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Mutuelles débordées? "Plusieurs mois d'attente pour être payée", affirme Loriane, logopède à Profondeville

Le principe du tiers-payant peut s'avérer pratique, voire indispensable pour les personnes n'ayant pas les moyens de payer directement les honoraires des prestataires de soins. Mais pour les logopèdes, la procédure est lourde au niveau administratif, sans compter les délais, parfois très longs, pour toucher l'argent. Explications.

Le 'tiers-payant' est la possibilité pour un prestataire de soins de se faire payer directement par la mutuelle du patient, plutôt que par le patient lui-même. Traditionnellement, le patient paie le prix total de la consultation, reçoit une attestation qu'il envoie à la mutuelle et celle-ci le rembourse quelques semaines plus tard. Mais avec le 'tiers-payant', on simplifie la procédure. Le patient ne paie qu'une toute petite partie lors de la consultation, la plus grande partie est payée plus tard par la mutuelle.

Le fonctionnement du 'tiers-payant' n'est pas forcément pratique pour un prestataire de soins. C'est en tout cas ce dont veut témoigner Loriane, logopède, qui a contacté la rédaction de RTL INFO via le bouton orange Alertez-nous : "Les délais de paiement sont devenus tout à fait aléatoires, allant de quelques jours à plusieurs mois. Et ça met les logopèdes dans des situations financières très difficiles...", nous a-t-elle expliqué.

"Mon travail, c'est ma vie"

Loriane a 38 ans et est logopède depuis 2004 dans la région de Bois-de-Villers (une section de la commune de Profondeville, dans le Namurois).

"Logopède, c'est mon travail, c'est ma vie. Je travaille principalement avec des enfants. Ça va de la naissance à l'adolescence. Des enfants dyslexiques ou dyscalculiques ayant des difficultés à apprendre à lire ou calculer, des retards de langage pour lesquels il faut apprendre à parler et articuler, des troubles de l'attention, des enfants hyperactifs… c'est très vaste !", dit Loriane qui ne manque donc "absolument pas de travail".

Comment se passe le paiement des consultations ?

"Il y a des parents qui paient la séance directement, en cash. Mais c'est environ 10% des parents de ma patientèle. D'autres parents paient à la fin du mois: je donne l'attestation de soins (comme quand vous allez chez le médecin), ils la rentrent à la mutualité, ils attendent qu'elle rembourse les soins et ensuite ils me paient".

Je ne le fais qu'avec les parents qui sont en difficulté financière

Et "la troisième solution, c'est de pratiquer le tiers-payant. Donc j'envoie directement à la mutuelle du patient un formulaire, bien complet et bien rempli, avec le nombre de séances, le prix, le remboursement de l'Inami, la quote-part des parents. Il y a des codes, un premier papier, un deuxième papier, une synthèse, un total. Tout est sur papier, à remplir à la main ! C'est plein de paperasse à faire, ça prend du temps. Et il ne faut pas se tromper dans l'adresse, celle pour le tiers-payant de chaque mutuelle est bien spécifique. Si on envoie à l'adresse générale, ce sont les parents qui se font rembourser". C'est donc avantageux pour le patient qui ne doit pas avancer l'argent ni envoyer d'attestation à la mutuelle, mais ça l'est nettement moins pour les logopèdes.

Selon Loriane, "c'est pour un tiers des patients, environ", qu'elle pratique le tiers-payant. "Je ne le fais qu'avec les parents qui sont en difficulté financière, mais certaines logopèdes le font pour tous leurs patients". C'est le cas d'une logopède de l'UPLF, l'Union Professionnelle des Logopèdes Francophones : "Ça dépend où et comment on travaille (voir plus bas), mais moi c'est 90% des consultations", nous a-t-elle expliqué.

"Avant le covid, c'était déjà très lent"

Si Loriane nous a contactés, c'est pour pousser un petit coup de gueule par rapport aux délais de paiement du régime 'tiers-payant', qui représente donc un service pour le patient, à charge de la logopède.

"Avant le covid, c'était déjà très lent. Les mutuelles traînaient, elles inventaient des choses qui n'étaient pas dans les bilans, et il fallait répondre et renvoyer. Normalement, dans le mois, plus ou moins, parfois trois semaines, c'était réglé et payé par la mutuelle". Loriane recevait donc l'argent pour les prestations déjà effectuées endéans un mois environ.  

Mais "depuis le covid, ça a empiré", déplore-t-elle. Désormais, elle affirme devoir attendre 2 ou 3 mois. "Ici, par exemple, j'ai envoyé des documents fin juin, et je n'ai toujours pas de paiement ni de réponse alors que nous sommes mi-septembre. Quand on téléphone (il faut avoir au moins deux heures à perdre) on nous répond 'Ah oui, mais avec le covid, …'. Le covid, il a bon dos. Moi je travaille, peut-être que vous devriez travailler aussi un petit peu. On dit que le dossier est en cours, mais on n'en sait pas plus".

L'argent, "on finit toujours par l'avoir, théoriquement ce n'est jamais plus de trois mois, sauf problème", explique l'UPLF.

Conséquences: "Des rappels de facture"

Ces retards de paiement ont-ils un impact sur l'équilibre financier de Loriane ? "Oh oui… Il y a des factures que je dois payer en retard, parce que l'argent n'est pas sur le compte. Des domiciliations qui ne passent pas, car l'argent n'est pas arrivé car il y a du retard du côté des mutuelles".

Tous les mois, on est obligé de chipoter

Tout cela occasionne "des rappels de facture, des suppléments… tous les mois, on est obligé de chipoter, de chicaner pour essayer de payer toutes les factures car on n'a pas notre salaire".

L'UPLF a bien conscience du problème des retards de paiement de la part des mutuelles. "Quand on leur dit 'C'est notre salaire', ils ne comprennent pas" dans quel embarras certaines logopèdes se retrouve.

La solution: l'informatisation de la procédure… "dans 4 ans"

Pour Loriane, l'informatisation des procédures permettrait déjà de résoudre la charge de travail administrative de son côté. "Et sans doute que ça irait plus vite du côté des mutuelles également. Les médecins l'ont déjà. Ils ouvrent une session pendant le rendez-vous, et à la fin, tout est envoyé aux mutuelles automatiquement. J'ai une amie médecin, elle est payée dans la semaine".

Mais cette informatisation des formalités administratives liées au tiers-payant n'est pas pour tout de suite. "On nous l'avait promise pour 2016", nous explique l'UPLF. "Cette année, lors d'une des réunions avec les mutuelles et l'Inami, on nous a dit que ce serait dans 4 ans(d'après la mutualité socialiste, cette informatisation "est prévue courant 2023", NDLR). Nous, on n'a rien à dire, ça a l'air très compliqué en tout cas".

Solidaris n'évoque pas de retard particulier

Selon Loriane, "c'est avec la mutualité socialiste qu'il y a le plus de retard". C'est donc logiquement vers celle-ci que nous nous sommes tournés pour obtenir des explications.

Tout d'abord, Solidaris nous apporte des précisions par rapport au tiers-payant. "Par exemple, pour une séance de logopédie pour dyslexie, au cabinet du logopède : le patient paie au logopède 5,50 € (quote-part), le logopède envoie l’attestation de soins chez nous et nous lui remboursons 22,83 €. Au total, le logopède aura perçu son honoraire total : 28,33 €".

Qui a droit au tiers-payant ? "Le tiers-payant est en général facultatif, c’est-à-dire que le prestataire est libre de l’appliquer ou non. Il y a quelques exceptions où le tiers-payant est obligatoire (principalement en cas d’hospitalisation) ou au contraire interdit. Pour la logopédie, le tiers-payant est toujours possible sauf pour les prestations effectuées à l’école du bénéficiaire".

Les mutuelles doivent gérer toute une série de mesures d’assouplissement

Quant aux retards évoqués par les logopèdes, "à l'exception peut-être de l'un ou l'autre paiement isolé, les délais légaux sont respectés. A savoir, un paiement au plus tard pour la fin du mois qui suit le mois de réception de la facture. Il n’y a donc pas de retard par rapport aux délais légalement prévus. Cela entraîne un délai de 2 mois maximum (si le logopède envoie sa facturation début septembre, il aura le paiement au plus tard fin octobre)".

Le covid perturbe-t-il encore le fonctionnement des mutuelles ? "Comme d'autres entreprises, nous constatons des absences et des quarantaines" qui perturbent l'organisation du travail. Mais surtout, il y a une surcharge de travail pour les mutuelles, car l'épidémie a contraint des logopèdes à suspendre les consultations, et il y a des ajustements à effectuer "pour assurer la continuité des soins. Les mutuelles doivent gérer toute une série de mesures d’assouplissement : prolongation des accords (de couverture des soins), réception échelonnée des documents nécessaires pour un accord, limite d’âge étendue,… Ces mesures étant urgentes et temporaires, elles n’ont pas toujours pu être implémentées automatiquement dans notre système informatique, ce qui signifie qu’elles peuvent faire l’objet d’une vérification manuelle ", conclut Solidaris.

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