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"Payés à 100%, les profs n'ont-ils aucune obligation de service ?" demande Stéphanie: que répondent les principaux acteurs?

Un salaire complet, des écoles fermées depuis deux mois et, selon certains parents, peu de travail fourni aux élèves. Les enseignants sont-ils "planqués" ? Les associations de parents, la Fédération Wallonie Bruxelles et un syndicat nous aident à répondre à cette accusation.

L'épidémie de coronavirus en Belgique paralyse notre société depuis la mi-mars. Rares sont les secteurs d'activité qui n'ont pas été touchés par cette crise.

Au niveau financier, cependant, tous les citoyens ne sont pas logés à la même enseigne. Les fonctionnaires, par exemple, ne sont pas mis en chômage temporaire (sauf exception, voir cet article, par exemple), même ceux dont la fonction est inutile en temps de confinement, ou ceux qui n'ont plus vraiment de travail à effectuer.

Il est un domaine, cependant, qui est pointé du doigt par de nombreuses personnes: l'enseignement. En maternel, primaire et secondaire, le personnel est payé à 100% depuis le 12 mars, alors que les écoles sont fermées (il y a des garderies aux disponibilités variables et limitées, et un travail de révision/communication à distance).

Le débat est parfois intense et tout le monde a son avis. Les messages envoyés à la rédaction de RTL INFO via le bouton orange Alertez-nous sont nombreux, mais une question a attiré notre attention, celle de Stéphanie. "Mon fils est en première secondaire. Voilà huit semaines qu’il n’a pas cours. Seuls deux de ses professeurs se sont manifestés depuis le début du confinement. Les enseignants (qui restent payés) n’ont donc aucune obligation de service? Pourquoi y a-t-il tant de différences entre les écoles ?", nous a-t-elle écrit.

On a récolté les positions des principaux acteurs, alors que ce lundi 18 mai, les cours reprennent timidement en primaire et secondaire (mais les garderies devraient se remplir, nécessitant plus d'enseignants sur place).

La théorie: une circulaire assez… limitative

D'abord, la théorie. Contrairement à ce que pensent certains, il y a des consignes qui ont été données par la Fédération Wallonie-Bruxelles et sa ministre de l'éducation, Caroline Désir. Des consignes qui ressemblent plutôt à des limites, à bien y regarder…

Le confinement a été annoncé le 12 mars 2020. Le 17 mars, la circulaire 7515 était envoyée aux écoles. On y trouve un élément essentiel dans le cadre de la "continuité des apprentissages", donc du travail que peuvent donner les enseignants à distance. "La grande ligne, c'était de ne pas donner de nouvelles matières", résume Jean-François Mahieu, porte-parole de Caroline Désir, la ministre wallonne en charge de l'enseignement.

Le but ? "Eviter des inégalités entre enfants, car certains ont des parents qui travaillent ou qui ne sont pas en mesure de les aider. D'autres enfants ont des troubles de l'apprentissage, et ont besoin de la présence d'un enseignant. Donc tous les travaux qui devaient être donnés, c'était de la révision, de l'approfondissement ou du renforcement".

On lit également dans la circulaire 7515 que "les travaux doivent être proportionnés dans le contenu et le temps à y consacrer" en tenant compte du fait que les enfants sont seuls à la maison, et que le travail doit pouvoir être réalisé "en parfaite autonomie". Autre limite: si l'enseignant recourt à des "modalités d'apprentissage en ligne", il doit "impérativement s'assurer que chaque élève de la classe dispose du matériel et du soutien pour s'y consacrer dans des conditions optimales" (ce qui est loin d'être évident, on l'imagine).

La circulaire se termine par recommandation: "mobiliser les moyens technologiques disponibles pour maintenir un lien social avec et entre les élèves autour des travaux proposés", mais attention, "pour autant que chacun puisse y participer".

En conclusion: à bien la lire, cette circulaire rend assez délicat le travail d'une partie des enseignants, dans une partie des écoles. Et explique à elle-seule toutes les différences constatées entre les établissements.

Et même s'il y a "une liberté pédagogique" au niveau des pouvoirs organisateurs (les PO sont un genre de conseil d'administration de l'école, comme le collège communal dans le cas d'une école communale), cette circulaire encadrait donc les conditions de l'enseignement en temps de confinement. "Et cette circulaire, c'est important de le préciser, a toujours été pensée en concertation avec les PO, et même avec les associations de parents et les syndicats. Elle a été validée par chacun", poursuit le porte-parole de Caroline Désir.

Des différences, il y en a eu, cependant, admet-on à la FWB. "Certaines écoles en ont fait plus que d'autres, il y a peut-être des personnes qui sont plus consciencieuses que d'autres. Mais dans la grande majorité des retours qu'on a eus, ça c'est plutôt bien passé".

Qu'en pensent les parents ?

Voilà pour la théorie, qui contraste sans doute avec les expériences que vous avez vécues, lues, entendues. Mais on ne parle jamais du train qui arrive à l'heure, donc les expériences partagées sur les réseaux sociaux sont souvent négatives.

Pour prendre un peu de recul, on s'est tourné vers Joëlle Lacroix, la secrétaire générale de la FAPEO, la Fédération des Associations de Parents de l'Enseignement Officiel. Elle est formelle: il n'y a pas "une tendance", donc pas de colère générale du côté des parents d'élève, car il y a de grandes différences "selon les écoles, selon les villes, selon les types d'enseignement".

"Certains parents nous disent qu'il y a trop de travail donné par les enseignants, d'autres nous disent qu'il n'y en a pas assez". Et ce n'est pas qu'une question de quantité de travail, "ça s'explique aussi par le fait que les enfants ne travaillent pas au même rythme: dans les familles où l'enfant est autonome, le travail correspondait peut-être à son rythme ; dans d'autres familles, ça semblait trop rapide ou trop lent".

A côté du travail donné par les enseignants, il y a l'organisation et la communication. Et là aussi une grande disparité. "Des parents nous disent qu'il y a un contact quotidien, parfois, et que les écoles organisent un travail de la semaine, avec tel prof et tel cours disponible à telle ou telle heure. D'autres le font moins".

Pourquoi tant de différences ? D'après la FAPEO, il y a deux raisons principales. "Ça peut être lié à des cultures d'écoles, et à une adaptation au public fréquenté par l'école. Dans les établissements plus élitistes, on sait que les parents vont attendre plus de travail. Ailleurs, les priorités des familles étaient peut-être autres".

L'autre raison, c'est "la présence préalable du numérique au sein des écoles: certaines utilisaient déjà des outils, des plateformes depuis longtemps, elles savaient les utiliser pour communiquer avec les élèves et leur donner du travail, par exemple". Mais "d'autres étaient nulle part et ont du, tout-à-coup, face à l'imprévu, inventer un nouveau système", découvrir des logiciels. Et là, à nouveau, de grandes disparités. Les jeunes enseignants bien équipés n'ont pas les mêmes capacités que ceux en fin de carrière et sans ordinateur à la maison.

Ce problème s'applique aussi aux élèves. "Tous ne sont pas équipés correctement pour travailler à la maison avec les outils numériques, et parfois le milieu social n'est pas favorable, les parents ne peuvent ni aider ni soutenir".

Différences, diversités, disparités: difficile d'attendre un consensus et une façon unique de faire quand ces mots reviennent régulièrement. Dès lors, selon la fédération des associations de parents, "Il y a eu un raisonnement derrière les choix de telle ou telle école, de tel ou tel enseignant, et ça fait partie de l'autonomie pédagogique des écoles. Il a fallu s'adapter".

En conclusion: pas d'avis tranché par rapport à un manque de travail envoyé par les enseignants vers les élèves. "De toute façon, on le dit depuis 50 ans: le travail à domicile est source de discrimination. Il fallait donc éviter que ça s'aggrave avec le confinement. Et les élèves qui réussissent et qui sont bons élèves, qu'ils travaillent à domicile ou pas, on n'a pas trop à s'en faire pour leur parcours scolaire, ni pour la suite. En revanche, il y a tous les autres pour qui on s'en fait". Et ceux-là, les inonder de travail à distance ne va rien changer…

Fallait-il vraiment payer TOUS les enseignants ?

Abordons finalement cette question assez sensible, car elle touche au portefeuille des enseignants et à l'injustice que peuvent ressentir certains travailleurs ou indépendants, privés de revenu dès le début du confinement, et qui ont dû courir après les soutiens financiers.

"Fallait-il vraiment continuer à donner un plein salaire à tous les enseignants? Et les profs de gym?". Pour Joseph Thonon, de la CGSP (syndicat socialiste du service public), cette question est "fort choquante", car les profs "ne se tournent pas du tout les pouces" depuis deux mois. "Les enseignants, comme les infirmiers, n'ont jamais été confinés". Ils ont rempli deux missions, rappelle le syndicaliste: "Les garderies depuis début, et un travail en vidéo-conférence avec les élèves, ou par l'envoi de devoirs à domicile, par courrier. Les enseignants étaient et sont toujours appelables et mobilisables par leur direction et leur PO".

Dès lors, leur salaire plein est justifié, selon lui. Et pourquoi pas un chômage temporaire pour certains ? "Alors il fallait fermer toutes les écoles", estime la CGSP. "Et ça on ne le fait jamais, même durant les grèves les plus dures. De toute façon, c'était impossible: le Fédéral nous a obligés de maintenir les écoles ouvertes. Et à partir de ce moment-là, les profs, ils sont en fonction. Si les PO ne veillent pas à ce que les profs donnent du travail, ça, c'est un problème interne". Et distinguer ceux qui travaillent et ceux qui restent chez eux ? "C'est compliqué, comment voulez-vous faire le tri ? Même le prof d'éducation physique qui ne travaille pas: l'école pouvait et peut très bien lui donner une tâche de surveillance".

Il reconnait cependant qu'il y a eu de grandes différences entre les établissements. "C'est évident: c'est variable d'une école à l'autre. Entre le primaire et le secondaire, entre une école technique et une école générale, entre une école qui se dit élitiste et une école plus sociale qui veille à ce que les révisions soient assimilables par tous les élèves… L'enseignement n'est pas uniforme".

Pour Jean-François Mahieu, porte-parole de la ministre de l'Éducation en Fédération Wallonie-Bruxelles, "c'est bizarre de poser la question" du maintien du salaire des profs. "Dans l'optique de la circulaire, les enseignants continuent à travailler, puisqu'ils envoient du travail aux enfants, ont des corrections, gardent un contact avec les enfants. Les profs ne sont pas en congé, car en plus il y avait les garderies pour les enfants dont les parents occupaient des fonctions essentielles".

Cependant - et les témoignages que nous avons reçus sont nombreux - dans certaines écoles, certains enseignants (on pense aux plus petites sections) n'ont pas fait grand-chose pendant deux mois. "On ne peut pas être derrière les 100.000 profs, c'est le travail des PO de vérifier cela". Quant aux profs d'éducation physique, "ils étaient mobilisables par les PO et rien dans les circulaires ne dit que les cours de gym ne pourront pas reprendre, ce sont les écoles qui déterminent les cours qu'elles décident de remettre. Par exemple, s'il y a des écoles techniques en sport, forcément, le prof de gym sera sollicité".

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