Accueil Actu

"La fin d'un silence" à Marseille avec l'avenue Ibrahim Ali, victime du racisme

Dans une atmosphère débordant d'émotion, Marseille a mis "fin à un silence" qui a duré plus d'un quart de siècle en baptisant dimanche une avenue du nom d'Ibrahim Ali, tué par un militant FN.

Assise au premier rang, la mère du jeune homme abattu en 1995, venue de Nantes, lunettes et voile blanc, n'a pas pris la parole, semblant se recueillir tout au long de la cérémonie.

Sur la scène, où Ibrahim Ali Abdallah est figé sur une photo dans son sourire d'adolescent, sa cousine tente de contenir ses sanglots et raconte cette nuit où "tout à basculé".

Le 21 février 1995, en pleine campagne présidentielle, ce Franco-comorien de 17 ans courait avec des camarades pour rattraper un bus après une répétition de rap.

Il est alors abattu d'un tir dans le dos à une quarantaine de mètres de distance par un maçon d'une soixantaine d'années, qui collait des affiches de Jean-Marie Le Pen. En 1998, Robert Lagier, décédé aujourd'hui, avait été condamné à 15 ans de prison.

Quelques semaines après, un Marocain de 29 ans mourait noyé après avoir été jeté dans la Seine en marge d'un défilé du FN le 1er mai 1995.

"Du haut de mes 13 ans, je prenais brutalement conscience que ma couleur de peau pouvait me faire tuer sans comprendre pourquoi", explique Fatima Maoulida. Aujourd'hui, elle a 40 ans et pour elle "les mots fascisme, racisme, haine, FN, sont toujours d'actualité".

Chaque 21 février depuis, sa famille, ses proches, des militants associatifs se réunissaient ici, réclamant qu'un geste de la ville soit fait.

Il y a bien une plaque à l'endroit où il est décédé et dans son ancien lycée de l'Estaque. Et Jean-Claude Gaudin, qui a régné pendant 25 ans sur la 2e ville de France, avait donné son nom à un rond-point, mais jamais à une rue.

Pour le socialiste Benoît Payan qui lui a succédé à la mairie, il s'agissait d'"une responsabilité politique et d'un devoir moral" de le faire: "Ce 21 février 2021 marque la fin d'un silence".

"Il fait désormais partie de notre patrimoine commun, de notre identité et de l'histoire de notre ville", a-t-il ajouté.

Après son discours, une Marseillaise est partie spontanément depuis le public rassemblé sous un ciel d'azur. Puis la première plaque Ibrahim Ali sur la désormais ex-avenue des Aygalades a été dévoilée.

- Le combat contre le RN "continue" -

A Marseille, terre d'accueil cosmopolite où vit une importante communauté comorienne, ce crime raciste a profondément marqué les esprits.

La preuve, raconte aujourd'hui Nassurdine Haidari, présentant un de ses fils: Ibrahim, 7 ans, a été nommé ainsi par devoir de mémoire.

"Ibrahim Ali a été tué deux fois, une fois par les colleurs d’affiches et une fois par les quatre municipalités qui se sont succédé et qui n’ont jamais reconnu ce gamin mort honteusement et froidement", estime cet imam, qui est aussi le président du Conseil représentatif des associations noires en Provence- Alpes-Côte d'Azur.

A côté, Sandra M'homa s'éponge le coin des yeux, soulagée de voir que ce crime n'est enfin plus "caché".

"Le racisme est toujours ancré" et il s'insinue désormais "à porte fermée, entre communautés", s'inquiète cette vendeuse de 44 ans, d'origine algérienne et comorienne.

Pour beaucoup, le combat continue. "En 25 ans, on s'est trop divisé et on a créé des boulevards" pour l'extrême droite, alerte sur l'estrade Mohamed Mbé, dit Soly, qui dirigeait à l'époque l'association BVice où Ibrahim et ses amis faisaient du rap.

"Il faut qu'on soit vigilant et qu'on les sorte de notre ville définitivement", ajoute-t-il.

Juste avant, un membre du collectif Ibrahim Ali avait rappelé qu'à 800 mètres de là, le Rassemblement national a dirigé les 13e et 14e arrondissements entre 2014 et 2020, avant de perdre de peu le secteur lors des dernières municipales.

À lire aussi

Sélectionné pour vous