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POLÉMIQUE: au nom d'un Traité signé dans les années 90, les géants du pétrole et du charbon peuvent attaquer les Etats européens

Peu de gens ont déjà entendu parlé du 'Traité sur la Charte de l'Energie'. Il s'agit d'un accord international qui partait d'une bonne intention, à la chute du mur de Berlin, mais qui n'apercevait pas les changements radicaux nécessaires pour protéger la planète de l'activité humaine. Les conséquences sont lourdes, les solutions compliquées.

Une personne a contacté la rédaction de RTL INFO via le bouton orange Alertez-nous pour évoquer une pétition partagée sur les réseaux sociaux, qui s'intitule "Stop au Traité Toxique". Dans sa description, la pétition précise: "Alors que nombreux pays agissent enfin pour contrer le changement climatique et protéger la planète, les géants du charbon et du pétrole poursuivent les gouvernements et leur réclament des milliards". Aussi étonnant que ça puisse sembler, cette polémique est bien réelle, même si elle est un peu complexe à appréhender. On va tenter de simplifier.

Un traité logique (à l'époque)

La pétition s'attaque au Traité sur la Charte de l'Energie, dont l'origine remonte aux années 1990. 30 ans, ce n'est pas énorme. Lors de la chute du mur du Berlin et la levée du 'rideau de fer' qui séparait l'Est et l'Ouest, les préoccupations des dirigeants étaient bien davantage économiques et énergétiques qu'environnementales.

Afin de réconcilier tout le monde et de créer des liens politiques, rien de tel qu'un traité win-win: l'Europe de l'Ouest très développée avait des besoins importants en énergie tandis qu'à l'Est, les sols étaient remplis de gaz et de charbon. Il y avait moyen de s'entendre. 

La Charte Européenne de l'Energie rassemble en 1991 les grands principes d'une coopération internationale, mais ce n'est qu'en 1994 que le fameux Traité sur la Charte de l'Energie (TCE) est signé, à Lisbonne. Un traité qui comprend de nombreux points cruciaux liés notamment à la création d'un 'marché ouvert' (la possibilité d'acheter et vendre facilement) de l'énergie entre les signataires, la sécurisation du transit de cette énergie (exemple: les pipelines de gaz en provenance de Russie), etc. Des résumés assez compréhensibles se trouvent sur cette page officielle de l'Europe

Mais il y a aussi des éléments plus sensibles, même s'ils partent d'une bonne intention: le traité est juridiquement contraignant (les Etats doivent le respecter sous peine d'amendes), les investissements étrangers sont protégés et les éventuels litiges sont traités par des tribunaux dits 'privés' (le principe souvent controversé de règlement ISDS).

La polémique évoquée par la pétition est directement liée à ces éléments.

Incompatible avec la politique 'verte' de l'Union européenne: voici pourquoi

L'Europe multiplie les promesses et les engagements environnementaux: elle veut devenir la première région climatiquement neutre en 2050, elle cesse de soutenir financièrement les projets énergétiques basés sur les combustibles fossiles (gaz, charbon, pétrole), les chefs d'Etats tentent se mettre d'accord pour réduire de 55% les émissions de CO2 de leur pays d'ici 2030, etc…

Dès lors, l'existence de ce Traité est une sacrée épine dans le pied des dirigeants qui soutiennent cette transition 'verte'. Pourquoi ? Car les 'investisseurs étrangers' évoqués plus haut entendent bien faire valoir la 'protection' promise par le traité. Au moins 131 plaintes connues d’investisseurs ont déjà forcé des gouvernements à payer plus de 52 milliards de dollars (d’argent public, donc) en guise d’indemnités.

Un exemple concret tiré d'une dépêche Belga de février 2021: le géant allemand de l'énergie RWE, qui a investi aux Pays-Bas dès 2009 en rachetant Essent, réclame à l'Etat néerlandais une compensation à son projet d'interdire la production d'électricité à l'aide de centrales au charbon. Cette compensation pourrait s'élever à 1,4 milliard d'euros, et c'est le 'Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements' de Washington (sur base du mécanisme ISDS mentionné ci-dessus) qui va trancher…

L'Allemagne (sortie du charbon prévue pour 2038), pour éviter de tels litiges, a décidé d'indemniser lourdement ses deux géants que sont RWE et LEAG (4,3 milliards en tout). Mais la Commission européenne n'aime pas ce genre d'aides financières, et sa police de la concurrence a ouvert "une enquête approfondie" cette semaine. 

Ce genre de litige 'investisseurs contre Etats' se multiplie actuellement, précisément parce que les Etats membres de l'Union européenne veulent appliquer les recommandations en matière de 'décarbonisation' de l'économie (donc une économie peu ou pas dépendantes des énergies fossiles). La liste des litiges en cours est consultable à cette adresse, en cochant dans les filtres 'The Energy Charter Treaty'.

La situation est absurde mais on peut la résumer ainsi: l'Europe exige à ses États de sortir des énergies polluantes (le charbon, par exemple), mais elle a signé un traité qui permet aux entreprises ayant investi dans des centrales au charbon d'attaquer les pays européens qui veulent l'interdire…

Que faire ?

Depuis plusieurs années, l'Europe tente de 'moderniser' le Traité sur la Charte de l'Energie. Mais vous l'imaginez, rien n'est simple. Il faut d'abord trouver une position commune des pays européens sur le sujet, puis convaincre des pays aussi imposants que la Russie et le Royaume-Uni de laisser tomber l'affaire.

Sans parler du Japon, grand investisseur dans le charbon, et des pays comme l’Azerbaïdjan, le Turkménistan, le Kazakhstan ou la Mongolie, dont la 'richesse' dépend fortement de l'écoulement des énergies fossiles. Inutile de préciser qu'ils sont clairement opposés à des réformes.

Régulièrement, vu que les négociations n'aboutissent à rien, il est question de sortir purement et simplement de ce traité. Mais il existe une clause permettant aux entreprises lésées d'attaquer les gouvernements pendant 20 ans. De plus, une sortie trop radicale froisserait les relations avec les pays producteurs de gaz, au moment où certains pays comme la Belgique et la France, qui comptent également sortir du nucléaire, ont besoin de maintenir les pipelines ouverts à bon prix…

La pétition dont on parle aujourd'hui fait écho à des sorties médiatiques de personnalités économiques ou scientifiques (dont cette 'lettre ouverte' signée par beaucoup d'acteurs belges), qui poussent pour une sortie (risquée) de ce traité:

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