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Logement humide, discrimination, angoisse: le quotidien de Lisa, mère célibataire à la recherche d'un logement

Lisa, mère célibataire de deux enfants, perçoit de faibles revenus et doit quitter son logement prochainement. Cette Bruxelloise, qui veut donner une meilleure vie à ses enfants, se heurte à de nombreux obstacles et refus de la part des propriétaires. UNIA, le Centre interfédéral pour l'égalité des chances, pointe ces comportements comme étant des discriminations.

Le quotidien de Lisa, une habitante de Bruxelles, tourne depuis plusieurs mois autour de sa recherche de logement. Petites annonces sur internet, publications sur Facebook, et affichettes de location dans son quartier rythment sa journée. "Je cherche un deux chambres sur Forest, pour un budget de 700/800€", nous récite Lisa, qui répète ce discours plusieurs fois par semaine. "Je dois vous avouer que pour l'instant, je suis découragée par les derniers refus."

Son parcours dépeint la réalité souvent semée d'embûches d'une mère célibataire en quête d'un toit. 

Humidité, problèmes de santé : l'élément déclencheur

Premier obstacle : l'humidité de son appartement actuel. "L'humidité s'empire", constate Lisa. "Ma propriétaire avait déjà fait des travaux dans la salle de bain, quand elle avait acheté l'appartement. Elle a fait ce qu'elle a pu, et je n'ai pas envie de lui causer des problèmes. Mais elle m'a dit que faire de gros travaux, ce ne sera pas possible tant que je suis dans l'appartement."

L'humidité me rend dingue

Selon la propriétaire, les travaux nécessitent de casser les murs. Le bail de 9 ans de Lisa touchant à sa fin, l'occasion est propice à ce type de tâches lourdes. Pour Lisa, c'est aussi l'occasion de trouver un appartement plus adapté à ses deux enfants de 7 et 5 ans. "Ici, je n'ai qu'une chambre, et mes enfants demandent de plus en plus d'avoir une chambre à eux", précise la maman. "Ma fille de 7 ans souffre d'asthme. La pneumologue nous a clairement dit que l'humidité pouvait jouer. Surtout que son lit est juste à côté du mur, plein d'humidité", raconte-t-elle.

Déménager relève donc bien plus de l'obligation que du choix, pour Lisa. "L'humidité me rend dingue, c'est de pire en pire ! J'ai beau frotter avec de la javel... J'ai encore frotté toute la salle de bain ce week-end." Dans cet appartement de 4 pièces en enfilade, l'humidité a toujours été reine, assure Lisa. Lorsqu'elle emménage, il y a 9 ans, elle n'a pas encore d'enfants, et signe le bail avec un autre propriétaire. "L'humidité était déjà là quand j'ai pris l'appartement. Je pensais pas qu'il y allait avoir un problème. Le propriétaire d'avant m'avait dit : 'Un peu de javel, et ça part ! Il faut aérer et bien chauffer'."

À l'époque, déjà, Lisa était en situation d'urgence : "Je venais de me séparer de mon conjoint, qui était violent, et qui voulait prendre mon argent pour ses jeux de hasard", affirme la Bruxelloise, quand le propriétaire m'a dit oui, j'ai foncé."

De refus en refus : "C'est clair que ça joue sur le moral"

Le deuxième obstacle ne tarde pas à pointer le bout de son nez, une fois les recherches de Lisa enclenchées. "Deux chambres, les loyers sont assez élevés", explique la maman, qui cherche principalement dans la commune de Forest. "Avec les propriétaires, soit ça ne va pas parce que je suis sur la mutuelle, soit parce que j'ai deux enfants, soit parce que je n'ai pas de garant. Parfois, ils cherchent couple ou une personne seule pour deux chambres. Parfois, ils demandent d'avoir deux revenus."

Je savais que ça n'allait pas être facile, mais je ne m'attendais pas à ces réponses

Lisa bénéficie d'un revenu de remplacement de la mutuelle suite à une maladie de longue durée. Elle insiste : ses loyers ont toujours été payés à temps. "J'ai une lettre de ma propriétaire actuelle qui l'atteste", ajoute-t-elle. Malgré tout, les refus des propriétaires s'accumulent, toujours plus décourageants pour Lisa, plongée dans une profonde incompréhension. "Je savais que ça n'allait pas être facile, mais je ne m'attendais pas à ces réponses des propriétaires ou des agences, qui elles ne me proposent même pas de visite."


Les exemples de refus ne manquent pas :

- "Un m'a demandé comment je vais faire avec deux chambres, et deux enfants. Moi, ma priorité, c'est que mes enfants aient leur chambre, et moi limite je dors dans le salon. Et le monsieur m'a dit que le syndic n'allait pas accepter ça. Depuis quand le syndic se mêle de comment j'aménage mon intérieur ?"

- "D'autres me disent : 'C'est un immeuble calme, on n'accepte pas les enfants'.'

- "Un propriétaire m'a dit : '850€, vous ne saurez pas payer'. Mais monsieur, j'ai fait mes comptes et je sais payer, sinon je ne viendrais pas visiter. Ils pensent qu'avec la mutuelle, je ne saurai pas payer. Mais je ne vais pas appeler un propriétaire si je ne sais pas payer son loyer !"

À chaque refus, les possibilités de dialogue et de négociation sont quasi nulles. "La plupart du temps, ils ne cherchent pas à savoir plus, ni même à donner des explications. C'est clair que ça joue sur le moral, d'être refusée constamment à cause de raisons différentes. Je comprends les propriétaires, mais ils peuvent aussi faire un minimum confiance."


 

La mère célibataire: un profil peu populaire sur le marché

Lisa a le sentiment que la situation s'est empirée durant la crise sanitaire liée au coronavirus. "Les visites sont amoindries, donc le tri se fait d'abord au téléphone, sans même rencontrer la personne. Je crois que le Covid joue aussi, parce que les gens ont peur que je ne les paye pas. Je n'ai même pas l'occasion de m'expliquer. Dès que je dis que je suis à la mutuelle, on me dit que ça n'ira pas." 

C'est illégal

Voilà un constat qui n'étonne pas UNIA, le centre interfédéral pour l'égalité des chances. En 2019, déjà, 40% des dossiers de discrimination au logement étaient basés sur l'origine des revenus. Cela représente 276 dossiers sur l'année. "L'origine des revenus ne peut pas être une raison pour refuser un logement", met d'emblée en évidence Florence Pondeville, cheffe de service adjointe chez UNIA. "C'est illégal. Beaucoup d'agences et de propriétaires demandent un grand nombre d'informations avant même la visite. La crise a renforcé la compétitivité sur le marché. Les problèmes déjà existants ont été amplifiés."

C'est le profil qui n'est pas attractif sur le marché du logement

Pour cette spécialiste, Lisa représente le profil par excellence qui fait peur aux propriétaires, alors prêts à tout pour ne pas y être confrontés. "On sent bien ici que c'est le statut de maman célibataire qui inquiète les propriétaires. C'est vraiment le profil, et l'intersectionnalité des critères, qui fait peur. On s'imagine que la maman solo ne va pas réussir à payer son loyer, va être dépassée par ses enfants qui seront bruyants, etc." La discrimination s'accompagne également de questions intrusives et infantilisantes sur la vie privée de la chercheuse de logement, comme observé dans les exemples cités précédemment. "Les gens s'imaginent des fins de mois compliquées, des problèmes d'argent", poursuit Florence Pondeville. "C'est le profil qui n'est pas attractif sur le marché du logement."

Contrer les discriminations au logement: voici deux options

Comment faire alors pour dépasser cet a priori de certains propriétaires, et accéder au droit au logement ? UNIA encourage d'abord à signaler les discriminations à ses services. En plus de répertorier les faits, le Centre interfédéral peut accompagner les futurs locataires, en les informant, ou en rappelant à l'ordre les propriétaires discriminants.

Si le candidat locataire dispose de preuves, un dossier conséquent peut être constitué. "La majorité des dossiers qu'on gère, chez nous, ce sont des dossiers concernant des agences", affirme Florence Pondeville. "Sous couvert de la gestion de nombreux dossiers, ils se permettent de mettre en place des règles, des formulaires discriminants. Il y a des pratiques problématiques, mais on essaye aussi de collaborer avec des agences immobilières pour les informer."

Si la personne est sans domicile, on peut activer les dispositifs d'urgence

Les Centres publics d'action sociale (CPAS) sont également habilités à intervenir dans les recherches de logements des personnes précarisées. Selon les explications d'Alain Vaessen, directeur général de la Fédération des CPAS, les travailleurs sociaux établissent un "état de besoin" avec le demandeur. "Si la personne est sans domicile, on peut activer les dispositifs d'urgence comme les relais sociaux et maisons d'accueil", précise le directeur. "Mais si la personne a déjà un logement, on regarde ses rentrées financières. C'est souvent l'occasion de structurer toute une série d'aides sociales autour d'elle."

Cet accompagnement ne s'adresse pas uniquement aux bénéficiaires du revenu d'intégration sociale, mais aussi à toute personne ayant besoin d'aide. "On peut faire des recherches de logements privés, avec la personne. Dans ce cadre-là, ce sont souvent des niveaux de loyers importants. Alors, on peut aider à la constitution des garanties locatives, de manière à ce que la personne ne doive pas débourser la garantie en plus du premier loyer. Le CPAS peut aussi se porter garant, ce qui peut rassurer les propriétaires, mais aussi malheureusement stigmatiser le candidat."

Quand un propriétaire identifie le demandeur comme étant au CPAS, ça peut être un frein

Les discriminations subies par Lisa n'étonnent pas non plus Alain Vaessen. "C'est malheureusement courant. Chez nous, souvent quand un propriétaire identifie le demandeur comme étant au CPAS, ça peut être un frein. On peut comprendre, en partie, qu'ils regardent le niveau financier, social… on essaye de lever tous les obstacles, mais le chemin est plus tortueux."

Un combat inégal dans lequel on se sent bien seul: "J'ai même écrit au Roi"

"C'est surtout pour mes enfants, que je me bats", évoque Lisa avec beaucoup d'émotion. "Je veux qu'ils puissent grandir et évoluer dans leur espace." Ce combat, Lisa le mène toute seule. "Je suis un peu livrée à moi-même, mais ce depuis mes 18 ans, on va dire, et je ne m'en plains pas. J'ai appris à me débrouiller, je n'aime pas dépendre de quelqu'un."

Lisa a déjà mobilisé plusieurs aides, dont celles du CPAS, sans résultat pour l'instant. La maman n'a pas encore suffisamment de points pour prétendre à un logement social. En effet, pour bénéficier d'un accès à ces habitations à bas loyers, il faut s'inscrire sur une liste d'attente et cumuler des points de priorité et d'ancienneté. Les ménages ayant le plus de points sont prioritaires dans l'octroi d'un logement social. Actuellement, Lisa dispose de 10 points, ce qui ne la place pas encore en haut de la liste. Vous retrouverez toutes les conditions d'accès aux logements sociaux sur le site de la Fédération des CPAS

Malheureusement, ça ne m'a pas beaucoup aidée

Enfin, la Bruxelloise a tenté le tout pour le tout en sollicitant l'aide du Roi Philippe. "J'ai même écrit au Roi pour expliquer ma situation. Je me suis dit : pourquoi pas tenter le coup?" Un collaborateur a répondu à la lettre de Lisa, et lui a transmis les coordonnées d'organismes compétents. "Malheureusement, ça ne m'a pas beaucoup aidée", déplore Lisa. 

Les jours passent, et l'échéance se rapproche. Le bail de Lisa prend fin au mois de juin, et actuellement, la mère de famille ne dispose d'aucune garantie de logement. "Ça me rend vraiment triste pour mes enfants", insiste Lisa, qui se dit angoissée par cette recherche de logement. "Je ne peux pas les laisser là-dedans, dans un lit superposé à deux."

Lueur au bout du tunnel : le Conseil des Femmes francophones de Belgique (CFFB) a récemment pointé du doigt l'impact de la crise sanitaire sur les femmes. Le CFFB plaide pour un plan global contre les inégalités exacerbées par la crise. "Les femmes ont souffert du confinement et continuent de souffrir", appuie Sylvie Lausberg, présidente du Conseil, interrogée par Belga. "Il y a des conséquences dans tous les domaines. Cela vient de tous côtés."

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