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Afghanistan: comment un smiley dessiné sur la main est devenu un code entre ressortissants et militaires belges

Un smiley dessiné sur la main était l'un des signes de reconnaissance que les militaires belges avaient convenu avec les ressortissants belges et afghans ayants-droit qui devaient être évacués de Kaboul lorsqu'ils se pressaient dans la foule aux portes de l'aéroport, a détaillé mercredi le commandant belge de l'opération d'évacuation, lors d'une conférence de presse organisée par la Défense.

Entre le 20 août et le soir du 25 août, 1.412 personnes que la Belgique avait prises sous sa protection ont été évacuées de l'aéroport de Kaboul, alors que la ville avait été reprise par les talibans après une reconquête éclair du pays, à quelques jours du départ des forces occidentales fin août. L'affluence et la pression étaient extrêmes.

"C'était comme au Heysel en 1985, des gens sont morts écrasés sur les grilles" de l'aéroport, a témoigné le colonel Tom Bilo, commandant des forces spéciales belges de l'opération Red Kite, chargée de l'évacuation entre Kaboul et Islamabad (capitale du Pakistan voisin), puis de là vers l'aéroport militaire de Melsbroek. À défaut d'un drapeau ou d'un insigne belge, un smiley sur la main permettait d'identifier dans la foule une personne listée à évacuer.

Des parents voulaient confier leur bébé aux militaires

La situation s'est compliquée le 23 août, avec la fermeture de certains accès à l'aéroport "soi-disant pour travaux de réfection, mais en réalité pour décourager les gens de venir". Vu le "no-go" des forces américaines pour sortir en ville récupérer des personnes à évacuer, les Affaires étrangères et la Défense belge contactaient via Whatsapp ces personnes ciblées au préalable et leur donnaient rendez-vous à un endroit où un bus, coordonné par les Américains via de multiples personnes interposées, venait les chercher.

"On avait très peu de contrôle sur la bonne marche de ce processus, et sur qui le chauffeur acceptait à bord. Avec le bouche-à-oreille, on s'est retrouvé parfois avec 200 personnes alors qu'on en attendait cent. Avec de fâcheuses conséquences, car il fallait alors refuser des personnes qui n'étaient pas listées comme ayants-droit. Des grands-parents devaient laisser leur famille partir. Des parents voulaient confier leur bébé aux militaires, c'étaient des situations déchirantes, mais elles ont été gérées avec un grand professionnalisme et beaucoup d'humanité par nos équipes", selon le colonel Bilo.

Des passagers dispersés sous la menace de coups de feu

Mais d'autres pays menant aussi ce type d'évacuation, les talibans ont commencé à craindre une fuite des cerveaux et une seconde tentative belge, avec un autre convoi, a été arrêtée par les talibans. Les passagers ont été dispersés dans la foule sous la menace de coups de feu.

"Nos tentatives de les recontacter ont permis d'en faire rentrer certains par des vols néerlandais, mais la possibilité de travailler avec les bus était compromise", expose le colonel Bilo.

La Belgique recense encore quelque 480 ayants-droits à évacuer "dans les semaines ou mois à venir" d'Afghanistan, pays que les forces belges ont quitté le 25 août au soir, la veille d'un attentat-suicide qui a fait au moins 182 morts dont treize militaires américains.

Si l'on était resté, il y aurait eu des Belges sous les décombres

"La menace avait augmenté considérablement, on avait vu des drapeaux de l'ISIS-K (une branche de l'État islamique présente en Asie centrale, NDLR) dans la foule. C'était un dilemme entre la poursuite de l'évacuation des familles et la sécurité de notre détachement. La décision de partir a été judicieuse. Si l'on était resté, il y aurait eu des Belges sous les décombres, car on était exactement à l'endroit" où l'attentat a eu lieu, a expliqué le commandant Bilo.

Jusqu'à 41 militaires belges ont été déployés à Kaboul pendant l'opération "Red Kite" ("cerf-volant rouge", du nom de ce loisir traditionnel kabouliote interdit par les talibans), dans des conditions extrêmes de menace, de pression et de chaleur (jusqu'à 45 °C). L'essentiel était coordonné depuis Islamabad et la résidence de l'ambassadeur transformée en QG de fortune.

Au total, quelque 300 militaires ont été mobilisés, ce qui montre la "capacité de résilience" de la Défense, selon son chef, l'amiral Michel Hofman, pour qui la mission a été accomplie. Il souligne la rapidité du déploiement (la première décision d'évacuation avait été prise le 16 août au comité ministériel restreint -"kern"- du gouvernement fédéral) et la mobilisation rapide d'un personnel dont une partie était toujours déployée sur le territoire national dans le cadre de la surveillance en rue (opération Vigilant Guardian, qui a pris fin le 1er septembre), la lutte contre le covid et l'aide aux sinistrés des inondations.

La menace sol-air était réelle

Le tout dans une période de vacances où la disponibilité du personnel est traditionnellement moindre. Les militaires ont en revanche loué la coopération avec les autres départements belges (Affaires étrangères, Sûreté, Asile, etc., avec les alliés néerlandais, danois ou luxembourgeois à Islamabad, ou encore avec tous les autres pays à Kaboul. Trois des cinq derniers C-130 de la Défense ont été déployés, ainsi qu'un A400M belgo-luxembourgeois.

"Notre capacité aérienne est en transition, avec le déphasage des C-130 et l'arrivée des A400M. L'urgence de l'opération Red Kite a fait que d'autres théâtres d'opération ont dû attendre au niveau approvisionnement, nous en avons ressenti quelques conséquences, il y a des limites à ce que nous pouvons encore faire", a commenté l'amiral Hofman.

L'un des pilotes de C-130 a décrit le "far west" qu'était devenu l'espace aérien autour de Kaboul, distant d'une bonne vingtaine de minutes d'Islamabad.

"Toutes les règles étaient tombées, il y avait beaucoup de trafic, des contacts radio très mauvais ou inexistants, des orages quasi-quotidiens, et toujours le danger de heurter la montagne. Une fois à terre, l'aéroport de Kaboul était le moins sûr au monde, avec des véhicules roulant en tous sens à vitesse excessive, tandis que nous tentions de rendre les conditions les plus humaines possibles pour les personnes à évacuer. La menace sol-air était réelle, il y avait beaucoup de tirs en ville, car tous les talibans ne sont pas sous le contrôle du pouvoir taliban".

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