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Michel habite Gouvy, une commune de 24 villages, et doit se contenter d'un internet à 1,5 Mbps: "On peut juste mettre un commentaire sur Facebook"

Les zones blanches, avec des villages entiers privés d'un accès décent à internet, existent encore en Belgique. Et pour leurs habitants, les inconvénients sont de plus en plus importants, car comme le dit notre témoin Michel, "tout se passe en ligne désormais". Témoignage.

Nous sommes en 2018 et habitons l'un des pays les plus densément peuplés au monde. Pour autant, il existe encore des zones dites "blanches", où la connexion internet qui se prétend 'ADSL' peine à dépasser les 3 Mbps.

Michel habite l'une d'elles, à Steinbach, une section de la commune de Gouvy, située tout près du Grand-Duché de Luxembourg. Un bref détour sur Google Maps suffit pour se rendre compte du degré d'isolement de Steinbach, perdu au milieu des forêts et des champs.

Tous les jours, ce facteur de 56 ans, avec trois adolescents à la maison, "doit se contenter d'une bande passante de 1.5 Mbps voire moins", nous a-t-il expliqué via le bouton orange Alertez-nous. Et vous allez le voir, c'est de plus en plus pénible à l'heure actuelle…


Steinbach, sa poignée d'habitants, ses champs, ses forêts...

"Tout se passe en ligne désormais"

Notre témoin habite Steinbach depuis 13 ans. A l'époque, avoir un accès si médiocre à internet n'était pas spécialement handicapant. Mais les choses ont changé.

"1,5 Mbps, c'est très peu. Au niveau de l'internet, ça ne nous permet pas de regarder une vidéo sur YouTube, un replay de la télévision, des infos sur RTL info par exemple. Tout ce qui est vidéo, en fait, on oublie. Les ados râlent tous les jours car ils ne savent pas aller sur YouTube, ni faire de video chat avec leurs copains. Pour envoyer un mail, si vous mettez une pièce jointe, ça prend une heure. Voilà ce qu'on vit: l'internet, on peut juste s'en contenter pour mettre deux ou trois commentaires sur Facebook et écrire des mails".

Des répercussions qui vont au-delà des loisirs. Ce n'est pas comme si Michel se plaignait de ne pas pouvoir regarder la télévision en haute définition. "Déclaration d’impôts, déclaration TVA, bourses d’étude, nos banques et mutuelles qui nous demandent d'utiliser leurs services en ligne, facturation du téléphone, électricité et gaz,… tout se passe en ligne, désormais. Généralement, ça pose problème et pour les opérations bancaires, le site dit souvent que le temps d'attente est dépassé, ou que la connexion a été interrompue".

Le pire, c'est le vendredi soir. Il y a visiblement un pic de connexions dans la rue ou le village, et la vitesse descend à... 0,81 Mbps (voir photo ci-dessous).

Bref, à l'heure actuelle, c'est la galère quotidienne. Et pourtant, il donne 85€ par mois à Proximus pour un pack regroupant Internet, la téléphonie, la télévision. Comme s'il avait une connexion à 100 Mbps, voire plus pour ceux qui ont la fibre, dans le centre de certaines grandes villes.


Le vendredi soir, on ne peut plus vraiment parler d'une connexion internet...

Quelles sont les alternatives pour Michel ?

Michel n'a pas forcément le choix. Aucun câblodistributeur n'a jamais tiré le moindre câble pour la télévision jusque Steinbach. Voo n'y est donc pas présent du tout. "J'avais trouvé un fournisseur qui proposait l'internet par satellite. Un truc qui fonctionnait relativement bien, mais en Belgique il n'y a que skyDSL qui le propose, et il s'avère que ce sont des gros arnaqueurs. Donc on a vite arrêté le contrat avec eux".

Il y a des options plus radicales, mais très contraignantes. "La 3G, on l'a faiblement. La 4G, on ne sait pas ce que c'est chez nous. Il faut donc qu'on sorte du village pour avoir une connexion 4G avec un smartphone. Mais le prix des data est assez différent, c'est beaucoup plus cher que l'internet fixe". Une solution d'urgence, donc.

Il appelle Proximus une fois par mois

Michel, on peut le comprendre, ne trouve pas cela logique de payer le prix plein chez Proximus pour une vitesse de téléchargement qui ne dépasse jamais les 3 Mbps. "Je téléphone une fois par mois, au service clientèle et au service technique, car régulièrement on a aussi des coupures. Ils sont au courant de notre problème", mais rien n'a jamais bougé.

Notre habitant de Steinbach a été plus loin. "J'ai introduit une plainte via Test-Achats il y a plus d'un an, alors on m'a contacté du côté de Proximus pour dire que c'était un problème d'infrastructure, qu'ils ne pouvaient rien y faire. Et j'ai cru comprendre qu'ils n'avaient pas du tout l'intention de faire des investissements prochainement".

Quant à la commune, d'après lui, "elle ne fait rien".

C'est une catastrophe, une honte, un drame, je suis scandalisé qu'on ne puisse pas arranger ça plus vite

Que dit la commune de Gouvy, une commune qui regroupe… 24 villages ?

Nous avons justement contacté la commune pour en savoir plus. "Ça fait des années qu'on se débat et qu'on intervient régulièrement auprès du gouverneur (de la Province), du ministre, des responsables de Proximus. Ils ont des projets, mais il faut que leur conseil d'administration vote le budget…", nous a expliqué le bourgmestre, Claude Leruse.

Gouvy a une situation atypique. "La commune fait un peu plus de 5.000 habitants", mais ils sont répartis "dans 24 villages" qui sont donc fort isolés! Résultat: "on est une des 14 communes où il y a encore une zone blanche extrêmement importante, et c'est une catastrophe, une honte, un drame, je suis scandalisé qu'on ne puisse pas arranger ça plus vite". Les choses ont "évolué depuis 5 ans", mais "il reste environ 30% de la population qui n'a pas une situation satisfaisante".

Quelle est la situation actuellement ? "Le village principal, c'est Gouvy, avec un peu plus de 1.000 habitants. L'opérateur Voo ne dessert actuellement que le village de Gouvy, mais il le dessert très bien, avec des débits allant jusqu'à 200 Mbps, c'est nickel". Hélas, "ils ne font rien dans les autres villages: la seule solution pour les malheureux habitants, c'est Proximus qui, au total, desservait en janvier 54% des habitants, avec une offre qui oscille entre l'ADSL et le VDSL, mais qui est très souvent un service lent".

Et pour ceux qui n'ont ni l'un, ni l'autre, "il n'y a rien", reconnait le mayeur. "Mais s'ils ont la chance de capter la 4G d'Orange, l'opérateur propose un dispositif permettant de se connecter en 4G, il y a une formule qui coûte une vingtaine d'euros par mois et qui permet de se dépanner, mais ce n'est pas fameux quand même".


D'après la carte de Proximus, le village de Steinbach est couvert en 4G...

Que dit Proximus ?

La situation n'a rien de neuf ni d'exceptionnel pour les opérateurs, concernant les zones très isolées de Wallonie (de telles zones n'existent pas vraiment en Flandre). En décembre dernier, nous avions contacté le porte-parole de Proximus pour évoquer un cas similaire, et nous avions eu des réponses concrètes: "dans le prix d'un abonnement, les clients ne paient pas uniquement le débit, mais aussi tout ce qui va avec" et "si on devait faire payer les clients proportionnellement aux coûts des infrastructures pour de l'internet loin dans les campagnes, ils seraient très contents de la situation actuelle".

La logique financière d'une entreprise qui doit justifier des investissements n'est pas la logique économico-sociale visant à garantir un accès digne à internet à tous les Wallons…

Théoriquement, cependant, les choses vont devoir changer. Les opérateurs sont sous pression. Depuis 2016 et un accord avec la Région wallonne, ils doivent augmenter progressivement leur couverture des zones blanches. C'est inscrit noir sur blanc dans un texte.

De nouvelles technologies existent déjà (un mélange entre internet mobile et fixe, par exemple), mais la 5G, qui promet d'être plus rapide et plus puissante, pourrait changer la donne. Proximus et Voo ne vont pas devoir tirer des centaines de kilomètres de câble pour mieux couvrir des zones isolées. Mais d'ici l'arrivée de la 5G (environ 2020) et tout ce qu'elle pourrait apporter, il est très probable que la situation n'évolue pas…

39 communes concernées

D'après des chiffres récents mis en avant politiquement par le cdH, 39 communes du sud du pays n'ont pas accès à la 4G, ni à une téléphonie mobile sans coupure. 220.000 habitants seraient concernés. Mais il faut être plus précis: les 39 communes en question ont un réseau fixe avec une vitesse de 30 Mbps dont la couverture ne dépasse pas 60% et ne sont pas couvertes à 100% en 4G par au moins un opérateur. Il y a donc nettement moins de 220.000 habitants privés de 4G ou d'un internet fixe à minimum 30 Mbps.

En province du Luxembourg, celle de Michel, on dénombre quatorze communes concernées. Il y en a neuf en province de Liège, quatorze en province de Namur et deux en Hainaut.

Proximus avait réagi à ces chiffres, insistant sur le fait que ce sont seulement certaines parties des communes en question qui sont moins bien couvertes. L'opérateur met par ailleurs en avant d'autres chiffres: 99,7% de la population un accès à la 4G ; 99% des ménages ont accès au réseau fixe haut débit (supérieur à 30 Mbps, ce qui place la Belgique en 2e position au niveau européen).

Les opérateurs télécoms ont investi près de 10 milliards d'euros dans leurs infrastructures ces six dernières années, mais pas spécialement pour diminuer les zones blanches…

Ils veulent bien consentir à de nouveaux efforts, mais ils veulent des garanties : suppression totale de la taxe pylône (certaines communes et provinces l'exigent encore), et adaptation de la norme d'émission des antennes pour un développement de la 5G sans tracas d'ordre administratif, comme ce fut le cas avec la 4G à Bruxelles, notamment.

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