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Au procès Mila, la banalité du cyberharcèlement en meute

"J'ai pas réfléchi et j'ai tweeté comme ça": des jeunes gens "sans histoire", jugés à Paris pour avoir harcelé en ligne ou menacé de mort l'adolescente Mila après sa vidéo polémique sur l'islam, ont assuré lundi ne pas avoir réalisé qu'ils participaient à un "raid" numérique.

Le 16 novembre dernier, Lauren G., étudiante en licence d'anglais de 21 ans, écrivait sur son compte Twitter: "que quelqu'un lui broie le crâne par pitié".

Elle réagissait à la nouvelle vidéo très critique envers l'islam, devenue virale, publiée par Mila, dix mois après un premier post dans lequel cette dernière qualifiait cette religion "de merde". Ces premiers propos avaient déjà déclenché un déferlement de messages haineux et de menaces et contraint l'adolescente à vivre sous protection policière.

Les treize prévenus âgés de 18 à 30 ans, pour la plupart sans antécédents judiciaires, athées ou de toutes confessions, comparaissent pour harcèlement, parfois accompagné de menaces, cités par le parquet dans le cadre d'une enquête du nouveau pôle national de lutte contre la haine en ligne.

Des profils "surprenants" pour le président du tribunal Michaël Humbert qui, pendant près de 14 heures d'audience, a souvent rappelé son rôle: "comprendre" un "phénomène de société", sans "excuser" ni "légitimer", sans "faire un exemple" non plus.

"Il y aura un avant et un après ce procès. Nous sommes en train de poser les règles de l'acceptable et de l'inacceptable", a estimé le magistrat, alors que l'affaire Mila a ravivé le débat sur les limites de la liberté d'expression.

- "Stupide" -

Les prévenus interrogés lundi - quatre le seront mardi matin - ont reconnu en grande majorité être les auteurs des messages mais en contestant toute infraction pénale.

"Sur le moment, j'étais pas au courant que (Mila) était harcelée. C'était stupide et j'aurais dû réfléchir", explique ainsi Lauren G., pull ample, jean et baskets. "J'en avais ras-le-bol de voir son prénom tout le temps dans mon fil d'actualité alors qu'elle ne m'intéresse pas", justifie-t-elle.

"J'ai réagi à chaud, j'ai dit n'importe quoi (...) Il faut toujours réfléchir avant de tweeter", admet de son côté Enzo C., chrétien pratiquant de 22 ans, qui a écrit en novembre "Tu mérites de te faire égorger salle grosse pute" avant de supprimer son message.

Plaidant la "bêtise", "un peu honteux" et "forcément un peu inquiet" pour son avenir rêvé en ambulancier, il tient à "présenter (ses) excuses" à Mila. "J'espère que tu pourras reprendre ta vie normale".

"C'était clairement pas une menace de mort pour moi", se défend Pierre R., 20 ans, agent de logistique à Lyon, athée. Accusé d'avoir écrit "Faut la faire sauter", il assure qu'il parlait de "suspendre le compte" de Mila.

Alyssa K., étudiante en "licence humanité" de 20 ans, en service civique dans une mairie et musulmane, affirme qu'elle n'avait pas conscience de la connotation menaçante de son message.

"Donc quand vous dites +qu'elle crève+, pour vous ce n'est pas menaçant?", lui demande le président. "Et bien c'est très dangereux de laisser un téléphone portable dans les mains d'une personne comme vous", commente-t-il.

Poursuivi pour harcèlement pour avoir écrit vouloir mettre "un coup de b*te" à Mila, "cette mal baisée", Jordan L, cuisinier au chômage de 29 ans, "regrette" des propos "bêtes, graveleux". Mais assume, nonchalant à la barre, le fond de son message, au nom de la liberté d'expression, avant de déplorer un procès "spectacle".

- "Je ne me soumettrai pas" -

Après une "entracte", le tribunal a longuement entendu la mère de Mila, puis l'adolescente aujourd'hui âgée de 18 ans, qui a dénoncé des violences "totalement injustifiables" qu'elle a refusé d'excuser.

"Je ne menace pas une personne de mort parce que ce qu'elle a dit ne me plaît pas", a rétorqué la jeune femme au président qui lui demandait si ses harceleurs avaient pu être "heurtés" par ses propos.

Dans sa seconde vidéo, publiée le 14 novembre sur le réseau social Tik Tok, elle avait dit: "et dernière chose, surveillez votre pote Allah, s'il vous plaît. Parce que mes doigts dans son trou du cul, j'les ai toujours pas sortis".

"Je suis certaine que si j'avais critiqué l'islam sans gros mots, ils auraient réagi de la même manière et trouvé d'autres arguments", estime Mila, veste blanche sur robe noire, cheveux bleu-vert coupés au carré.

Accoudée à la barre, celle qui a été érigée par certains en porte-voix du droit au blasphème, assure: "On veut m'interdire de parler d'islam. (...) Je ne me soumettrai pas".

Les prévenus encourent jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 45.000 euros d'amende.

Suite et fin du procès mardi.

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