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Les taxis en souffrance après la fermeture de l'horeca: "L'effet domino va être ravageur"

Le secteur des taxis souffre fortement depuis le début de la crise sanitaire en Belgique. Les dernières restrictions fortes annoncées par le Comité de concertation risquent de pousser un peu plus les chauffeurs et patrons de société au "bord du gouffre". "C'est la dégringolade totale" pour beaucoup d'entre eux. Ils nous racontent ce qu'ils vivent au quotidien.

Comme de nombreuses professions en Belgique, le secteur des taxis s'est pris l’épidémie de coronavirus de plein fouet. La situation sanitaire s’étant considérablement dégradée ces dernières semaines, le Comité de Concertation a pris une série de mesures applicables depuis ce lundi 19 octobre.

Parmi celles-ci, la nouvelle fermeture des bars et des restaurants annoncée par les autorités est un énième coup de massue pour les sociétés de taxis et de location de voitures avec chauffeur (LVC).

L'Horeca, un des moteurs qui fait vivre les chauffeurs de taxi, est à l'arrêt, ce qui risque de provoquer au passage des dégâts importants. Ces derniers nous ont exprimé leur désarroi.

Sans l'horeca, il ne reste pratiquement plus rien, la situation est catastrophique

Abdessamad Sabani est l’un d’entre eux. Il est chauffeur indépendant de taxi à Bruxelles. 

"Je vis mal cette situation. On a perdu les touristes, les hommes d'affaires, une bonne partie de notre chiffre d'affaires. Sans l'horeca, il ne reste pratiquement plus rien. La situation est catastrophique. On est quand même obligé de rouler et d'être à la disposition du public." 

Considéré comme essentiel, le secteur n’a en effet jamais dû fermer ses portes. Le gouvernement a considéré que les taxis devaient être en activité pour notamment transporter, à perte, le personnel hospitalier, les conducteurs de train, ou les citoyens qui n’ont pas d’autres alternatives.

"A présent, c'est comme s'il n'y avait plus de clients. La nuit, l'Horeca, c'est 80% de notre activité", indique Abdessamad Sabani, qui raconte avoir tout mis en oeuvre pour continuer à exercer son métier.

En mars, l'habitant de Berchem-Sainte-Agathe avait en priorité cherché des solutions pour protéger ses collègues et les clients. "On avait placé des séparations dans les taxis. Mais le problème, c'est que les clients sont très rares. L'activité avait repris à moitié ces dernières semaines, mais à présent, c'est l'incertitude totale." 

Si le père de 5 enfants confirme avoir reçu "tant bien que mal" différentes aides (comme le droit passerelle et la prime régionale de 3.000 euros), il se dit très inquiet pour le futur. "Les assurances continuent de tourner, les banques continuent à prélever les mensualités. Tous les autres frais, comme la redevance radio ou l'entretien du véhicule, continuent à courir. Comment voulez-vous qu'on s'en sorte sans rentrée d'argent? C'est nous condamner à la faillite. Les aides actuelles sont largement insuffisantes quand on voit tous les frais face à nous."

Chauffeur depuis 10 ans sur les 19 communes bruxelloises, il pense à ses collègues qui possèdent des structures plus importantes. "Si je parviens à travailler 15h par jour, je peux peut-être éviter la faillite, mais imaginez ceux qui ont 7 véhicules (Abdessamad en possède un) et qui ont des frais fixes... C'est catastrophique. Il y a des décisions incompréhensibles, qui nous dépassent. Quand on observe qu'on est en train de mettre en faillite des restaurants, des bars et des sociétés de taxis, et que les transports en commun sont plein à craquer, on l'a mauvaise. Cela rajoute de la frustration à notre précarité. On a la peur au ventre face à nos économies. On est en train de fermer des pans de l'économie entiers."

 On a juste de l'argent pour aller faire nos courses

Actif depuis 33 ans dans le secteur, Rezza Seyed, est lui patron de 5 sociétés de taxis à Bruxelles, et il est "désemparé". Ses véhicules sont actuellement à l'arrêt.

"Il n'y a pas de travail. Mes chauffeurs n'ont pas envie de venir passer 11 ou 12 heures dans les voitures pour repartir avec 30 ou 40 euros. Depuis le mois de mars, c'est l'enfer. On a juste de l'argent pour aller faire nos courses. Je ne peux pas être plus mal", confie l'homme de 57 ans.

Il a été contraint de mettre au chômage une trentaine d'employés. "En attendant, je m'occupe du travail administratif, ce qui est énorme. Si une course se présente, je prends mon taxi et j'y vais. Pour vous donner une idée, cela arrive 2-3 fois par semaine durant 4-5h." 

"La paperasse ne me permet pas de faire plus. Quand j'ouvre la boîte aux lettres, j'ai une trentaine de lettres, et il faut souvent écrire à un huissier, un créancier,...pour demander de retarder le paiement des factures."

Il reste les clients qui vont faire leurs courses

Du côté de Nivelles, dans le Brabant wallon, le gérant de "Taxi Bonjour" décrit également une situation très délicate. Les courses se font plus rares, et des employés ont dû être mis au chômage. "Il n'y a plus de trajets vers l'aéroport pour nous, les entreprises ne travaillent plus avec des personnes venant de l'extérieur... S'ajoute maintenant la fermeture de l'horeca, c'est un important manque à gagner. Il reste les clients qui vont faire leurs courses..."

"J'ai fait appel aux aides fédérales et régionales, mais ce n'est pas ça qui va faire avancer ma société", ajoute-t-il "Je me porte globalement bien. Je ne suis pas quelqu'un d'endetté. Mais face à la situation actuelle, il a fallu faire des restrictions. J'ai dû arrêter des véhicules et mettre du personnel au chômage."

La plupart des petites entreprises n'ont pas repris leurs activités 

Sam Bouchal, le président de la Fédération belge des taxis (Febet), dresse un constat alarmant qu'il illustre avec quelques chiffres.

"Le secteur des taxis se porte très très mal. Le début de la crise, en mars, a directement fait chuter l'activité de plus de 90%. Les affaires commençaient à reprendre mais sans faire d'étincelles. Il n'y avait pas suffisamment de revenus pour rattraper le retard et rentrer dans les frais. 80% des petites entreprises ayant des employés salariés n'ont pas repris leurs activités et leurs travailleurs ont été envoyés au chômage économique. Ceux qui continuent de travailler à Bruxelles possède une voiture et travaillent pour leur compte en essayant de s'en sortir", déclare-t-il.

"Concrètement pour pouvoir payer un employé et les frais fixes, une entreprise de taxis a besoin d'un chiffre d'affaires de 211 euros de moyenne par jour par véhicule. "On en est à 93 actuellement". La situation est dramatique", poursuit-il. 

En septembre, Sam Bouchal affirme que 50% des effectifs étaient actifs à Bruxelles (1300 taxis). "J'imagine que la plupart des sociétés vont fermer maintenant. Mes employés, car je gère aussi une société, sont au chômage économique depuis le 13 mars. On en est toujours là. On ne sait pas comment on va payer toutes les charges sociales qui vont tomber", dit-il, très inquiet. "Les reports, c'est bien gentil, mais ce sont des dettes. Quand il n'y a pas de chiffre d'affaires, ça n'a pas de sens. Soit on oblige les gens à payer et ils partiront en faillite. Soit on veut préserver le secteur. Je sens bien l'immense inquiétude des gens qui sont en dépression. Il faut soulager le stress des indépendants et des travailleurs. On ne peut rien leur reprocher. Ils ne font que subir l'absence d'activités."

L'effet domino va être ravageur

Jean-Michel Courtoy, directeur de Taxis Verts (la compagnie qui représente 500 taxis sur les 1300 actifs dans la région Bruxelles-Capitale), observe déjà un nouvel effritement au niveau de la demande depuis l'annonce des nouvelles mesures, le 16 octobre dernier. "Ce qu'on craint, c'est la dégringolade totale, la chute libre, car l'activité de soirée et de nuit va retomber à zéro", regrette-t-il.

"Nous étions dans un contexte, où on observait une remontada des volumes. On était remonté à 60% de l'activité comparé à la période pré-corona. Ce qu'on craint maintenant, c'est l'effet domino total. On est un secteur connexe de l'Horeca. On va évidemment subir des conséquences importantes et désastreuses de notre côté. Cela se rajoute à l'absence de touristes, de clientèle d'affaires, de l'événementiel,..." 

Il poursuit: "Les mesures de soutien ou carrément de survie qui vont être prises pour l'Horeca, doivent également prévue pour le secteur des taxis qui va subit de plein fouet la fermeture des bars et des restaurants. C'est l'inquiétude totale. L'effet domino est amorcé et va être ravageur. L'activité va être quasiment à l'arrêt. On va continuer à assumer notre mission de service public et être actif. On va voir comment on peut gérer cette situation, mais il y a un sentiment d'impuissance."

Pierre Steenberghen, Secrétaire Général de GLT-Taxi, le groupement national des entreprises de voitures de Taxis et de Location avec chauffeur, s'attend à ce que le chiffre d'affaires des sociétés de taxis chute brutalement. "Il suffit de faire un copier-coller des statistiques des mois d'avril et de mai. On avait 23% et 25% de chiffres d'affaires. C'est vers ça qu'on va", assure-t-il. "Il n'y a presque plus rien et des factures vont encore arriver. Il y aura des faillites."

Quelles aides?

Pierre Steenberghen demande surtout des aides aux autorités: "Les indépendants ont besoin du droit passerelle. Le chômage temporaire va devoir être prolongé jusqu'à l'année prochaine, sinon des sociétés vont devoir fermer. Comme le secteur dépend des régions, j'espère que la Wallonie et Bruxelles vont pouvoir nous aider."

Les autres primes: 

Wallonie: le gouvernement wallon a proposé une première aide de 5000 euros, si l’entreprise s’est arrêtée totalement. Une aide complémentaire de 3.500 euros est ensuite venue s'ajouter début septembre pour les secteurs encore à l'arrêt.

Bruxelles: le gouvernement avait annoncé en avril une aide unique de 3.000 euros pour les exploitants de taxis et de LVC

Flandre:  une prime de 3.000 euros avait été octroyée aux sociétés de taxis qui n’ont pas fermé mais qui ont perdu plus de 50% de leur chiffre d’affaires. 

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