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A Rennes, déceler les maltraitances infantiles est une affaire d'équipe

Repérer les maltraitances que même les médecins chevronnés manquent parfois de voir lorsqu'il s'agit d'enfants: telle est la mission d'une équipe pluridisciplinaire, accolée aux urgences pédiatriques de Rennes, qui épaule les professionnels de terrain et prend en charge les mineurs depuis 1999.

Dans la salle d'attente, une maisonnette obturée par un gros adhésif sonne comme une allégorie. Un couple est venu consulter pour son fils de deux ans qui joue avec la grenouille en peluche du service.

Un soir, le blondinet est sorti de chez sa nourrice avec un grand bleu sous l’œil. "On pense forcément au pire", reconnaît Cédric, le papa. Après une hospitalisation et une batterie d'examens, le petit a pu regagner sa maison. Une enquête a été ouverte.

"Chez un nourrisson qui ne peut, par définition, pas se déplacer, des bleus ou une fracture doivent déclencher un feu rouge", souligne le Dr Martine Balençon, responsable médicale de la Cellule d'accueil spécialisée enfance en danger (Cased) qui regroupe pédiatres, puéricultrices, une pédopsychiatre et une assistante sociale.

Mais les négligences ne se voient pas forcément au premier coup d’œil alors qu'elles sont fréquentes: un enfant régulièrement placé devant un écran, qui n'a pas d'interaction avec ses parents, un enfant dont on ne respecte pas le sommeil...

"La réalité de l'enfance en danger, c'est que si on est tout seul, on peut ne pas la voir", observe Mme Balençon, souris en peluche sur son stéthoscope.

"La maltraitance génère chez les professionnels de la cécité, comme si la sidération nous empêchait de voir. La pluridisciplinarité permet de mieux évaluer les situations pour ne pas laisser un cas de maltraitance", poursuit la spécialiste.

Même les meilleurs se font parfois avoir, comme cette pédiatre qui, après avoir observé "d'authentiques brûlures, très évocatrices de traumatismes infligés avec des objets métalliques comme un fer à repasser, a demandé l'avis d'un dermatologue".

- libération de la parole -

Médecins, enseignants, enquêteurs de police... Tout professionnel au contact des enfants peut saisir l'équipe rennaise pour étayer un diagnostic dès lors qu'il suspecte un danger pour l'enfant.

"Ce n'est pas du doigt mouillé, du +je pense que les parents ne sont pas bien+. On évalue les symptômes et on fait un vrai diagnostic médical", explique la pédiatre qui est également médecin légiste et présidente de la Société française de pédiatrie médico-légale.

En 2020, la Cased a traité 840 dossiers. Selon une étude du Lancet, en moyenne 10% des enfants sont victimes de maltraitance dans les pays "à haut niveau de revenus".

Les actes de maltraitance commis sur des enfants peuvent entraver à terme leur neurodéveloppement et l'acquisition du langage. Selon l'OMS, ils peuvent favoriser aussi les maladies psychiatriques, cardiaques, cancers ou suicides.

Dans son bureau orné d'origamis, Alexandra Mérille, infirmière puéricultrice, est au téléphone avec le Centre départemental d'action sociale (CDAS). "Une maman séparée s'inquiète parce que sa fille de quatre ans a mimé des scènes à caractère sexuel en revenant d'un weekend avec son père", raconte-t-elle.

"Pendant longtemps, on a cru que ce qui se passait dans le cercle familial ne nous regardait pas. Aujourd'hui le regard a changé. Si un enfant arrive à révéler des choses c'est énorme parce que le sentiment de loyauté vis-à-vis de ses parents rend difficile cette libération de la parole", poursuit Mme Mérille.

Depuis l'affaire d'Outreau, le recueil de la parole fait toutefois l'objet de précautions. "On pose des questions ouvertes pour ne pas induire certaines réponses. Un enfant ne doit pas non plus être interrogé à plusieurs reprises car l'information risque de se perdre", prévient l'infirmière puéricultrice.

Si elle n'a pas enregistré d'augmentation notable de violences pendant le confinement, Martine Balençon a le sentiment d'avoir vu plus de "situations graves".

Nicolas Cadot, éducateur à Saint-Malo, est venu accompagner une adolescente. "La pandémie a pu servir de prétexte pour rester chez soi. Une famille qui vit en vase clos, cela peut générer de la violence psychologique ou physique", souligne le professionnel, citant le cas d'un Cancalais "qui arrivait à sortir son chien mais pas ses enfants".

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