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Les canicules vont-elles se répéter? Le pire est-il à venir? Comment faire face? Les réponses d'un chercheur sur le climat

Plusieurs pays européens, dont la Belgique, font face à des températures bien supérieures aux normes de saison. Pour mieux comprendre les effets du changement climatique sur la météo et envisager le futur de nos sociétés, notre journaliste Caroline Fontenoy a interrogé François Gemenne. Il est chercheur sur le climat, professeur à l'Université de Liège et membre du GIEC, le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.

Caroline Fontenoy:  Ce qu'on vit aujourd'hui, ces températures caniculaires, est-ce que ça pourrait devenir la norme?

François Gemenne: Très clairement, oui. C'est-à-dire que les événements qu'on considérait avant comme des événements exceptionnels, qui arrivaient une fois de temps en temps, vont devenir la norme dans le futur. Ça veut dire que ça ne sera sans doute pas la dernière canicule de l'été. On a déjà connu des vagues de chaleur un peu au mois de mai. Et encore, ce que nous vivons en Belgique n'est rien comparé à ce que vivent la France ou l'Espagne pour le moment. En Espagne, il fait plus de 45 degrés. En France, on sera sur plus de 40 degrés demain à plusieurs endroits, avec un différentiel de 15 degrés par rapport aux normales saisonnières. Véritablement, il va falloir qu'on s'habitue et qu'on s'adapte à cette nouvelle norme.

Caroline Fontenoy: Les derniers rapports du GIEC sont très alarmants. Cela fait des décennies qu'on parle du réchauffement climatique. Comment expliquez-vous qu'on ne réagit pas plus et pas plus vite?

François Gemenne: Et pas plus tôt, non plus. C'est-à-dire qu'en matière d'adaptation par exemple, on est encore très en retard par rapport aux mesures qu'il faudrait prendre pour faire face à ces impacts extrêmes du changement climatique. Je pense que c'est parce qu'on n'a pas réalisé tout de suite que nous allions nous aussi être touchés par ces impacts. On mettait une distance entre nous et les impacts. Comme si ça allait arriver aux autres d'abord, aux générations futures, ou aux pays du sud avant de nous toucher. Et c'est aussi parce qu'on se rend compte évidemment de l'ampleur des changements à réaliser pour essayer de contenir le changement climatique aujourd'hui.

Caroline Fontenoy: Parmi les citoyens (ndlr: que nous avons interrogés dans les rues de Liège et Charleroi), on voit qu'il y a quand même des inquiétudes et un éveil des consciences. Selon vous, il faut se préparer au changement climatique, mais comment? Quelles sont les mesures concrètes?

François Gemenne: La clé, c'est l'anticipation. Et on voit bien une forme de dissonance dans les gens que vous avez interrogés. C'est-à-dire qu'on s'inquiète pour le futur, mais en attendant, on veut en profiter parce que ça donne un air de vacances et que c'est un peu agréable. Mais ce qu'il faut réaliser, c'est que les populations les plus vulnérables, les plus âgées, vont souffrir énormément de cette vague de chaleur, qui a de gros impacts sanitaires. Comment est-ce qu'on va pouvoir s'y préparer? Il y a d'abord des plans en termes de rénovation des logements et d'isolation des logements. On sait notamment que les familles les plus précaires vivent souvent dans des logements qui sont mal isolés, qui deviennent des passoires énergétiques en hiver et des fours en été où les gens cuisent littéralement. Il va falloir davantage mettre d'arbres dans les villes. Ce n'est pas juste pour faire joli. Il y a une différence de 4 à 5 degrés facilement entre une rue qui est arborée et une rue sans arbre. Et puis, il va falloir passer à des mesures plus originales aussi en termes d'architecture. Par exemple, il va falloir peindre en blanc les toits de certains immeubles pour accentuer le phénomène d'albédo (ndlr: pouvoir réfléchissant d'une surface), c'est-à-dire le phénomène naturel qui fait que les couleurs claires renvoient la chaleur du soleil, tandis que les couleurs sombres l'absorbent.

Caroline Fontenoy: On se rend bien compte que tout ce que vous préconisez, ça prend du temps. Êtes-vous optimiste pour l'avenir, ou le pire est à venir?

François Gemenne: Je veux encore être optimiste, parce que je pense qu'on réalise que ces vagues de chaleur vont devenir la norme dans le futur, et que donc il ne faut pas être trompé par l'effet un peu agréable qu'on a pour le moment. On n'en est qu'au tout début, et un des effets du changement climatique, ça va être de multiplier ces vagues de chaleur, et surtout de les rendre plus intenses. Ça veut dire qu'on va battre record de température sur record de température pendant tout le reste de nos vies. Plus tôt on s'y préparera, plus on pourra limiter la casse et les dégâts.

Caroline Fontenoy: On va subir des canicules, on sort d'une pandémie. Est-ce que tout ça est lié?

François Gemenne: Tout ça est quelque part un peu lié. Évidemment, on ne connaît pas encore l'origine tout à fait précise de la pandémie. Mais il est clair qu'aujourd'hui, deux tiers des maladies infectieuses qui sont émergentes sont liées à la destruction de la biodiversité, et au fait que la faune sauvage se rapproche de plus en plus de l'Homme. La plupart des virus qu'on a connus ces dernières années, le VIH sida, ebola, la grippe H1N1, ce sont des zoonoses. C'est-à-dire des maladies qui sont transmises des animaux à l'homme. Et pourquoi est-ce qu'elles se transmettent de plus en plus facilement? Parce que nous détruisons les habitats de la faune sauvage et que donc elles se rapprochent des populations humaines.

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