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En Colombie, 50 nuances de pommes de terre

Avec délicatesse et précision, un ingénieur agronome découpe une petite pomme de terre à la peau foncée pour découvrir son cœur jaune cristallisé de pigments rouges.

Son objectif : sauver les variétés ancestrales de Colombie.

"La Colombie compte un peu plus de 60 variétés natives de pommes de terre et environ 30 variétés commerciales" dont seules "quatre ou cinq se retrouvent en supermarchés", explique Maria del Pilar Marquez, chercheuse à l'université Javeriana de Bogota et directrice du projet, dont le camp de base est situé au milieu des montagnes verdoyantes de Carmen de Carupa, un village de la région du Cundinamarca, à 100 kilomètres au nord de Bogota.

Le tubercule, originaire d'Amérique du Sud où il est cultivé depuis 8.000 ans, est après le riz le deuxième produit alimentaire le plus consommé en Colombie (57 kilos par personne et par an).

"Elles ont des couleurs et des formes qu'on a plus l'habitude de voir (...) et ce sont des sources d’antioxydants très importantes", souligne la chercheuse tout en manipulant les différentes variétés, tantôt noires, violettes ou tachetées.

- "Ici tout commence" -

L'équipe de l'université colombienne a réussi à se procurer 38 variétés ancestrales qui poussent maintenant dans la terre noire et humide de la petite parcelle de Carmen de Carupa.

Quelques mètres en contrebas, une modeste maison de briques abrite le laboratoire.

Dans la pièce blanche à l'ambiance aseptisée, Consuelo Rincon, une des deux laborantines, extrait au bistouri le méristème -les cellules responsables de la croissance de la plante- d'une bouture de pomme de terre ancestrale aux reflets violets.

"C'est ici que tout commence", glisse la professeure Maria del Pilar Marquez, blouse bleue, gants et masque sur le visage.

De ces quelques graines extraites au microscope vont éclore plusieurs plantules.

Elles vont ensuite se développer trois semaines dans un bocal au liquide translucide avant de rejoindre la terre.

"On ne fait pas de modification génétique. On aide ces plantes à se débarrasser des maladies pathogènes afin qu'elles (...) puissent pousser et donner une culture de bonne qualité", explique-t-elle.

Les quelques spécimens qui subsistent dans les campagnes colombiennes sont destinés à une poignée de restaurants gastronomiques, dont ceux d'Oscar Gonzalez.

Bras tatoué et petit chignon, le chef travaille uniquement des pommes de terre ancestrales à partir desquelles il prépare de la glace, du pain, des purées ou encore des chips, qu'il sert dans ses deux établissements de Bogota.

En cuisine, le chef assemble délicatement un plat à base de trois variétés ancestrales.

Sur une crème de pommes de terre aux reflets rosés, il dépose des petites chips violettes. "Chaque variété a une cuisson différente, chaque variété a une saveur différente", explique-t-il.

- Gènes résistants -

A Carmen de Carupa, "avant, tout n'était que patates, patates et patates. Et puis avec le climat, tout ça est devenu une région bovine" explique Hector Rincon, chargé de l'entretien de la parcelle scientifique

"Le changement climatique est un problème", reconnait Adriana Saenz, biologiste en charge du contrôle des nuisibles sur le projet. "Actuellement, il pleut énormément alors qu'avant dans cette région il ne pleuvait pas, (...) c'est un changement trop fort, trop brusque, les tubercules s'abiment dans les champs inondés".

Face au dérèglement du climat, les variétés ancestrales pourraient cependant bien retrouver de leur superbe.

"Elles ont un patrimoine génétique (...) qu'on ne retrouve pas chez les pommes de terre commerciales et elles peuvent avoir des gènes qui résistent à tous les changements climatiques", explique Maria del Pilar Marquez. "Aux sécheresses comme aux fortes pluies", ajoute sa collègue.

Des variétés plus résistantes aux éléments, mais aussi aux nuisibles. "Certaines sont résistantes à beaucoup de problèmes phytosanitaires et donc nous n'avons pas besoin d'appliquer des produits chimiques à partir du moment où les semences sont de bonne qualité", explique Mme Saenz.

De quoi faire concurrence aux variétés commerciales? "Les deux doivent coexister" pour la directrice du projet qui verrait bien "des variétés de pommes de terre natives dans les supermarchés, ainsi qu'à travers d'autres canaux de commercialisation plus équitables pour les agriculteurs".

Un avis partagé par le chef Oscar Gonzalez. "Je dis aux gens: ce sont vos pommes de terres. Il faut les sauver, retirer (...) ces variétés qui nous nuisent, pour mettre sur le marché des pommes de terre natives".

D'autant que la fluctuation des cours et l'explosion du prix des engrais et autres intrants -entre 25% et 30% selon la fédération colombienne des producteurs de pommes de terre- a un impact sur la rentabilité des variétés commerciales.

De leur coté, Maria del Pilar Marquez et son équipe continuent à chercher les meilleures semences des variétés ancestrales, "main dans la main" avec les petits agriculteurs : "une agriculture soutenue par la science sera une agriculture plus durable" affirme-t-elle.

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