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Assa Traoré fait de son audience en diffamation "l'avant-procès" du décès d'Adama

Assa Traoré, poursuivie en diffamation par les gendarmes qu'elle accuse d'avoir tué son frère en 2016 dans le Val-d'Oise, a fait vendredi devant le tribunal judiciaire de Paris une sorte d'"avant-procès" du décès d'Adama.

En l'absence de perspectives sur un éventuel procès dans cette affaire au fort retentissement médiatique, les parties ont débattu "avant l'heure", selon les termes d'Assa Traoré, des causes du décès de son frère, Adama Traoré.

Le jeune homme noir de 24 ans est mort, le 19 juillet 2016, dans la caserne de Persan près de deux heures après son arrestation dans sa ville de Beaumont-sur-Oise (Val-d'Oise), au terme d'une course-poursuite, un jour de canicule.

Depuis cinq ans, des juges d'instruction tentent de déterminer les causes de ce décès, s'appuyant sur des expertises médicales dont les conclusions divergent sur la responsabilité des gendarmes, pas mis en examen à ce stade.

Ces trois militaires, auxquels Assa Traoré espérait être confrontée, étaient absents à l'audience.

Pour prouver ou au contraire infirmer les "bases factuelles" nécessaires pour caractériser une diffamation, défense et parties civiles se sont appuyées sur des pièces du dossier d'instruction, toujours en cours.

Elles se sont notamment écharpées sur la durée de l'interpellation, de moins d'une minute pour les avocats des gendarmes à neuf minutes pour Yassine Bouzrou, avocat de la famille Traoré qui a plusieurs fois fait un parallèle avec l'affaire George Floyd, récent symbole des violences policières aux Etats-Unis.

"Lorsqu'un individu est entre les mains d'un service public et qu'il décède, on peut estimer qu'il y a une responsabilité des individus qui l'ont interpellé", a tancé Me Bouzrou.

- "J'y laisserai ma vie" -

Lorsque les détails de l'interpellation et de la mort d'Adama Traoré sont décrits par l'avocat, dans des termes durs, la mère du défunt éclate en sanglots.

A la fin du procès, l'ambiance jusque là sereine s'est tendue et chargée émotionnellement.

Le public de 70 personnes, silencieux durant l'audience, a soudain abondamment applaudi la longue plaidoirie de l'avocat, et la prise de parole d'Assa Traoré. "On se battra jusqu'au bout. S'il le faut j'y laisserai ma vie pour avoir la vérité et la justice", a-t-elle lancé.

Un malaise le matin même l'avait empêchée d'assister aux plaidoiries et réquisitions.

A l'appel du collectif La Vérité pour Adama, environ 300 personnes s'étaient rassemblées vers 14H00 devant le tribunal.

Depuis cinq ans, la famille Traoré se mobilise pour voir les gendarmes sur le banc des accusés.

Objet du procès qui s'est tenu sur deux journées: la tribune d'Assa Traoré, intitulée "J'accuse", publiée sur Facebook en juillet 2019, au troisième anniversaire du décès.

Dans une référence à la formule d'Emile Zola, Assa Traoré citait les noms des gendarmes et les accusait dans une anaphore "d'avoir tué (son) frère Adama Traoré en l'écrasant avec le poids de leurs corps", "de ne pas (l')avoir secouru" et "d'avoir refusé de (le) démenotter en affirmant qu'il simulait".

"J'assume cette lettre. Si la justice française à laquelle j'étais censée faire confiance avait fait le travail nécessaire, peut-être qu'à ce moment-là, je n'aurais pas eu envie d'écrire cette lettre", s'est-elle défendu.

Le procureur Yves Badorc a demandé au tribunal de la condamner car "le droit à l'indignation a ses limites".

Pour Me Sandra Chirac Kollarik, avocate d'un militaire cité dans la tribune, "le but depuis le départ n'est pas la recherche de la vérité mais de s'approcher de l'établissement du postulat de la famille depuis le premier jour: la culpabilité des gendarmes".

"Cette tribune n'a plus rien à voir avec la justice", a abondé Me Thibault de Montbrial, conseil d'une gendarme qui s'est portée partie civile. "La justice qui est demandée, ça n'est plus d'avoir une décision mais une condamnation coûte que coûte de tout le monde", a-t-il ajouté.

La décision a été mise en délibéré au 1er juillet.

En février, les gendarmes avaient obtenu une condamnation d'Assa Traoré par la cour d'appel de Paris, devant laquelle ils l'attaquaient au civil pour "atteinte à la présomption d'innocence".

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