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Le blues des accueillant(e)s extrascolaires touché(e)s par les mesures corona: "Dans les journaux télé ou chez les politiciens, on n’existe pas"

La crise a mis en lumière un problème structurel dans le secteur de l'accueil extrascolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles. Le métier d'accueillant(e) n'est pas reconnu, beaucoup ont des contrats précaires et remplacer les absent(e)s ou en trouver de nouveaux et nouvelles pour respecter les protocoles Covid est de plus en plus difficile. La ministre Bénédicte Linard va mettre sur pied une commission transversale en vue d’une refonte du décret Accueil Temps Libre, qui date quand même déjà de 2003.

L’accueil temps libre, abrévié ATL, c’est le secteur de l’accueil des enfants âgés de 3 à 12 ans et plus en Belgique francophone. Il est vaste et pluriel, puisqu’il regroupe toutes les activités organisées avant et après l’école, sur le temps de midi, les mercredi après-midi, les week-ends et pendant les jours de congés. Ces activités sont culturelles et sportives (académies de musique, clubs sportifs, cours de danse, de judo, activités nature, etc.) ou multidimensionnelles (organisations de jeunesse, maisons de jeunes, centres de vacances, écoles de devoirs et accueils extrascolaires).

Une sorte de fourretout, reconnu par l’ONE (Office National de l'Enfance) et coordonné par les bien nommés coordinateurs ATL. Il y en a généralement un par commune, parfois deux, avec une exception à Namur et Seraing où ils sont respectivement 3 et 4. En tout, 240 communes sur les 272 que compte la Fédération Wallonie-Bruxelles adhèrent au système.

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La crise a mis en lumière les statuts précaires des accueillantes extrascolaires

David Gosseries est le coordinateur ATL de Mont-Saint-Guibert en Brabant wallon. C’est lui qui nous a contactés via notre bouton orange Alertez-nous. Il représente ses pairs au sein des visioconférences avec le cabinet de leur ministre de tutelle Bénédicte Linard. "Actuellement, c’est un drame social et humain lié à cette crise qui se déroule. La crise a mis en lumière les statuts précaires des accueillantes extrascolaires."

La crise du Covid a en effet chamboulé leur manière de travailler. "Nous avons du personnel sur le terrain depuis le 1er jour car il a fallu maintenir un accueil dans les écoles pour les parents qui travaillaient", explique-t-il.

Difficile de trouver assez de personnel vu le système des bulles

Les coordinateurs ont dû réagir rapidement à chaque nouveau changement décidé par les Conseils Nationaux de Sécurité sous Sophie Wilmès ou les Comités de Concertation sous Alexander De Croo. Comme pour les vacances de Toussaint l’an dernier. Elles ont été prolongées, et donc les coordinateurs ont dû trouver du personnel en dernière minute pour accueillir les enfants deux jours de plus.

Mais ce personnel n’est pas facile à trouver. Car il en faut plus qu’en temps normal. Les accueillant(e)s extrascolaires qui "tournaient" dans différentes implantations "restent désormais systématiquement avec les mêmes groupes sur les mêmes implantations. Et si quelqu’un est positif, en quarantaine ou malade, c’est difficile. Déjà en temps normal il est compliqué de remplacer du personnel par une personne disponible compétente. Il y a une pénurie au niveau des accueillantes", dénonce Nicolas Chisogne, son homologue de la commune de Somme-Leuze en province de Namur.

Dans les écoles, celles-ci s’organisent au mieux. "Pour les temps d’accueil du matin, de midi et du soir, on fonctionne avec une bulle par classe. Les enfants ne voient plus que ceux de leur classe", nous détaille Cécile, accueillante extrascolaire dans une école de Somme-Leuze. Le problème, c’est que "je suis seule pour gérer les groupes donc je passe de l’un à l’autre et à 8h15, une collègue arrive pour gérer uniquement les maternelles. On a réquisitionné des classes pour créer ces bulles. Et dans la cour de récréation, on a créé des zones. Et c’est une bulle dans chaque zone."

Les accueillantes extrascolaires sont exténuées

Des protocoles difficiles à gérer, qui usent les travailleurs. "Avec tous ces différents protocoles, des personnes sont mal psychologiquement", explique David Gosseries. "Les accueillantes extrascolaires étaient contentes d’arriver aux congés de carnaval car elles sont exténuées", confirme Nicolas Chisogne.

Un mal-être méconnu. "On n’a pas du tout eu de médiatisation. Notre secteur est resté dans l’ombre alors que nous sommes sur le terrain" comme d’autres face au Covid, déplore David Gosseries. "On ne parle jamais des temps d’accueil. Dans les journaux télé ou chez les politiciens, on n’existe pas. Heureusement que j’ai la reconnaissance des parents, de mes collègues et de l’administration communale", témoigne Cécile.

Des contrats précaires car ce métier n'existe pas officiellement

"La crise n'a fait que relever les difficultés qu'on rencontre depuis toujours", ajoute le coordinateur brabançon. "Au niveau du secteur ATL, les centres de vacances et les écoles de devoir s’en sortent. Mais l’accueil extrascolaire est complètement dévalorisé. Les accueillantes ont des contrats très précaires pour celles qui ne sont pas engagées par les communes. Des statuts PTP, ALE, des contrats à durée déterminée, voire même du bénévolat", détaille David Gosseries.

Pourquoi un tel éventail de contrats pour un même métier ? Parce que "légalement parlant, c’est un métier qui n’existe pas", résume-t-il. Le statut d’accueillant(e) extrascolaire n’est pas reconnu par l’Onem. Résultat : "On le rattache souvent à du personnel communal repris sur diverses commissions paritaires", ajoute le coordinateur de Somme-Leuze, mais "les pouvoirs locaux n’ont pas des moyens infinis" pour tous et toutes les engager.

30% prestent sous statut ALE pour 5€ de l'heure

"On a réalisé une enquête en 2015 en analysant toute la province de Namur. 30% des accueillantes extrascolaires prestent sous statut ALE", précise-t-il. "Elles viennent pour 5€ de l’heure et quand elles se présentent à une convocation du Forem, on leur dit que ce n’est pas une activité professionnelle et qu’elles ne font pas assez d’heures. Alors que ce statut les limite à 70h par mois, qu’il y a une limite à l’année et que leur journée est coupée en trois", ce qui rend impossible de combiner ce travail avec un autre. "Combien de personnes seraient d’accord ? Puisque vous êtes à mi-temps mais impossible de combiner", se demande-t-il.

Une différence énorme par rapport aux enseignants, alors que "quand vous comptabilisez le temps passé par un enfant en classe ou en dehors, il y a autant de temps passé au niveau de l’accueil temps libre que scolaire", fait-il encore remarquer.

Un diplôme d'accueil extrascolaire, ça n'existe pas

Ce manque de reconnaissance se traduit aussi par un vide au niveau de la formation des accueillant(e)s extrascolaires. "Il n’y a pas de formation certifiante avec un diplôme à la clé", déplore-t-il.

Au niveau de sa formation, Cécile est éducatrice. "J’ai été surveillante d’internat et dans un Institut Médico-Pédagogique. J’ai 50 ans et je suis à l’école communale depuis 2004" en tant qu’accueillante extrascolaire, détaille-t-elle. Et elle a connu des débuts difficiles, comme ses collègues. "J’ai commencé avec un contrat à l’heure, puis j’ai eu jusque 2016 des CDD de 10 mois", sans juillet-août. "Depuis 2016, j’ai un CDI à mi-temps et l’été, je travaille parfois aux stages."

Les problèmes de reconnaissance du métier et des contrats précaires, elle connait. "On a beaucoup de dames qui viennent par l’ALE. C’est dommage parce qu’on n’arrive pas à avoir de continuité, ça change tout le temps de personnel et il n’est pas toujours formé, habitué ou qualifié. Les administrations n’ont pas toujours l’argent pour remplir l’horaire de quelqu’un. Il y a des dames qui ne viennent que sur le temps de midi. Moi j’ai mon contrat et je n’ai pas à me plaindre, mais pour ces dames-là… Si un statut existait, ça motiverait plus du personnel et permettrait des équipes stables. Un vrai statut pourrait éviter l’ALE et donc des gens qui ne sont pas qualifiés ou qui n’aiment pas. Une vraie profession, on la choisit par cœur."

La ministre Bénédicte Linard va réunir tout le monde pour réformer le décret ATL

La ministre de l’Enfance en Fédération Wallonie-Bruxelles, Bénédicte Linard, a décidé de régler le problème, du moins en partie. Elle va lancer une commission transversale en vue d’une refonte du décret ATL datant de 2003. Autour de la table : le cabinet de la ministre, les représentants des coordinateurs ATL, l’ONE et des représentants de secteurs de la jeunesse, de la culture, de l’enfance, de l’enseignement et des sports.

"Nous sommes tout à fait conscients de la situation. Nous savons que beaucoup de travailleurs et travailleuses de l’ATL sont sous contrats précaires. La ministre, en sa qualité de ministre de l’Enfance et des Droits des femmes, veut s’attaquer à ce problème (ces postes sont en effet largement occupés par des femmes). Des réflexions autour de la pérennisation de certains emplois dans l’ATL seront menées dans le cadre de cette réforme", explique Florence Colard, l’attachée de presse de la ministre.

Stabiliser des travailleurs dans des contrats stables

Cependant, créer un statut reconnaissant la fonction n’est pas forcément le premier axe de travail. En effet, faire reconnaitre officiellement ce métier nécessiterait la collaboration du fédéral (pour l’Onem) mais aussi des Régions wallonne et bruxelloise (Forem/Actiris). La ministre "ne dispose pas de tous les leviers d’actions en la matière", note Florence Colard.

Pour la ministre, l’urgence n’est donc pas "de créer un statut particulier", mais bien "de stabiliser des travailleurs dans des contrats stables. Il y a actuellement beaucoup de travailleurs sous contrat article 60 (durée de maximum 2 ans), ALE, etc. Mais aussi des travailleurs stables, mais qui ont un contrat qui débute le 1er septembre et se termine le 30 juin".

La commission va également analyser les pistes de financement de cette politique de contrats stables à mettre en place.

Au-delà de cet aspect précis du décret ATL, d’autres priorités se dégagent. "L’enjeu principal est d’améliorer l’accessibilité aux activités extra-scolaires pour de nombreux enfants qui n’ont accès à aucune activité de loisir. Plus de 30% des enfants de 1 à 15 ans vivant dans un ménage à risque de pauvreté ne peuvent exercer régulièrement des activités de loisirs en dehors de leur domicile, contre environ 3% des enfants vivant dans un ménage qui n’est pas à risque de pauvreté. Or les effets positifs d’une participation régulière à des activités extrascolaires sur le développement social, comportemental et cognitif de l’enfant ont été largement démontrés."

Vers une pénurie d'accueillantes extrascolaires

Permettre aux accueillant(e)s extrascolaire de bénéficier de contrats de travail plus stables serait déjà un grand pas en avant. Mais l’idéal, pour les agents de terrain, serait tout de même une vraie reconnaissance. En effet, "on essaie d’anticiper la pénurie, mais c’est impossible si on ne commence même pas à reconnaitre cette profession. Ici, il y a une urgence. Non seulement toutes celles en activité seront découragées, mais on fera venir comment les gens dans le futur ?", demande Nicolas Chisogne. Créer une formation qui donne accès au métier serait également important : "Pourquoi pas au niveau du secondaire, avec des cycles de formation qui pourraient y déboucher ?"

La revalorisation de ce métier non-reconnu passe aussi par vous. Tant la ministre que Cécile, Nicolas et David le rappellent : en 2021, on n’appelle plus ces travailleuses et travailleurs des "gardien(ne)s d’enfants" ou leur lieu de travail "la garderie", mais des "accueillant(e)s extrascolaires" et "l’accueil extrascolaire". Une terminologie moins carcérale et plus positive, premier pas vers plus de reconnaissance.

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