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Décryptage - Comment les scientifiques font-ils "parler" les morts?

Des ossements du petit Emile ont été découverts le week-end dernier dans la région du Haut-Vernet, en France, où l'enfant de 2 ans et demi avait disparu 8 mois plus tôt. Plus récemment, c'est le corps de Cathy Dubois, 47 ans, qui a été retrouvé dans l'Escaut à Tournai. La restauratrice avait disparu 2 jours plus tôt. Son autopsie a révélé qu'elle a été victime de "violences graves qui ont conduit à son décès."

Que s'est-il passé? Des enquêtes sont en cours pour tenter de le déterminer, grâce aux scientifiques en médecine légale. Et toutes ces affaires nous poussent à nous interroger: comment les spécialistes parviennent-ils à faire "parler" les morts pour découvrir ce qui leur est arrivé ? Le plus important est d'intervenir très rapidement, car le corps entrera vite en putréfaction. Il deviendra alors difficile de déceler des éléments qui pourraient être essentiels à l'enquête, telles que des lésions ou des marques de strangulation. 

"L'un des grands ennemis des médecins légistes, c'est la putréfaction du corps, car les traces disparaissent et elles ne reviendront plus. Quand les tissus mous ne sont plus là, il devient difficile d'arriver à établir si la personne a été frappée, si elle a été étranglée... Les lésions, les strangulations, et même les coups de couteau vont disparaître", nous explique Philippe Boxho, médecin légiste et président de l'École liégeoise de Criminologie. "Avoir le corps le plus vite possible, c'est donc une nécessité fondamentale pour un examen médico-légal le plus efficace possible", ajoute-t-il.

Le médecin légiste intervient uniquement quand la mort est considérée comme suspecte ou violente. "Si on ne sait pas de quoi la personne est morte, que l'on peut suspecter l'intervention d'un tiers. Ou alors que la mort n'est pas naturelle, qu'elle résulte du fait d'un agent extérieur. Ça peut aussi être un suicide ou un accident", détaille Philippe Boxho. 

Répondre à deux questions cruciales

Le tout premier acte du médecin légiste est de prendre la température du cadavre. "Elle va pouvoir déterminer le moment du décès. C'est la première chose que l'on fait, car toute manipulation du corps peut modifier sa température." Ensuite, le légiste va procéder à un examen extérieur. L'observation est alors cruciale: "On s'intéresse aux lésions en surface du corps. On doit répondre à deux questions: quand la personne est-elle morte? Et de quoi est-elle morte?"

Établir la cause de la mort, c'est possible grâce à un examen du corps et à une autopsie. S'il s'agit d'un empoisonnement, des analyses du sang, des urines, du foie, des reins ou du contenu de l'estomac seront nécessaires. 

Déterminer quand la personne est morte, on peut le faire s'il y a encore des restes humains et que le légiste intervient dans les 24 premières heures. "Au-delà de 24 heures, ça devient vraiment compliqué. On a intérêt à avoir des mouches", souligne notre intervenant. 

La présence d'insectes est nécessaire

La présence de mouches et autres insectes peut en effet être déterminante dans l'enquête. C'est le travail de l'entomologiste, qui va surtout rechercher des larves de diptères nécrophages, terme scientifique désignant les asticots de mouche. "On va aller près du cadavre, voir s'il y a encore des insectes, des asticots de mouche. Une fois récupérés, on peut mettre les asticots au laboratoire en développement", explique Rudy Caparros, entomologiste à l’Université de Liège. 

Selon les espèces, il est possible de savoir combien de temps l'insecte met pour se développer et atteindre tel ou tel stade dans son évolution. Les premières mouches pondent dans les heures qui suivent la mort. Dans l'ordre, cela va de l'œuf à la larve à la pupe à l'insecte adulte. Il est ainsi possible de déterminer le temps qu'il faut à l'insecte pour passer d'un état à un autre.

Mais la température joue aussi un rôle là-dedans: plus il fait chaud, plus cela va vite. Plus il fait froid, plus les transformations se font lentement. "Avec cela, on sait voir depuis combien de temps l'insecte se développe sur un cadavre, et donc potentiellement dire à quand remonte la mort. On peut aller jusqu'à plusieurs semaines en arrière, voire plusieurs mois parfois, en fonction des insectes", indique l'entomologiste.

Les insectes permettent aussi d'identifier de potentiels produits administrés à la victime ou la prise éventuelle de drogues grâce à des analyses toxicologiques. 

Le stade d'ossement est plus compliqué

L'entomologiste vérifiera également le sol autour du cadavre, car passé un certain stade de décomposition, il ne reste presque plus de larves ou d'asticots. "On est sur la fin, car quand il n'y a plus de chair, les insectes s'en vont", note Rudy Caparros. Dans le cas de la disparition du petit Emile, les insectes retrouvés autour des ossements de l'enfant peuvent être particulièrement intéressants à étudier. "Pour retrouver des insectes qui proviendraient d'un autre endroit ou d’une autre zone géographique et qui pourraient expliquer potentiellement des déplacements du corps par une autre personne", dit-il. 

Au stade des ossements, la décomposition étant fortement avancée, il devient vraiment compliqué de déceler encore des éléments. Des insectes, il n'en reste presque plus puisque les chairs disparaissent. Et si on veut espérer découvrir quelque chose, "il faut qu'il y ait des dégâts sur les ossements, c'est-à-dire qu'il faut qu'il y ait une mort de nature traumatique", insiste Philippe Boxho, médecin légiste.

Les ossements ne permettent cependant pas de déterminer le moment du décès. "C'est une impossibilité majeure. Ils ne dévoilent rien sur la date de la mort, mais ils permettent de dire l'âge, le sexe, l'ethnie... Ils peuvent aussi établir les causes de la mort s'il y a des lésions osseuses (...) Plus on a d'ossements et plus on a de chances de trouver une cause de décès, ou en tout cas de pouvoir expliquer ce qui a bien pu se passer", poursuit le spécialiste.

Et dans le cas de corps immergés, comme c'est le cas pour la restauratrice de 47 ans Cathy Dubois, le travail d'analyse sera encore différent. On ne peut pas trouver d'insectes sur un cadavre repêché dans l'eau, établir le moment du décès est donc plus compliqué. "On ne peut se fier qu’à l’expérience qu'on a avec les corps immergés (...) La putréfaction n'est pas plus rapide, mais elle donne des résultats différents", conclut Philippe Boxho.

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