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Un an après la mort de Samuel Paty, des enseignants inquiets d'un "mode d'emploi" sur la laïcité

Assassiné pour avoir montré des caricatures de Mahomet à ses élèves. Un an après le choc de la mort de Samuel Paty, des enseignants déplorent le manque de temps pour aborder les questions de laïcité et s'inquiètent d'un "mode d'emploi" imposé par le ministère.

Dans la foulée du drame, le ministre de l'Education Jean-Michel Blanquer annonçait en octobre 2020 un renforcement de l'enseignement moral et civique (EMC), qui a succédé en 2015 à l'éducation civique et aborde des notions aussi diverses que la laïcité et la liberté d'expression.

Mais le nombre d'heures consacrées à cet enseignement, le plus souvent dispensé par les professeurs d'histoire-géographie, n'a pas augmenté: une heure par semaine en élémentaire, un enseignement mutualisé avec l'histoire-géographie au collège et une heure toutes les deux semaines au lycée.

"On a beaucoup parlé. Pour certains, nous avons beaucoup pleuré, mais rien n'a changé", résume Bruno Modica, porte-parole des Clionautes, une association d'enseignants d'histoire-géo.

"Comme à chaque fois qu'on a un événement dramatique, il y a une multiplication d'initiatives (...) Mais concrètement, dans mon collège, il nous manque un enseignant d'histoire-géo", relève de son côté Benjamin Marol, prof d'histoire à Montreuil (Seine-Saint-Denis).

"Le problème, c'est le peu de temps dont on dispose pour travailler avec les élèves" sur l'EMC, regrette Christine Guimonnet, la secrétaire générale de l'Association des professeurs d'histoire-géographie (APHG).

- "Sujets sensibles" -

De tous les thèmes évoqués, la laïcité reste un des plus épineux: "c'est quelque chose d'extrêmement compliqué, qui est l'objet de fait d'un conflit des interprétations", résume Pierre Kahn, professeur émérite en sciences de l'éducation à l'université de Caen, qui a coordonné le groupe d'experts chargé de rédiger les programmes d'EMC en 2015.

Mais les profs d'histoire disent largement ne pas renoncer à enseigner les "sujets sensibles". Selon un sondage récent du magazine L'Histoire, c'est le cas de 90% des 3.000 enseignants interrogés.

Parmi les thèmes susceptibles de poser problème, ils citent d'abord la guerre d'Algérie et le génocide arménien, largement devant la laïcité qui n'arrive qu'en huitième position.

"En fonction du profil d'élèves qu'on a, il faut parfois peser les mots", reconnaît Vincent Magne, professeur d'histoire et de lettres en lycée professionnel à Troyes (Aube).

Cet enseignant expérimenté s'estime "assez armé pour répondre à certaines questions" mais il regrette "l'usage politique" de ce sujet et "les interventions médiatiques, ministérielles ou autres", qui "brouillent parfois le message".

Car les enseignants ne voient pas nécessairement d'un bon œil les déclarations et les initiatives du ministre de l'Education.

La campagne "C'est ça la laïcité" lancée à la rentrée a fait débat, tout comme le "Guide républicain", avec vademecum sur la laïcité mis à jour, diffusé dans les écoles en septembre ou le plan de formation à la laïcité sur quatre ans pour tous les enseignants annoncé en juin et mis en place prochainement.

- Campagne "stigmatisante" -

Pour Christine Guimonnet, ces formations "peuvent être utiles, parce qu'il y a des collègues pour lesquels la laïcité, ce n'est pas forcément très clair". Mais d'autres sont dubitatifs voire inquiets.

"Il n'y a pas eu de consultation de ceux qui sont en charge d'enseigner l'EMC", regrette Bruno Modica. Pour Benjamin Marol, "il y a un côté méprisant, comme si on nous disait +on va vous réapprendre à faire votre boulot+".

Jugeant "stigmatisante" la campagne de communication, Vincent Magne se dit lui "moyennement convaincu" par "ces formations pour avoir une doxa sur la laïcité".

"On nous pond des petits guides et il faut suivre un mode d'emploi. Mais ce n'est pas ça être prof", réagit Amélie Hart-Hutasse, coresponsable histoire-géographie pour le syndicat Snes-FSU et professeure dans un collège en Côte-d'Or.

"Il n'y a pas de prêt-à-penser sur ces questions", poursuit l'enseignante. "Dans la société et le monde politique, il y a des conceptions qui peuvent être divergentes de la laïcité (et) il ne faut pas non plus vouloir éteindre toute controverse, comme si on ne devait apprendre que des vérités définitives à l'école".

"Il y a une volonté d'imposer une certaine vision de la laïcité. C'est visible dans la campagne du gouvernement. C'est une laïcité qui pointe du doigt certaines populations", juge Amélie Hart-Hutasse. Pour elle, il faut "arrêter de mettre des valeurs de la République ou de la laïcité partout".

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