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Au congrès d'écrivains à Tunis, le français libère mais frustre parfois

Imposée ou choisie, la langue française peut ouvrir au monde mais son usage est parfois frustrant pour refléter les émotions intimes, selon des auteurs réputés réunis ce week-end à Tunis pour le tout premier congrès mondial des écrivains francophones.

"Que signifie écrire en français ?", l'évènement, organisé sous l'impulsion de l'écrivaine franco-marocaine Leila Slimani (Prix Goncourt avec "Chanson Douce") et du festival Etonnants Voyageurs, a rassemblé plusieurs dizaines d'écrivains francophones dans des débats et ateliers littéraires.

Leila Slimani a été investie en 2017 par le président français Emmanuel Macron d'une mission de "refondation de la francophonie". "J'ai immédiatement pensé que les meilleurs personnes pour analyser ce qui n'allait pas dans la francophonie c'étaient les écrivains", a-t-elle dit à l'AFP.

Son objectif ? "Déringardiser, dépoussiérer la francophonie", montrer que ce n'est "pas une institution rebutante, héritage de la Françafrique" et que la littérature française, c'est "une littérature monde, créolisée, pollinisée".

- "Une sorte de chagrin" -

D'où l'idée d'interroger les écrivains sur leur relation à la langue et l'identité française.

Née au Maroc, Leila Slimani, 39 ans, avoue "un rapport complexe" avec le français. Tout en étant issue d'une famille francophone et francophile, "j'avais parfois une sorte de chagrin à ne pas comprendre pourquoi je n'avais pas, avec l'arabe, le même rapport qu'avec le français".

En même temps, cela a été pour elle un moteur, qui a "favorisé le geste de l'écriture".

Fawzia Zouari, auteure tunisienne de 66 ans, a consacré un livre à son choix d'écrire en français ("Molière et Shéhérazade"). Fille d'un dignitaire religieux, elle a suivi une éducation en arabe, avant de tomber amoureuse de la langue française.

"J'ai commencé un voyage, ça m'est tombé dessus comme un torrent, je pense que les langues vous choisissent", explique-t-elle. Après des études de français et d'arabe, elle a opté pour la langue de Molière, n'osant écrire en arabe.

"C'est la langue du Coran, du style suprême, du seul écrivain par rapport auquel nous ne sommes que des écrivains secondaires, et moi je voulais être écrivain tout court".

A ses yeux, le français est en outre "porteur de valeurs universelles". Et son usage devrait être défendu en Tunisie et dans toute l'Afrique du Nord, alors qu'"il y régresse" sous l'effet "notamment de l'idéologie islamiste".

"Il y a un front politique qui essaye de faire passer les francophones pour des traîtres, des gens qui seraient encore pour la colonisation", a-t-elle dénoncé. Faisant une "grande différence" entre la France et le français, elle a appelé à "dédramatiser le lien avec la langue française, s'émanciper du passé colonial, réadopter cette langue d'une façon nouvelle et pacifiée".

A l'inverse, pour le Togolais Sami Tchak, 61 ans, écrire en français n'était pas un choix: "ma langue maternelle, le Tem, n'est pas une langue écrite, j'ai appris à lire et écrire en français".

Pour l'auteur de "La couleur de l'écrivain", la vraie question est celle de "la dépendance historique entre la France et ses anciennes colonies". "Les littératures francophones d'Afrique ne peuvent s'épanouir que par rapport à ce que Paris choisit et considère comme une littérature importante", selon lui.

- "Une belle relation" -

Ce qui préoccupe aussi l'écrivain c'est sa difficulté à décrire les émotions intimes de son enfance: "je me sens parfois plus à l'aise en français avec ce qui vient de la tête qu'avec ce qui vient de mon ventre".

Djaili Amadou Amal, 46 ans, (Goncourt des lycéens avec "Les Impatientes") entretient de son côté "une belle relation" avec le français. "La langue avec laquelle je communique, et pour nous les Camerounais avec plus de 240 ethnies et 200 langues, ça veut dire beaucoup".

Comme Sami Tchak, elle a l'impression de ne pas toujours réussir à "traduire exactement ses pensées d'une langue à l'autre".

En revanche, sa génération ne perçoit pas le français comme "la langue du colonisateur", c'est "quelque chose de naturel". D'ailleurs, elle rigole en disant "parler le français de la francophonie, un français peul ou un fula-français".

Décomplexée, elle "se sert du français pour promouvoir la culture peule, décrire (sa) société". "Grâce à ça, tous mes compatriotes savent aujourd'hui ce que ressentent les femmes peules dans le Nord Cameroun. C'est très important".

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