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En Belgique depuis 20 ans, Lia n’a toujours pas pu obtenir la nationalité belge: "Je me sens rejetée et triste"

Pierre a poussé le bouton orange Alertez-nous pour nous faire part de la situation "incompréhensible" de sa fille adoptive Lia, 38 ans. La jeune femme d’origine iranienne est arrivée en Belgique en 2002, elle a été adoptée en 2016 et nous explique avoir tout fait pour s’intégrer dans son pays d’accueil : elle a travaillé, suivi des formations et s’est impliquée dans la vie de sa commune. Malgré cela, sa demande de nationalité a une nouvelle fois été refusée, après deux autres tentatives. Elle et son père ne comprennent pas ce refus et dénoncent un système qui ne prend pas en considération le parcours personnel de chacun.

"J’ai adopté fin 2016 une femme d’origine iranienne. Comme elle était majeure, elle n’a pas obtenu la nationalité automatiquement. Elle vient de faire une demande de nationalité qui a été refusée", Pierre a poussé le bouton orange Alertez-nous pour dénoncer cette situation qu’il juge "incompréhensible".

Sa fille Lia, 38 ans, habite en Belgique depuis 2002. Elle est arrivée à l’âge de 18 ans avec sa mère et son demi-frère pour repartir de zéro. "J’ai été déracinée comme ça. Moralement, c’était très dur… de laisser tomber les amis, une partie de la famille pour arriver dans un pays où on ne connaît pas la langue", se souvient la jeune femme. Rapidement, Lia a tout fait pour s’intégrer en Belgique. Elle a commencé à travailler, à suivre plusieurs formations et, quelques années plus tard, elle a aussi passé son permis de conduire. Lia est mère de deux enfants de nationalité belge, un garçon de 14 ans et une fille de 12 ans. Elle vit à Waremme depuis quelques années.

C’est difficile à exprimer, mais c’est se sentir aimée, se sentir assurée… Et avoir une famille, c’est quelque chose pour lequel je me suis battue toute ma vie

A l’époque, Pierre était en couple avec la mère de Lia. "C’était mon beau-père et le courant passait très bien. Souvent, on discutait, il m’a appris l’informatique car c’est son métier. Un jour, je lui ai dit ‘Tu ne veux pas être mon papa ?’. Il m’a regardé mais il n’a rien dit. Et un an plus tard, il m’a demandé si j’avais congé un jour en particulier, donc je n’imaginais pas du tout ça… Mais il avait pris rendez-vous avec un avocat pour faire les démarches", nous explique la trentenaire.

En 2016, Pierre est donc officiellement devenu le papa de Lia. "Son père est mort quand elle était jeune, elle avait besoin d’un père et moi j’avais besoin d’une fille. J’arrivais à un âge où ça fait du bien de se tracasser pour quelqu’un. Donc j’ai entamé les procédure et j’ai eu ce plaisir d’avoir une fille qui a pris mon nom", dit-il, avec émotion. Pour lui, les liens familiaux sont très importants. "Le fait d’avoir pris mon nom, c’est quelque chose qui me touche vraiment", ajoute-t-il. Et c’est aussi un acte très symbolique pour sa fille. "C’est difficile à exprimer, mais c’est se sentir aimée, se sentir assurée… Et avoir une famille, c’est quelque chose pour lequel je me suis battue toute ma vie", confie-t-elle.

Trois refus de nationalité en l’espace de plusieurs années

Même si cette adoption n’avait pas pour but d’offrir la nationalité belge à Lia, elle ne l’avait pas obtenue automatiquement car elle était déjà majeure. Mais aujourd’hui, les choses s’annoncent plus compliquées que prévu : "J’ai demandé la nationalité belge parce que je trouve que c’est normal après 20 ans à vivre dans ce pays. Je suis investie ici donc je pense que j’ai le droit de l’avoir", note l’habitante de Waremme. Malheureusement pour elle, sa demande a été rejetée pour la troisième fois en l’espace de plusieurs années. "Depuis que je suis arrivée en Belgique, j’ai travaillé dans différentes sociétés donc quand j’ai fait ces démarches, je pensais vraiment que j’allais l’avoir… En tant que mère de deux enfants, en tant que quelqu’un qui a montré pendant 20 ans qu’elle était une citoyenne exemplaire. Je me suis investie dans ma famille, dans mon boulot, je suis membre d’un parti politique depuis six ans, je suis déléguée syndicale… Tout ça, ça fait une image pour dire que je suis prête à m’investir encore plus et à rester dans ce pays", poursuit-elle, déçue de ce nouvel échec.


© RTL INFO

Elle et son père ne comprennent pas du tout pourquoi ce refus. "Je me sens rejetée et triste, je ne saurais même pas expliquer. C’est dur… Je ne m’attendais absolument pas à ça", glisse-t-elle, émue. Les motifs invoqués selon eux ? Lia n’aurait pas suffisamment travaillé durant ces cinq dernières années. "Je suis d’accord, mais j’ai une histoire derrière… J’ai 20 ans d’histoire derrière moi mais ça on ne regarde pas, on ne pose pas de question et je trouve que c’est triste. Ce n’est pas logique, aussi bien pour moi que pour mes enfants. Ma fille est vraiment triste, elle ne se sent pas aimée non plus. Elle est Belge et pour elle, c’est comme si on n’avait pas accepté sa mère", nous détaille Lia.

Pour son père non plus cette décision n’est pas logique. "Il lui manque quelques heures de travail après une période Covid où beaucoup de personnes n’ont pas pu travailler, comme c’est aussi son cas, dénonce-t-il. On ne s’intéresse pas du tout à sa vie, à ses sentiments, à ce qu’elle veut vraiment… Non, parce qu’il manque un papier, c’est terminé au revoir." Contrairement à Lia, sa mère et son demi-frère ont pu obtenir la nationalité belge, ce qui renforce encore davantage son sentiment de rejet. Mais, comme nous l’explique une avocate spécialisée en droit des étrangers, il ne faut pas prendre ces décisions de manière personnelle. "Ce n’est pas un refus de la Belgique d’octroyer la nationalité. Ce n’est pas quelque chose qui se mérite", souligne Céline Verbrouck du cabinet Altea à Bruxelles.


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Pour obtenir cette nationalité, des conditions précises ont été établies par la loi belge. "Ces conditions sont strictes et elles ne sont pas libres, c’est-à-dire qu’on ne peut pas prouver ça de toutes les manières", insiste-t-elle. Il faut en effet respecter des procédures concrètes et une simple erreur d’aiguillage peu conduire à un refus. "Les gens ne comprennent pas toujours les règles. Le plus souvent, la personne a simplement mal été orientée et elle ne savait pas qu’il fallait ce document-là pour prouver cette condition-là. Souvent, le refus, c’est simplement le résultat du fait qu’on n’avait pas le bon document et on ne savait pas qu’il fallait ce document", poursuit-elle.

C’est, semble-t-il, ce qu’il s’est passé dans le cas de Lia. La jeune femme a en effet effectué une demande d’accès à la nationalité sur base d’un article du code de la nationalité mais elle aurait pu se baser sur une autre disposition légale pour y prétendre. "Selon l’article 12bis, paragraphe premier, troisièmement, elle devait prouver son intégration sociale d’une façon précise : soit par un diplôme de l’enseignement secondaire supérieur au minimum délivré par une organisation reconnue par la Fédération Wallonie-Bruxelles, soit avoir travaillé depuis cinq années mais ça se prouve avec des papiers précis. Soit avec le suivi du parcours d’intégration sociale auprès d’une institution spécifique pour délivrer ce type d’attestation. Si elle n’avait pas le bon papier pour prouver son intégration sociale, elle ne rentrait pas dans cette case-là", nous explique l’avocate.

Plusieurs conditions pour accéder à la nationalité

Lia étant depuis plus de dix ans en séjour légal en Belgique, elle aurait pu, selon la spécialiste, faire une demande sur base de l’article 12bis, paragraphe premier, cinquièmement. "Pour rentrer dans cette condition, il suffit de prouver la connaissance d’une des trois langues nationales au niveau A2, attention pas avec n’importe quel papier. Il faut bien se renseigner ! Et la seconde condition, c’est la participation à la vie de sa communauté d’accueil. Le fait qu’elle a des enfants, qu’elle est ici depuis longtemps, qu’elle a été adoptée, qu’elle a suivi plusieurs formations… Ce sont des preuves de participation à la vie de sa communauté d’accueil : on voit qu’elle est sociable, elle a une vie active, elle n’est pas complètement séquestrée chez elle ou radicalisée… Elle rentre, à mon avis, beaucoup plus dans cette disposition-là", rajoute encore Céline Verbrouck.

Mais là encore, il faut faire attention à s’enregistrer sur base de la bonne disposition légale parce qu’il n’est pas question de modifier les procédures en cours de route. "Une fois qu’on est dans un aiguillage, la suite de la procédure se fait selon les conditions de cet aiguillage-là. S’il y a une erreur dès le départ, on ne va pas la réparer en cours de route", avertit-elle. Les demandes d’accès à la nationalité doivent ensuite être remise auprès de sa commune. Celle-ci sert uniquement d’intermédiaire avec le parquet qui rendra la décision finale.

Si le demandeur ne fournit pas l’un des documents obligatoires, nous n’avons pas d’autre choix que de refuser

Dans le cas de Lia, c’est le parquet de Liège qui s’est prononcé sur sa demande. Nous avons donc pris contact avec ce dernier qui nous explique simplement faire appliquer la loi. "Nous intervenons comme une sorte de boite aux lettres. Les conditions strictes sont imposées par la loi : si le demandeur ne fournit pas l’un des documents obligatoires, nous n’avons pas d’autre choix que de refuser."

Le dossier de Lia n’était apparemment pas complet, une des conditions de l’article 12bis n’était pas remplie, selon le parquet de Liège. "Nous avons notifié un acte d’opposition à l’octroie de la nationalité en raison d’éléments manquants", nous a-t-il communiqué.

L’habitante de Waremme n’aura donc pas d’autre choix, à ce stade, que de rentrer une nouvelle demande de nationalité. Elle ne compte pas baisser les bras car obtenir la nationalité représente pour elle un acte très important et rassurant : "J’aimerais bien trouver une sécurité en plus, une stabilité sur terre. Je voudrais pouvoir dire que c’est mon pays. Je veux être tranquille, ce n’est pas évident de sentir qu’on n’est pas chez soi… Et à n’importe quel moment, la situation peut changer. Qu’est-ce qui va arriver ? Et qu’est-ce qui se passera pour mes enfants ?", s’interroge-t-elle en définitive.

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