvais que j'avais le bon âge et que c'était le bon moment".

Se lancer en indépendant, comme ça, après tant d'années dans le salariat n'a pas fait peur à Damien : "Je suis quelqu'un de très optimiste, de nature. Et puis, après toutes ces années de brasserie derrière moi, je savais très bien ce que je voulais faire et ne pas faire. Et sans prétention aucune, je n'étais pas trop inquiet. Peut-être naïf à la limite. Mais je savais que je ferais une bière qui plairait. Je le sentais. C'est peut-être mon éducation qui fait que j'ai confiance en moi, peut-être exagérément, mais je ne me suis jamais inquiété de ça".

A produire de la bière en Belgique, il n'y a peu de chance de se planter. D'après les derniers chiffres officiels de l'association des brasseurs belges, le nombre de brasseries en Belgique continue d'augmenter: 199 en 2015, 224 en 2016 et 261 en 2017, 304 en 2018. Ces brasseries, grandes et petites réunies, produisent 1.500 bières différentes sur notre territoire... L'exportation représente 70 % de la production de bière en Belgique, un chiffre qui augmente fortement (surtout en dehors de l'Union européenne). Et ces exportations se portent bien puisqu'elles ont augmenté de 2,2%. Bref, ce n'est un secret pour personne: la bière est un secteur toujours aussi dynamique en Belgique.

Vu ce constat d'exportation impressionnant, la naissance régulière de nouvelles petites brasseries ne nuit pas spécialement aux autres acteurs du marché. "Le consommateur est à la recherche de nouveauté, c'est vrai, et de produits locaux. Mais il y a de la place pour tout le monde. Au final, c'est le consommateur qui décide, et l'enjeu pour ces petites brasseries est de réussir à faire durer la qualité dans le temps", nous expliquait d'ailleurs Jean-Louis Van de Perre, président de la Fédération des Brasseurs Belges, récemment.

Damien et ses associés atterrissent ainsi à Nivelles. La dernière brasserie en terre aclote remonte aux années 1950. Depuis la fermeture de la brasserie du Vieux Sart, plus aucune bière n'était brassée dans cette ville du Brabant wallon à deux pas du Hainaut. Il nous raconte sa démarche: "Je suis parti à la recherche d'une ville intéressée par l'implémentation d'une brasserie. J'ai notamment rencontré le bourgmestre Pierre Huart. J'ai eu de très bons contacts avec la Ville. Une ville qui était, et est toujours d'ailleurs, en plein développement. C'est tout naturellement que je me suis tourné vers Nivelles...".

Le souhait de Damien était donc d'avoir une bière avec un fort ancrage local. Mais la situation géographique a également pesé dans la balance. Au carrefour de deux autoroutes (E19 et E420), sa position est idéale pour l'exportation, l'un de ses objectifs avoués, et tenable, comme on l'a vu plus haut. "Oui, car le secteur est ultra-concurrentiel et le marché belge est saturé". Les pays visés: France, Espagne, Australie, Nouvelle-Zélande, mais aussi et surtout Etats-Unis et Canada. Son passé dans le "grand nord blanc" a donc grandement joué. Il explique vouloir profiter du renouveau brassicole nord-américain, notamment. "Nous voulions de base développer nos produits dans l'esprit 'craft américain' ('artisanat américain'). Aux USA, par exemple, la canette symbolise le renouveau de la brasserie. Son image est moins flatteuse ici en Europe, pour son apparence low-cost".

Les avantages de la bière en canette

C'est pourquoi les canettes des bières de Damien sont aussi stylisées. "Nous voulions un design qui se remarquerait au premier coup d'oeil. Un dessin qui soit beau et où toute notre démarche serait détaillée à l'arrière. La canette est notre véritable outil marketing". Mais les canettes à bière ont également plein d'autres avantages: pour l'exportation, "elle est plus légère, cela facilite le transport et, en palettes, on gagne de l'espace par rapport aux bouteilles au niveau du stockage". Mais pas que: "C'est un très bon isolant. La lumière ne passe pas, contrairement à une bouteille en verre, même teintée. Il faut mettre fin à une croyance folle également: le métal de la canette n'altère pas le goût de la boisson". Enfin, selon lui, la canette est plus facilement recyclable que le verre. Le marché nord-américain de la bière en canette est en plein boom, assure-t-il. Tout le contraire de la Belgique. "Mais les mentalités sont tout doucement en train d'évoluer chez nous aussi. On espère contribuer à ce changement...".

Afin de se démarquer, Belgo Sapiens utilise une céréale différente pour chacune de ses bières. "C'est quelque chose qui nous permet de nous distinguer. Comme dit plus haut, l'objectif est avant tout de faire des bières que l'on aime". Il y a la Polarius (mélange entre une pils belge et une pilsen allemande de par ses houblons aromatiques de région Hallertau), la Blanche de thines (Blanche typique qui se différencie malgré tout dans ses arômes de Citrus provenant du houblon et du gingembre), le Le P'tit Granit (riche et peu alcoolisée, légèrement maltée et corsée, imprégnée d'une légère touche de café) et la Colonel Arch (ambrée et maltée, agrémentée par une abondance de houblons américains). Des bières assez typées pour la Belgique. La Blanche a plu assez vite, nous indique Damien. Et pour les deux ans de la Brasserie, ils ont lancé une nouvelle gamme: le Cheval Godet en triple, en double et en blonde.

Si tout a bien marché pour Damien, le confinement a fait stopper les machines. La production est à présent à zéro. "Et il n'y a pas encore de vue de production pour l'après". C'est pourquoi il a décidé de se lancer dans la livraison à domicile. "Il y a actuellement trois personnes, plus moi à la brasserie. On a du stock ici. On essaie de développer cette livraison à domicile via notre page Facebook. La vente en ligne est existante sur notre site internet depuis deux ans, mais quasi nulle en termes de vente. Donc, aujourd'hui, n'hésitez pas!".

Ce confinement a quand même du bon pour ce père de famille. "Oui, il y a ce côté 'famille' qui est très agréable. Ces dernières années, j'ai eu le nez dans le guidon, j'ai été très occupé. Cela me permet de passer un peu de temps avec ma famille, de travailler dans le jardin. J'essaie malgré tout de me battre pour que la brasserie tienne le coup. Je passe quelques journées à la brasserie. J'alterne les deux. Mais, c'est vrai que j'essaie de profiter un maximum de ma famille tout en se protégeant soi-même et les autres. C'est le plus important".

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