Accueil Actu

Tariq Ramadan, figure contestée de l'islam européen

Le théologien suisse Tariq Ramadan, entendu en garde à vue mercredi sur des plaintes pour viols, est un intellectuel musulman aussi contesté qu'il fut influent, accusé de dissimuler le projet d'un islam politique voire radical sous couvert de discours réformiste.

Agé de 55 ans, le petit-fils du fondateur de la confrérie égyptienne islamiste des Frères musulmans Hassan El-Banna a rejeté les accusations portées contre lui par deux femmes à l'automne 2017 en les assimilant à une "campagne de calomnies".

Ces plaintes ont conduit à sa mise en congé de son poste de professeur d'études islamiques à la prestigieuse université d'Oxford (Grande-Bretagne), chaire qu'il occupait depuis 2005.

Marié depuis plus de 30 ans à une Française convertie et père de quatre enfants, Tariq Ramadan jouissait jusqu'à sa disgrâce d'un prestige certain parmi les étudiants musulmans européens. Une jeunesse éduquée issue de l'immigration a pu s'identifier aux succès de ce lettré polyglotte et moderne, portant beau et parlant bien, et qui reste à distance de gestionnaires de mosquées peu représentatifs ou d'imams médiatiques discrédités.

Son ascension n'a pas été un long fleuve tranquille. Titulaire d'un doctorat de l'université de Genève, Tariq Ramadan avait été frappé d'une interdiction de visa de la part des Etats-Unis en 2004 sous l'ère de George W. Bush, alors qu'il devait prendre un poste à l'université Notre-Dame dans l'Indiana.

S'il a longtemps bénéficié d'une forte popularité dans les milieux musulmans conservateurs, il est combattu sans relâche dans les sphères laïques, qui l'accusent de poursuivre un "agenda" islamiste caché.

En France, le nom de Tariq Ramadan est apparu sur la scène publique en 1995. Au lendemain d'attentats jihadistes en France, le ministre de l'Intérieur, Charles Pasqua, lui avait interdit, sans justification précise, l'entrée sur le territoire français. Il semble qu'il ait été confondu avec son frère Hani, plus sulfureux.

- Polémiste combatif -

Parfois taxé de conspirationnisme sinon d'antisémitisme - une accusation que cet antisioniste balaye au nom du droit à la critique de l'Etat d'Israël -, Tariq Ramadan a été accusé de faire le lit du communautarisme, de pousser les jeunes filles à se voiler et de masquer un fondamentalisme religieux sous un discours moderniste.

Il réfute ces critiques, affirmant qu'il incite les jeunes musulmans à s'impliquer dans la société, que le port du voile relève de la liberté individuelle, qu'il prône une lecture "contextualisante" des textes sacrés et qu'il rejette le jihad armé.

Barbe grise bien taillée, ce rhéteur et polémiste redoutable a croisé le verbe avec ses plus virulents adversaires, comme les essayistes Eric Zemmour et Caroline Fourest, qui lui reprochent un discours fluctuant selon qu'il s'exprime en arabe ou en français et en présence ou non de non-musulmans.

Le printemps arabe a constitué une "réponse cinglante et imparable" à "toutes celles et à tous ceux qui ont décrit et peint les musulmans comme impénétrables aux idées de liberté et de démocratie", écrivait-il en 2010.

A l'hiver 2015, Tariq Ramadan appelle les musulmans en France à tenir "un discours extrêmement clair sur l'islam" après les attentats de Paris, mais craint que l'état d'urgence ne renforce leur stigmatisation au sein de la société.

L'année suivante, dénonçant les "propos nauséabonds" entendus lors des "discours sur la déchéance" de la nationalité et un "racisme structurel" en France à l'égard des musulmans, en particulier sur le marché de l'emploi, le prédicateur annonce son intention de demander la nationalité française et de devenir franco-suisse, afin de "donner un exemple concret et positif d'adhésion aux valeurs de la République".

Le Premier ministre Manuel Valls estime en retour qu'il n'y a "aucune raison" d'accéder à cette requête, le message de Tariq Ramadan étant, selon lui, "contradictoire" avec ces valeurs.

Depuis les plaintes pour viols déposées contre lui, les langues se sont déliées jusque dans les rangs musulmans contre ce séducteur dépeint en guide spirituel usant voire abusant de son aura.

Ces dernières années, son influence avait semblé décliner quand progressait l'islam plus rigoriste et moins intellectuel incarné par des prédicateurs salafistes. Le "professeur Ramadan" continue toutefois de diriger un Institut islamique de formation à l'éthique (IIFE) à Paris.

À lire aussi

Sélectionné pour vous