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Décès de Raymond Poulidor: comment ses échecs ont fait de lui une légende du cyclisme

Ses huit podiums sur le Tour de France lui laisseront un drôle d'héritage: le cycliste Raymond Poulidor a engendré malgré lui l'expression "être un Poulidor", celui qui est condamné à ne jamais être le premier.

"J'en avais marre des deuxièmes places. Je n'en pouvais plus. On ne m'appellera plus Poulidor!". Soulagé d'avoir enfin remporté les 24 heures du Mans en 2016, après quatorze participations et une dizaine de podiums, le motard français Matthieu Lagrive n'a pas manqué de faire référence à la figure de "l'éternel second", usée aussi bien en sport qu'en politique ou en finance, domaines où seule la première place compte.

"Je suis devenu un nom commun", racontait avec le sourire Raymond Poulidor à l'AFP, en 2016 à l'occasion de ses 80 ans. "Tous les jours il y a un 'Poulidor' à la radio, à la télévision. Dès qu'il y en a un qui fait 2e à la pétanque par exemple, c'est un 'Poulidor'".

Il s'agit plutôt "d'une antonomase, une figure de rhétorique consistant à prendre un nom propre pour faire véhiculer le contenu d'une idée", précise Gilles Siouffi, spécialiste de l'histoire de la langue française, en citant par exemple les figures emblématiques de Dom Juan pour la séduction, Crésus pour la richesse ou encore Mozart pour la virtuosité.

"Il est rare que les antonomases entrent vraiment dans le vocabulaire. Ce sont plutôt des façons de s'exprimer. On ne peut pas dire que 'Poulidor' devienne un mot courant de la langue française", ajoute le co-auteur de 'Mille ans de langue française, histoire d'une passion'.

Car, selon le linguiste, cette expression "assez péjorative" visant "à dévaloriser son adversaire pour qui la première place est au-dessus de ses moyens" relève davantage du langage "politico-médiatique" que celui employé dans la vie de tous les jours.

A défaut de prétendre à une entrée dans le dictionnaire, le mot "Poulidor" peut toutefois se targuer d'être plus nuancé qu'on ne le croit.

Car loin de se réduire à la figure du "loser" condamné à l'échec, "l'effet Poulidor", comme l'a énoncé l'anthropologue Marc Abélès dans son livre 'L'Echec en politique' (ed. Circe, 2005), possède une autre dimension: le fait d'apparaître plus sympathique que son adversaire lors d'une défaite, et donc de "gagner en perdant".

"Contrairement à l'idée que l'on pourrait avoir, il y a des personnalités politiques qui sont battues (lors des élections) mais qui vont demeurer très populaires sans pour autant que l'on ait envie de voter pour eux. C'est ce qui est paradoxal", explique-t-il à l'AFP, citant l'exemple de François Bayrou, "toujours plutôt bien placé et qui jouit d'un capital de sympathie, mais qui en fait ne sera jamais président".

Un phénomène propre à la société française, qui préfère davantage s'identifier aux perdants au parcours difficile qu'aux premiers de la classe, selon le chercheur.

"En France, c'est vrai qu'il y a beaucoup de discours politique sur la réussite, en réalité je crois que cela n'est pas ce qui nous intéresse fondamentalement", souligne-t-il. "Mais des idées plus 'gratuites' comme le panache, le plaisir... Un certain nombre de qualités qu'on peut valoriser alors que dans d'autres sociétés, comme aux Etats-Unis, c'est évident que ce sont les résultats et l'efficacité qui comptent".

Voilà peut-être la plus grande victoire de Raymond Poulidor.

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